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Le modèle «Rubik» a fait son temps

La féministe Alice Schwarzer faisait partie des nombreux Allemands à avoir caché de l'argent en Suisse. AFP

Le modèle de l’impôt libératoire «Rubik», longtemps considéré comme une parade par la Suisse, ne représente plus une alternative à l’échange automatique d’informations. Ce dernier, qui a été présenté jeudi par l'OCDE et qui devienra un standard en cours d'année, ne parviendra cependant pas à résoudre les problèmes hérités du passé.

La féministe Alice Schwarzer, le président du FC Bayern Munich Ueli Hoeness ainsi que 25’000 autres citoyens allemands ont fraudé le fisc et déposé leur argent en Suisse. Mais ils ont fini par se dénoncer aux autorités fiscales allemandes.

Ils ne l’ont pas fait spontanément: CD remplis d’informations subtilisés à des banques, arrestations spectaculaires et médiatiques de personnages connus, la peur d’être découverts, ainsi qu’un programme national garantissant l’immunité à ceux qui se dénoncent ont eu leur effet.

Un grand nombre d’Allemands ont ainsi décidé de se mettre en règle avec leur passé. Au cours des dernières années, le fisc allemand est parvenu à récupérer environ 3,5 milliards d’euros. Ce succès a contribué à calmer sensiblement la dispute fiscale entre la Suisse et l’Allemagne.

A la lumière des très bons résultats enregistrés en Allemagne, la France a elle aussi décidé en juin dernier de garantir l’immunité aux évadés fiscaux en leur promettant des «rabais» sur les sommes dues. Pour l’heure, environ 11’000 évadés fiscaux français ont profité de cette possibilité.

Face à l’intense pression exercée sur le secret bancaire et pour résoudre le problème de l’évasion fiscale, la Suisse a élaboré il y a quelques années un modèle d’imposition à la source avec effet libératoire pour les clients étrangers des banques helvétiques.

Il s’agit d’une sorte d’impôt à la source auquel sont soumis tous les revenus issus des capitaux placés. Le montant de l’impôt varie selon les accords conclus avec les pays et les détenteurs de comptes restent anonymes.

L’impôt perçu est reversé au pays d’origine. En contrepartie, les détenteurs de comptes sont «libérés» de l’obligation de payer de nouveaux impôts, d’où le terme «libératoire».

Jusqu’à présent, la Suisse a conclu de tels accords d’imposition avec l’Autriche et le Royaume-Uni. Ils sont entrés en vigueur le 1er janvier 2013.

Le gouvernement avait également signé un accord avec le gouvernement allemand, mais il a été rejeté par la Chambre haute du parlement allemand (Bundesrat) en décembre 2012. La France refuse également l’impôt libératoire.

La Suisse souhaitait trouver un accord pour l’application de l’impôt libératoire avec d’autres Etats comme l’Italie, la Grèce ou l’Espagne. Toutefois, les négociations au sein de l’OCDE pour mettre sur pied un standard d’échange automatique des informations ont stoppé les négociations.

Plus difficile avec l’Italie

L’Italie a adopté un programme analogue le 31 janvier dernier. Cependant, les amendes sont beaucoup plus salées pour les évadés fiscaux qui ont déposé leur argent en Suisse que pour ceux qui l’ont caché dans un Etat de l’Union européenne.

Et le nouveau décret de loi prévoit que les évadés fiscaux qui décident volontairement de transférer leur argent depuis une banque suisse vers un institut financier situé en Italie ou dans un pays de l’UE auront droit à un traitement spécial, c’est-à-dire une réduction des sanctions administratives et pénales.

Un accord sur l’application d’un impôt libératoire avec l’Italie, qui aurait offert une solution pour l’avenir et réglé définitivement le contentieux fiscal entre les deux pays, n’est désormais plus à l’ordre du jour.

Le modèle «Rubik», qui il y a un an encore, était censé éloigner l’épouvantail de l’échange automatique d’informations tout en préservant le secret bancaire suisse, a ainsi fait son temps. «A l’échelle internationale, on s’achemine clairement vers l’échange automatique d’informations, et ce pour toutes les places financières. C’est pour cette raison que nous n’avons pas l’intention de promouvoir de manière active de nouveaux accords sur l’imposition à la source avec d’autres Etats. En revanche, nous sommes intéressés à une régularisation des problèmes hérités du passé sur la base d’une imposition à la source», explique Mario Tuor, responsable de la communication auprès du Secrétariat d’Etat aux questions financières internationales.

Long processus en Suisse

Ambitieuse, la feuille de route de l’Organisation pour la coopération et du développement économiques (OCDE) est aussi très concrète: en effet, le modèle sera présenté officiellement le 22 février, lors de la rencontre ministérielle du G-20 à Sydney, et déclaré obligatoire dès le mois de septembre.

En tant que membre de l’OCDE, la Suisse a participé à l’élaboration de l’accord-cadre en présentant ses propres demandes, soit l’échange réciproque des données, un standard minimal en matière de sécurité et le principe de règles qui soient les mêmes pour tous les Etats.

 

Les observateurs prévoient que des Etats comme l’Allemagne, le Royaume-Uni ou les Etats-Unis adopteront l’échange automatique en 2015 déjà. En revanche, le processus décisionnel est plus long en Suisse, car il faudra passer par une procédure de consultation, un débat parlementaire et éventuellement une votation populaire.

Toutefois, c’est seulement en adoptant l’échange automatique que la Suisse évitera de finir sur la liste noire de l’OCDE. Ce standard, valable à l’échelle internationale, obligera les banques à transmettre les données de leurs clients aux autorités fiscales suisses, qui à leur tour devront envoyer ces informations aux autorités fiscales des différents pays. Avec ce système, il sera beaucoup plus difficile pour les contribuables d’échapper au fisc.

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Clients sous pression

L’Association suisse des banquiers (ASB) s’est elle aussi adaptée à ces nouvelles conditions et ne refuse plus l’échange automatique d’informations auquel elle s’opposait il y a encore un an. «Tous les indicateurs vont dans cette direction. Nous sommes donc également disposés à un tel standard valable à l’échelle internationale», déclare le porte-parole de l’ASB, Thomas Sutter.

«Cependant, la Suisse doit faire en sorte de trouver une solution pour régler les problèmes hérités du passé avec les pays qui adoptent l’échange automatique d’informations, précise-t-il. Cette solution doit être simple et équitable et ne pas prévoir de conséquences pénales pour les personnes coupables d’une simple soustraction fiscale.»

Le but des banques suisses est que le plus grand nombre possible de clients aient régularisé leur situation d’ici l’introduction du nouveau régime. C’est pourquoi elles les invitent à le faire avant cette échéance. Elles menacent même de fermer les comptes de clients qui ne les déclareraient pas au fisc de leur pays dans un certain délai.

Selon Thomas Sutter, l’Allemagne serait un modèle pour les pays de l’UE. «Toutes nos conditions pour une régularisation du passé ont été remplies. Depuis quelques semaines, nous profitons d’un accès facilité au marché et avec le programme d’annonces volontaires sans sanctions, nous avons trouvé une excellente solution en ce qui concerne le passé», relève le porte-parole.

Une masse de données à traiter

Si le différend fiscal avec l’Allemagne et la France se résout peu à peu, il n’y a pas de solution en vue avec l’Italie. Cependant, un accord sur l’application de l’impôt libératoire serait souhaitable, juge Sergio Rossi, professeur d’économie à l’Université de Fribourg. «Avec le programme d’auto-dénonciation décidé par l’Italie, la Suisse ne peut plus demander de contrepartie. De plus, l’échange automatique d’informations ne résout pas complètement les problèmes hérités du passé», dit-il.

L’économiste estime que «c’est par peur de sanctions pénales que les titulaires de comptes à l’étranger ne s’annoncent pas». Pour cette raison, l’Italie devrait être également intéressée à trouver un accord destiné à rapatrier des capitaux détenus par des contribuables italiens à l’étranger, de l’argent dont elle a un urgent besoin.

Mais selon Sergio Rossi, ce n’est pas uniquement en raison de sa situation financière précaire que l’Italie aurait besoin d’un accord sur l’application de l’impôt libératoire. En effet, si, d’un côté, l’introduction de l’échange automatique d’informations empêche l’évasion fiscale, de l’autre, le contrôle de l’énorme quantité de données ainsi générée place les autorités fiscales face à une tâche quasi herculéenne. «Par rapport à l’Allemagne et à la France, l’Italie ne dispose pas d’un appareil administratif capable d’évaluer toutes les informations qui seront à l’avenir livrées par les banques suisses», estime le professeur.

L’échange automatique d’informations équivaut à un changement de paradigme dans la lutte contre la fraude fiscale à l’échelle internationale.

Pour l’Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE), il s’agit simplement de la poursuite du modèle d’échange d’informations sur la base d’une demande.

Le Comité des affaires fiscales de l’OCDE, dont la Suisse fait partie, a établi que le standard de l’échange automatique d’informations sera présenté les 22 et 23 février à Sydney, dans le cadre d’une rencontre ministérielle du G-20.

En juin 2013, le gouvernement suisse a chargé l’administration fédérale de collaborer à l’élaboration de ce nouveau modèle.

Le Comité des affaires fiscales de l’OCDE a l’intention d’approuver le nouveau modèle en juin 2014 et en septembre, il reviendra aux Etats membres du G-20 de donner leur aval politique.

Le standard ne fixe aucune règle par rapport aux problèmes hérités du passé.

(Traduction de l’allemand: Olivier Pauchard)

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