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Coopération fiscale franco-suisse: année de transition

Doris Leuthard reçue à l'Elysée par le président français, c'était juste avant les vacances d'été... Keystone

L’avenant à la convention de double imposition entre la Suisse et la France est entré en vigueur en novembre. De quoi bouleverser les rapports entre les deux pays?

2009 fut une année plutôt noire dans les annales des relations franco-suisses. Il suffit de se rappeler la fameuse liste des 3000 personnes détenant des comptes bancaires à l’étranger brandie par le ministre Éric Woerth, noms qui lui venaient principalement de documents volés à la banque HSBC. Et 2010? Une année d’apaisement en matière de fiscale? De transition plutôt.

Au plus haut niveau, les relations sont renouées. Enfin. Après deux années sans le moindre contact direct entre chefs d’État, Nicolas Sarkozy a rencontré trois fois son homologue helvétique, Doris Leuthard. Fin janvier au World Economic Forum de Davos, en juillet à Paris lors d’une visite officielle de la conseillère fédérale et enfin en octobre lors du Sommet de la Francophonie à Montreux.

«L’atmosphère au niveau bilatéral s’est un peu détendue, note Maximilien de Watteville, président de la Chambre de commerce suisse en France. Le gouvernement français s’est soudain rappelé que la firme Dassault cherche toujours à vendre ses avions Rafale à la Suisse et que sur cette affaire, un référendum n’est pas exclu.»

Entrée en vigueur

Les âpres négociations sur le contenu du nouvel avenant à la Convention bilatérale contre la double imposition ont trouvé leur conclusion le 4 novembre dernier. Le nouvel accord entre en vigueur à cette date. Les dispositions sur l’assistance administrative, c’est-à-dire l’échange d’informations, s’appliquent dès l’année fiscale 2010.

Le fisc français peut dès maintenant adresser des demandes aux autorités fiscales helvétiques, à propos de tel ou tel contribuable soupçonné d’évasion fiscale. Un échange de lettres en début d’année à réglé, du moins en apparence, un point ultrasensible: «Dans le cas exceptionnel où l’autorité requérante présumerait qu’un contribuable détient un compte bancaire dans l’État requis sans pour autant disposer d’informations lui ayant permis d’identifier avec certitude la banque concernée, elle fournira tout élément en sa possession de nature à permettre l’identification de cette banque», écrit Urs Ursprung, directeur de l’Administration fédérale des contributions, à son homologue français.

Autrement dit, la France n’est pas obligée de fournir à la Suisse le nom précis de la banque, voire le numéro Iban. Pour autant, la «pêche aux renseignements», tant redoutée par la Suisse, est exclue. Le conseil fédéral a d’ailleurs émis une ordonnance qui limite singulièrement l’application des nouveaux accords de double imposition. Pas question de donner suite à des demandes fondées sur des données volées. Pas question d’entrer en matière si la requête ne contient pas « l’identification indubitable » de la personne visée et du « détenteur de renseignements », c’est-à-dire la banque. Sur ce dernier point, Berne fait donc le contraire de ce qu’il a écrit à Paris.

Alors? Que va-t-il se passer concrètement? « Pour l’heure, le fisc français a sous la main bien assez de cas qui peuvent être réglés par une demande précise aux autorités helvétiques, estime Me Nicolas Zambelli, avocat genevois spécialiste des affaires franco-suisses. Mais une brèche est ouverte et la question se reposera d’ici deux à trois ans, quand Paris soumettra à la Suisse des cas à propos desquels elle a des soupçons avérés, mais pas le nom de la banque».

Une étape

Pour l’avocat, 2010 ne marque qu’une étape. «Cette politique française agressive en matière de fraude fiscale ne fera que s’accroître. En France, les sanctions à l’égard des fraudeurs se sont d’ores et déjà alourdies. Paris a instauré une garde à vue fiscale et dirige son action sur le renseignement.»

Surtout, pèse toujours sur la Suisse la menace de nouvelles règles en matière européenne, voire internationales: pour l’heure, c’est l’échange de renseignements sur demande qui est prévu par l’OCDE. «Mais l’Union européenne tentera un jour ou l’autre de passer à l’échange automatique, chose que refuse pour l’instant la Suisse», note Nicolas Zambelli.

Le départ d’Éric Woerth, pas toujours très aimable avec la Suisse ces deux dernières années, et son remplacement par François Baroin ont-ils été bénéfique pour la «fluidité» des relations bilatérales? «Baroin est plus adroit que son prédécesseur», estime Serge Lemeslif, ancien président de l’Union des associations suisses de France. «Depuis l’arrivée de Baroin, les conditions de régularisation des avoirs cachés au fisc pendant des années sont encore plus strictes», nuance Nicolas Zambelli.

La Cellule de régularisation fiscale mise en place par Bercy en 2008 fonctionne toujours. «Mais seulement pour les montants importants, au-delà de 3 ou 4 millions d’euros, note Nicolas Zambelli. En dessous, ce sont les services régionaux qui s’en occupent. L’affaire Bettencourt et ses rebondissements en Suisse ont obligé le fisc à durcir le ton à l’égard de l’évasion fiscale.»

«La Suisse doit faire face à une véritable mutation de son système bancaire, résume Nicolas Zambelli. Pas seulement pour le pire. Contraintes de se réorganiser, les banques suisses tentent aujourd’hui de concurrencer les banques françaises sur le marché la compétition européenne. Et l’avenant à la Convention de double imposition présente des avantages fiscaux pour les Français qui souhaitent investir en Suisse.»

OCDE. L’échange d’informations dans des cas de fraude fiscale selon les standards de l’OCDE est désormais une réalité entre la Suisse et la France, avec l’entrée en vigueur début novembre de la convention révisée de double imposition (CDI) révisée.


Quand. Pour l’impôt sur le revenu, cette CDI s’appliquera aux revenus versés à partir du 1er janvier prochain. Pour l’échange d’information en cas de fraude fiscale (assistance administrative), elle s’applique dès le 1er janvier 2010.

Liste. La Suisse a décidé en mars 2009 de signer des conventions de double imposition aux normes de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) afin d’être rayée de la liste grise de cette organisation.

 

Retardé. La France avait été le troisième pays à signer une convention revue avec la Confédération. Sa ratification par le Parlement suisse avait toutefois été retardée suite à l’affaire des données bancaires volées par l’informaticien français Hervé Falciani à la filiale genevoise de la banque HSBC.

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