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Claude Longchamp: «L’impact à court terme sera énorme»

Des femmes dans la rue
Les Verts gagnent des sièges et les politiciennes gagnent 10% de plus de représentation à la Chambre basse du Parlement. La part de femmes atteint désormais 42%. Keystone / Laurent Gillieron

La victoire historique des Verts et des Verts libéraux au Parlement suisse laisse même sans voix Claude Longchamp. Le politologue pense qu’une nouvelle alliance de centre gauche pourrait débloquer certains dossiers.

La droite perd sa majorité au Conseil national (Chambre basse du Parlement suisse) et le centre se renforce avec la poussée des Verts libéraux. Cette nouvelle constellation pourrait déjà déployer ses effets lors des prochains débats autour de la loi sur le CO2, avec à la clé un renforcement des mesures de protection du climat, analyse le politologue Claude Longchamp.

Il estime également qu’une alliance de centre gauche entre le Parti socialiste (PS), les Verts (PES), les Vert libéraux (PVL) et le Parti démocrate-chrétien (PDC) pourrait également créer de nouvelles dynamiques dans d’autres dossiers majeurs, comme la question de l’accord-cadre avec l’Union européenne.

swissinfo.ch: Les Verts font le meilleur score de l’histoire du Parlement en remportant d’un coup 17 sièges. Quelle est votre réaction?

Claude Longchamp
Claude Longchamp voit les Verts libéraux comme une seconde force capable de réunir des majorités au Parlement, après le PDC. swissinfo.ch

Claude Longchamp: Je suis sans voix. Personne ne s’attendait à un tel résultat et tout le monde a été surpris. Depuis 28 ans que j’analyse des élections fédérales, un seul parti avait réussi à remporter plus de parts électorales d’un coup: l’Union démocratique du centre avec ses sept points de pourcentage de progression en 1999. Mais une fois ce résultat converti en sièges, ces derniers n’étaient que de 14 contre 17 aujourd’hui pour les Verts.

Ce sont les deux seuls grands bouleversements de l’histoire récente de la Suisse. Et il ne faut pas oublier que le second parti écologiste, les Verts libéraux, se sont aussi grandement renforcés. Les deux formations vertes récoltent ensemble 20% de parts électorales, ce qui est historique.

L’élection de 2019 était clairement axée sur le climat. Est-ce que désormais, le monde politique va aborder différemment les questions environnementales?

L’impact à court terme sera énorme, surtout au niveau de la discussion en cours au Parlement autour de la révision de la loi sur le CO2. Nous sommes dans la phase la plus importante de la mise en œuvre de l’Accord de Paris sur le climat. La Suisse ne peut plus se permettre de revenir sur ses engagements.

On pourrait s’attendre à une alliance entre les socialistes, les démocrates-chrétiens, les Verts et les Verts libéraux, qui auraient ainsi une majorité dans les deux Chambres du Parlement. S’ils parviennent à s’entendre, ils pourraient façonner ensemble la future politique climatique, mais également d’autres domaines comme la politique des infrastructures.

Last but not least, il y aura aussi une discussion sur la représentation des forces au Conseil fédéral. Aujourd’hui, nous avons un Parlement de centre gauche et un gouvernement de droite.

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Cette nouvelle majorité de centre gauche signifie que le Parlement sera moins polarisé. Est-ce que cela pourrait permettre également de nouvelles dynamiques dans d’autres dossiers, comme les relations avec l’Union européenne?

Je ne suis pas sûr que des changements se produisent si rapidement. Le PS est le parti qui a freiné ce dossier ces deux dernières années et il a maintenant subi des pertes électorales. Il doit désormais se remettre en question et se demander si ce n’est pas justement sa position sur la question européenne qui a été sanctionnée dans les urnes. Le PS est traditionnellement le parti pro-européen, mais il est devenu le parti qui freine les relations avec l’UE. Il y a sans doute un problème de confiance.

On peut également se demander si les Verts libéraux pourraient amener une nouvelle dynamique. Le PVL est l’un des partis qui a le plus plaidé en faveur de la signature de l’accord-cadre avec l’UE. S’il parvient à réunir des partenaires à droite et à gauche afin de débloquer cet épineux dossier, il prouverait qu’il a les capacités d’occuper à l’avenir une place au gouvernement.

Le PDC est, traditionnellement, le faiseur de rois qui parvient à ficeler des alliances au Parlement pour trouver des solutions. Est-ce que les Verts libéraux lui volent ce rôle aujourd’hui?

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Pas forcément. Le PDC reste le parti le plus important, notamment en raison de sa position déterminante au Conseil des États. Il s’agit vraiment du parti charnière de la Suisse.

Mais il existe une marge de manœuvre: si le PDC ne se montre pas assez libéral sur une question, les Verts libéraux pourraient tenter de s’allier avec le Parti libéral-radical (PLR, droite) pour atteindre une nouvelle majorité. Nous avons désormais deux générateurs potentiels de majorité: le PDC et le PVL.

Un mot sur le grand vaincu de cette élection, l’Union démocratique du centre (UDC, droite conservatrice), qui perd 12 sièges: que se passe-t-il avec le parti le plus puissant du Parlement?

L’UDC doit faire un grand travail de remise en question. Elle a perdu tout ce qu’elle avait gagné il y a quatre ans. Mais cette défaite, nous l’avons sentie venir: l’UDC n’a pas été suivie par le peuple sur de nombreuses votations. Surtout quand elle s’est montrée peu ouverte au compromis. Les électeurs se sont maintenant prononcés: ils veulent une UDC qui représente la Suisse conservatrice, mais pas une UDC qui fonce droit dans le mur et qui veut encore faire voter le peuple sur son initiative pour limiter l’immigration. Ses initiatives populaires ont d’ailleurs connu de nombreuses défaites ces cinq dernières années.

L’UDC a reçu un message clair: ce type de politique n’est plus désiré. Mais le parti reste le plus fort du pays et représente toujours l’électorat conservateur qui est bien présent en Suisse.

Le PS et le PLR comptent aussi parmi les perdants. Quels rôles peuvent-ils jouer dans cette nouvelle constellation? 

Tous deux doivent analyser en profondeur leur situation et tenter de savoir où ils ont perdu des voix. Ils affrontent aujourd’hui une nouvelle concurrence: les Verts libéraux pour le PLR et les Verts pour le PS. Ils devraient maintenant essayer de collaborer au lieu de se tirer dans les pattes comme durant la campagne électorale.

Le taux de participation à ces élections était particulièrement bas, à 45%. Est-ce une déception?

Pas nécessairement, nous devons d’abord analyser les votes. La structure des électeurs a probablement changé: nous avons d’un côté davantage de jeunes de moins de 35 ans qui se sont mobilisés, et tout particulièrement des femmes. D’un autre côté, les hommes de plus de 70 ans se sont sentis moins concernés par ce scrutin. Les jeunes et les femmes ont ajouté des voix aux Verts et aux Verts libéraux, alors que l’abstentionnisme des plus âgés a pesé sur le résultat des partis bourgeois.

Traduction de l’allemand: Marie Vuilleumier

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