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Bataille éthique et juridique autour de… géraniums

Le médicament umckaloabo® et son principal produit actif, les racines de pélargonium. arco

L'ONG suisse Déclaration de Berne aide une communauté sud-africaine à contester deux brevets concernant l'utilisation de variétés locales de géraniums. L'entreprise pharmaceutique allemande Dr Willmar Schwabe, qui détient ces brevets, estime n'avoir commis aucun acte répréhensible.

Le litige présenté au Bureau européen des brevets de Munich concerne deux espèces de pélargoniums, une sorte de géraniums provenant de l’est de la province du Cap, en Afrique du Sud.

Des extraits de ces plantes sont utilisés en Europe depuis plus de 100 ans. Dr Willmar Schwabe les utilise désormais pour son umckaloabo®, un médicament contre la toux et les problèmes respiratoires. L’umckaloabo® est autorisé en Suisse depuis 2007. Selon l’ONG Déclaration de Berne, le produit des ventes s’est monté à environ 6 millions de francs en Suisse et environ 40 millions en Allemagne.

Mais la communauté de la ville d’Alice (province du Cap) et le Centre africain pour la sécurité biologique (ACB) contestent deux brevets. L’un concerne la méthode d’extraction utilisée et l’autre le droit exclusif d’utiliser le pélargonium pour les traitements contre le sida.

La directrice d’ACB Mariam Mayat a indiqué à swissinfo que la communauté d’Alice estimait que ces brevets étaient illégaux et qu’ils violaient ses propres droits. La directrice s’est exprimée lors d’une conférence de presse tenue jeudi à Zurich.

«La population a accès à ces plantes depuis des temps immémoriaux; elle utilise les racines pour traiter différentes affections de manière traditionnelle, tant chez les humains que les animaux», a déclaré Miriam Mayat. Et la directrice d’ACB d’ajouter que cette plante est désormais surexploitée.

A ses yeux, les activités de l’entreprise pharmaceutique allemande vont à l’encontre la Convention des Nations Unies sur la diversité biologique. En qualité de pays signataires de cette convention, les gouvernements suisse, allemand et sud-africain devraient intervenir, estime Miriam Mayat.

Savoir traditionnel

La communauté d’Alice demande le retrait des brevets. Elle réclame également une compensation et une protection des espèces végétales locales.

«Notre population veut empêcher les entreprises de prétendre qu’elles ont inventé cette médication, car elles se comportent comme des voleurs qui pillent notre savoir traditionnel», a précisé la porte-parole de la communauté Nomthunzi Sizani.

Outre de nombreuses organisations non gouvernementales (ONG) allemandes, Fritz Dolder, spécialiste des brevets à l’Université de Bâle, soutient lui aussi ces revendications. A ses yeux, il n’existe aucune base pour établir un brevet sur l’extraction, étant donné que ce processus n’est ni nouveau ni innovant.

Par ailleurs, l’utilisation de pélargoniums contre le sida ne pourrait pas faire l’objet d’un monopole, car ces plantes ont déjà été utilisées de manière traditionnelle pour le traitement de maladies en relation avec le sida, a ajouté le spécialiste.

«Nous nous opposons à ces brevets parce qu’il est évident que si de tels cas de bio-piraterie existent encore, s’est aussi la faute de pays développés comme la Suisse», a expliqué François Meienberg, membre de la Déclaration de Berne, en ajoutant que la Loi sur les brevets devrait être renforcée.

Un produit différent

L’industrie pharmaceutique a une vision tout à fait différente de la situation. Directeur du marketing et des ventes auprès de Spitzner Pharmaceuticals – une filiale de Dr Willmar Schwabe, Traugott Ullrich estime que le brevet sur l’extraction n’a pas de raison d’être contesté.

«L’utilisation d’extraits de pélargoniums n’a pas seulement une longue tradition en Afrique, mais aussi en Europe, où ils sont utilisés dans le domaine médical depuis plus de 100 ans. Après 50 à 60 ans d’utilisation dans toute l’Europe pour différentes préparations, nous avons acheté le produit et l’avons développé plus avant», a-t-il déclaré à swissinfo.

Le directeur dément que son entreprise a pillé un savoir traditionnel, car son produit final est très différent. Par ailleurs, la plante ne fait selon lui pas l’objet d’une surexploitation.

«Nous disposons désormais d’une procédure d’extraction très complexe et très sophistiquée qui a été développée grâce à nos recherches et à nos investissements; cette procédure ne peut pas être comparée à d’autres méthodes», conclut-il.

swissinfo, Isobel Leybold-Johnson, Zurich
(Traduction de l’anglais: Olivier Pauchard)

La Convention sur la diversité biologique est née lors du sommet de la Terre de Rio en 1992.

Elle va plus loin qu’une traditionnelle convention sur la protection d’espèce. Elle couvre tout le domaine de la protection et de l’utilisation durable de la diversité biologique sur le plan des habitats, des espèces et des gènes.

Du 19 au 30 Mai 2008, la 9ème Conférence des Parties à la Convention de l’ONU sur la Diversité Biologique (UNCBD) aura lieu à Bonn, précédée immédiatement, du 12 au 16 Mai, de la réunion des parties au protocole de Carthagène sur la prévention des risques biotechnologiques.

Cette réunion coïncidera avec la Journée internationale de la biodiversité qui aura lieu le 22 mai.

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