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L’accord de Genève risque de rester un voeu pieu

Le secrétaire général de l'ONU Ban Ki-Moon et la secrétaire d'Etat américaine Hillary Clinton lors d'un dîner organisé par la Suisse à Genève. Reuters

Tout comme l’opposition syrienne, la presse suisse se montre sceptique quant aux conséquences réelles de l’accord trouvé samedi à Genève sur une transition politique en Syrie. Le sort de Bachar el-Assad continue de cristalliser toutes les crispations.

«Fruit d’un difficile compromis arraché au terme de longues heures de négociations samedi au Palais des Nations à Genève, l’accord se révèle faible». Accueilli froidement par le Temps tout comme par les autres quotidiens suisses qui commentent la nouvelle, l’accord de transition politique en Syrie adopté à Genève détaille le principe d’un gouvernement d’union accepté par tous les Syriens. Mais il ne mentionne ni le sort du président Bachar el-Assad ni de calendrier précis pour mettre en œuvre la transition.

«Les efforts pour parvenir à une solution diplomatique du conflit en Syrie ont débouché sur une déclaration finale qui n’aura pas d’effet immédiat sur le champ de bataille», résume la Neue Zürcher Zeitung (NZZ). Selon le quotidien zurichois, cet accord reste «à l’heure actuelle un vœu pieu, puisque ni le régime de Bachar el-Assad ni les représentants de l’opposition armée ne sont prêts à la discussion».

Même son de cloche dans le Tages-Anzeiger, pour qui les principes et lignes directrices du texte adopté à Genève restent «vagues». Tout comme ses confrères, Jan Dirk Herbermann multiplie les points d’interrogation pour rendre compte du flou qui entoure l’accord entériné à Genève: «Comment le gouvernement de transition doit-il concrètement être formé? Et qu’adviendra-t-il du président Bachar el-Assad tant haï?»

«Malaise»

S’il juge réjouissant que les cinq détenteurs d’un siège permanent au Conseil de sécurité de l’ONU soient enfin parvenus à s’entendre, l’éditorialiste de la Tribune de Genève se montre très critique quant à la teneur même de l’accord.  «Le malaise s’installe à la lecture du document. Il condamne la violence du conflit et dit que la Syrie doit mettre en place un gouvernement «de transition» qui doit inclure tous les acteurs. C’est bien. Mais encore? Comment amener ces gens qui se massacrent à l’arme lourde à gouverner ensemble? Et quand? Aucune réponse». Et de relever que le document ne nomme même pas Bachar el-Assad, «alors que l’avenir du président syrien cristallise toutes les crispations».

Ce scepticisme est partagé par Le Temps, l’autre quotidien édité à Genève: «Aucun calendrier n’accompagne ce document, aucun article ne précise le rôle de la communauté internationale pour le traduire en actes. Surtout, l’indispensable convergence de vues des grandes puissances sur ce dossier n’est toujours pas d’actualité».

«La vacuité de ‘l’accord’ trouvé ne peut qu’être relevée. Elle symbolise l’impuissance de la communauté internationale à mettre fin aux massacres en Syrie», poursuit la Tribune de Genève. Quant à l’éditorialiste du Temps, il suggère d’agir vite pour que la Syrie ne vive pas de nouveaux mois douloureux: «L’alternative à la médiation, c’est-à-dire une intervention militaire, n’étant envisagée par aucun pays, reste à espérer que le premier document de ce Groupe d’action sur la Syrie puisse se muscler. Et très vite. Faute de quoi les civils syriens sont promis à un été meurtrier qui pourrait bientôt contaminer toute la région».

Trop de sang sur les mains

Faute d’autre choix, il serait toutefois prématuré de rejeter le plan présenté à Genève, écrit pour sa part la NZZ. «L’alternative au plan de Kofi Annan est sombre. La dislocation de la Syrie se dessine. On risque l’escalade dans la guerre civile en gestation, qui pourrait se propager au-delà des frontières syriennes, ce qui, malgré tous leurs contentieux, ne peut pas laisser indifférents les membres de Groupe d’action.»

L’organe de gouvernement transitoire exercera les pleins pouvoirs. Il pourra inclure des membres du gouvernement actuel et de l’opposition et d’autres groupes et doit être formé sur la base d’un consentement mutuel, a affirmé l’émissaire spécial de l’ONU et de la Ligue arabe pour la Syrie, Kofi Annan.

Le Tages-Anzeiger doute toutefois que les acteurs au conflit soient à même de trouver un terrain d’entente. «Il semble illusoire d’asseoir l’opposition et le régime syrien à la même table de négociations. Les membres de la clique au pouvoir à Damas ont en effet trop de sang sur les mains: depuis mars 2011, leurs troupes ont tué entre 10’000 et 15’000 personnes, souvent de manière bestiale».

L’opposition parle d’échec

Dimanche, la presse officielle syrienne, de même que des opposants, ont quant à eux qualifié d’échec l’accord de Genève. Sur sa page Facebook, Burhan Ghalioun, ancien chef du Conseil national syrien (CNS), principale coalition de l’opposition, l’a qualifié de «farce». Un autre membre du CNS, Khaled Khoja, a souligné qu’«en tant que CNS, nous refusons toute initiative qui ne dise pas clairement que (le président) Bachar al-Assad et son équipe de tueurs doivent quitter le pouvoir». Plus mesurée, Bassma Kodmani, porte-parole du CNS, a trouvé «quelques éléments positifs» dans le texte mais le trouve «trop vague pour entrevoir une action réelle et immédiate».

Les autorités syriennes n’avaient pas encore réagi officiellement dimanche en fin d’après-midi, mais la presse officielle parlait elle aussi d’ «échec». Dans ce contexte tendu, une réunion de deux jours de l’opposition syrienne doit s’ouvrir lundi au Caire. Mais des groupes de rebelles et d’opposants sur le terrain ont annoncé qu’ils allaient boycotter la réunion, la qualifiant de «complot» et accusant ses participants de se plier à un «programme russo-iranien».

Le Groupe d’action sur la Syrie, constitué par Kofi Annan, a regroupé les chefs de la diplomatie des cinq membres permanents du Conseil de sécurité, Etats-Unis, Chine, Russie, France et Grande-Bretagne, ainsi que de la Turquie, et des pays représentant la Ligue

arabe, Irak, Koweït et Qatar notamment.

Sur le terrain, le week-end a été particulièrement violent avec plus de 120 morts samedi et au moins 72 morts dimanche, dont 51 civils. Des bruits d’explosions ont résonné à Damas, les forces du régime de Bachar al-Assad continuant de bombarder des localités à la périphérie de la capitale, selon des militants.

L’armée turque a elle annoncé dimanche que des hélicoptères syriens se sont approchés de la frontière turque, à trois reprises samedi, et que la chasse turque a été envoyée en patrouille à la frontière. L’Etat-major turc a précisé qu’il n’y avait pas eu de violation de l’espace aérien turc.

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