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Berne, capitale suisse de la représentation des femmes en politique

assemblée du parlement de la ville de Berne
Actuellement, le parlement de la ville de Berne se réunit dans une halle du centre d'exposition, afin de respecter les distances sociales. Keystone / Anthony Anex

La ville de Berne, souvent éclipsée par Zurich, Genève et Bâle sur le plan économique et culturel, se distingue par sa représentation particulièrement élevée des femmes dans les instances politiques. Un record national, et même mondial.

Fin janvier, lorsque les 80 membres du parlementLien externe de la ville de Berne participent à leur première session de l’année, 20 élus siègent pour la première fois: la moitié a moins de 30 ans, la plupart représentent des partis de gauche ou écologistes, et l’écrasante majorité est composée de femmes. 18 nouvelles parlementaires ont été plébiscitées lors des élections locales en novembre dernier, portant le nombre total de femmes au législatif de la ville à 55. Cela représente 70% de l’ensemble du conseil, un record national.

«Il s’agit vraiment d’une situation exceptionnelle», réagit Martina Mousson, analyste politique à l’institut de sondage gfs.bernLien externe. En Suisse, la représentation moyenne des femmes dans les parlements des villes se situe à 32%, elle baisse même à 30% dans les parlements cantonaux. Même au niveau national, où un bond historique lors des élections fédérales de 2019 a porté la part des femmes à 42% à la Chambre basse, la comparaison est dérisoire.

Martin Chungong, secrétaire général de l’Union interparlementaire (UIPLien externe), une organisation internationale basée à Genève qui récolte des données sur les représentations législatives dans le monde entier, affirme que les 70% d’élues de la ville de Berne sont un niveau «qui n’a encore jamais été atteint dans le monde, en tout cas pas dans les parlements nationaux».

Il indique que c’est actuellement le Rwanda qui possède la représentation féminine la plus élevée dans son parlement, avec 63% d’élues. La moyenne mondiale est toutefois d’environ 25%, et les progrès pour tenter d’atteindre la parité sont «terriblement lents», souligne Martin Chungong.

L’UIP ne collecte pas de données sur les représentations locales. Mais un rapport du Parlement européen suggère que la situation en Europe se rapproche de la moyenne mondiale: en 2018, 15% des maires et 35% des membres des assemblées locales ou régionales étaient des femmes. «Les femmes sont toujours sous-représentées dans les postes décisionnels et les postes de dirigeants, et ce dans tous les domaines de la vie. Mais la situation dans les gouvernements locaux et régionaux est particulièrement mauvaise», écrit le rapport.

Héritage de gauche

Comment Berne est-elle donc devenue la «Capitale du féminisme», comme l’a renommée le journal local Bund l’année dernière?

L’analyste Werner Seitz a écrit, au lendemain des élections de novembre dernier, que cette représentation féminine était le résultat de décennies de «travail acharné» des partis de gauche et du centre. En 1992, raconte-t-il, une alliance composée des socialistes, des écologistes et des centristes est devenue majoritaire au gouvernement de la ville. Depuis, la gauche a non seulement connu une période ininterrompue de trois décennies au pouvoir, mais elle a aussi régulièrement placé des femmes à des postes importants. En 1993 déjà, le gouvernement municipal était majoritairement féminin. Ces vingt dernières années, les élections à Berne ont régulièrement abouti à une occupation de plus de 40% des sièges par des politiciennes.

Martina Mousson ajoute que cet effet cumulatif est quantifiable: «Les candidates sortantes qui se représentent aux élections ont statistiquement de meilleures chances d’être élues». Ce qui signifie que les réussites des politiciennes ont tendance à se répéter.

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Valentina Achermann, 26 ans, est membre du Parti socialiste (PS, gauche) et fait partie des nouvelles élues au parlement de la ville de Berne. Son affiche de campagne portait le slogan «pour la justice sociale, toujours et partout». Elle estime toutefois que la représentation féminine n’est pas seulement une question politique de gauche.

Son parti, qui compte 21 parlementaires municipaux dont 16 femmes, n’a pas établi les listes électorales en tenant compte du genre, explique-t-elle. Ce sont les électeurs qui ont décidé d’eux-mêmes de voter pour les candidates. En effet, les listes du PS et des autres partis comptaient plus d’hommes que de femmes, mais les candidats n’ont tout simplement pas été élus.

Valentina Achermann indique également que cette tendance n’est pas limitée à la gauche: par exemple, les sept parlementaires libéraux-radicaux (PLR, droite libérale) ne comptent qu’un seul homme. Simone Richner, 35 ans, est l’une de ces nouvelles élues PLR. Son parti, avec sa tradition libérale, considère également la promotion des jeunes candidates comme «extrêmement importante». C’est un «thème de société», déclare Simone Richner, qui ajoute que les modèles féminins sont particulièrement essentiels dans les zones rurales, où les femmes sont plus réticentes à s’engager en politique.

grève des femmes
Lors de la grève des femmes de 2019, entre 40’000 et 60’000 personnes ont défilé en ville de Berne. © Keystone / Peter Klaunzer

Grève des femmes

Corina Liebi est aussi une nouvelle élue au parlement de la ville. Cette verte libérale (PVL, centre) de 25 ans affirme que la domination durable de la gauche est clairement un facteur qui permet cette représentation féminine élevée, mais il n’est pas le seul. Elle attribue également ce résultat au grand nombre de jeunes à Berne, qui poussent vers une politique plus progressiste. «Les jeunes ont tendance à écouter davantage les voix nouvelles», dit-elle.

Selon Corina Liebi, la grève nationale des femmes de 2019 a eu un fort impact, car elle a été largement suivie dans tout le pays et tout particulièrement à Berne. Elle estime que ces 70% de représentation féminine au parlement est le fruit de cette action, qui a politisé et inspiré de nombreuses jeunes femmes. Des mouvements comme «Helvetia vous appelleLien externe», une campagne visant à impliquer davantage les femmes dans la politique fédérale, ont également été décisifs.

Une analyse partagée par Martina Mousson, qui ajoute que les élections municipales bernoises ont aussi été influencées par des organisations féminines comme Alliance F, qui a «de très bons réseaux dans la ville». Le scrutin a également bénéficié d’un «effet de résonance» après les élections fédérales de 2019, précise l’analyste. Des études montrent que les élections nationales sont souvent un prélude aux élections locales et régionales des années suivantes.

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Un tournant?

Reste à voir si la représentation féminine très élevée au parlement municipal va réellement modifier la politique de la ville.

Certains ne veulent pas non plus que les débats sur le genre éclipsent d’autres priorités. Claudio Righetti du parti Le Centre fait figure d’exception parmi les nouveaux élus, car il est plus âgé, de centre droit et de sexe masculin. Il affirme que «l’égalité des chances est évidemment importante», mais qu’il y a des choses plus essentielles dont il faut discuter à Berne. Claudio Righetti pense que la ville s’est «emprisonnée» au cours des dernières décennies dans une lutte acharnée entre les factions de gauche et de droite. Il considère que son travail, au-delà de l’idéologie, consiste à diriger les débats sur l’avenir économique et culturel de Berne, et à éviter que la ville ne se replie sur elle-même.

Martin Chungong constate que la parité dans les parlements du monde entier induit des politiques «plus sensibles et réactives aux questions de genre». D’autres mettent toutefois en garde contre les statistiques, car les chiffres peuvent être trompeur: par exemple si les femmes sont sous-représentées ou discriminées dans d’autres domaines de la société.

Un problème concret mentionné par plusieurs nouvelles élues au parlement de la ville de Berne est l’impossibilité de se faire remplacer en cas d’absence. Le législatif municipal ne prévoit pas de suppléance en cas de maladie ou de congé maternité, cela signifie que le député perd son vote s’il ne peut pas venir en personne à l’assemblée. Une difficulté supplémentaire pour les élues.

Le Parlement se féminise en Valais

Les élections cantonales valaisannes du 7 mars ont également vu la représentation féminine faire un bond: la part d’élues passe de 19% à 35%. Sur les 97 candidates à briguer un des 130 sièges, 45 ont été élues.

Au cours des dernières décennies, la sensibilité politique des villes suisses a tendance à se déplacer vers la gauche en raison de l’afflux de jeunes gens au bénéfice d’un niveau d’éducation élevé, tandis que les zones rurales restent plus conservatrices. Mais l’évolution du nombre de femmes dans les parlements municipaux et régionaux se fait plus lentement. Selon Martina Mousson, l’exemple de Berne pourrait encourager d’autres municipalités.

Certains pensent que la situation politique de la ville pourrait aussi rester une exception: les élections bernoises se sont déroulées à un moment particulier, après le mouvement #MeToo, la grève des femmes et le succès du parti écologiste au niveau national. Simone Richner craint que cette représentation féminine de 70% ne soit le point culminant d’une vague. Et lorsque de tels extrêmes sont atteints, «généralement, des contre-mouvements commencent à prendre forme», prévient-elle.

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