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Des Suisses dans le tourbillon des grèves en France

Le 15 septembre dernier, la grogne s'est exprimée dans les rues en France. Keystone

La France connaît ce jeudi une nouvelle «journée d’action». Objectif des syndicats : faire reculer le gouvernement, qui s'apprête à faire passer son projet de réforme des retraites. Trois regards helvétiques sur des grèves attendues.

Une grève de plus ? Ou le début d’un vaste mouvement de protestation ? Une chose est sûre. Jean-Philippe Ottou défilera dans les rues de Toulon. Le franco-suisse, qui travaille à Electricité Réseau Distribution France (ERDF), n’est pas syndiqué. Il n’a pas d’étiquette politique particulière. Mais cette réforme, dit-il, est «injuste».

«Injuste envers les femmes, dont les carrières souvent discontinues ne sont pas prises en compte. Injuste aussi pour ceux qui ont un travail pénible. Plus grave encore, tout le poids de la réforme repose sur les salariés.»

Au-delà de la «Grogne» franchouillarde

Le 7 septembre dernier, lors de la dernière «journée d’action», Jean-Philippe Ottou a vu défiler à Toulon «des gens qui n’avaient jamais manifesté de leur vie, des salariés du privé, de nombreuses femmes.» Signe, selon lui, que le mouvement contre la réforme des retraites s’étend au-delà des clients habituels de la «Grogne» franchouillarde.

L’enjeu est crucial : si le projet reçoit le 5 octobre prochain l’aval du Sénat, l’âge légal de départ à la retraite grimpera progressivement de 60 à 62 ans. Et il faudra avoir 67 ans, et non plus 65, pour bénéficier d’une retraite à taux plein.

Une vraie rupture, au pays des «acquis sociaux». «Quand j’ai commencé ma carrière à ERDF, on m’a promis la retraite à 55 ans, note le Varois, petit-fils d’un Suisse parti travailler dans l’hôtellerie à Hyères. Je faisais partie de la force d’intervention et devais monter jour et nuit sur des pylônes, ce qui était considéré à l’époque comme un emploi pénible. Aujourd’hui, je sais que je prendrai ma retraite à 62 ans.»

Une évolution naturelle ? On peut penser, comme le fait le gouvernement et de nombreux autres Etats européens, que l’allongement de la vie, en accroissant le déséquilibre entre cotisants et retraités, oblige les salariés à travailler plus longtemps. «On aborde le problème à l’envers ! Si les Français ont la plus grande espérance de vie du monde, c’est justement parce qu’ils s’arrêtent de travailler un peu plus tôt que les autres», estime le franco-suisse.

Les exceptions sont souvent la règle

Tous les Suisses de France ne partagent pas cette opinion, mais beaucoup jugent cette réforme plutôt brutale. «L’absence de démocratie directe en France rend impossible ce qui est courant en Suisse : le peuple qui vote une augmentation de cotisation ou un allongement de durée de travail. Du coup, les réformes sont moins fréquentes, plus importantes et beaucoup plus impopulaires», remarque le binational Philippe Alliaume, rédacteur en chef du magazine des suisses et des amis de la Suisse Suisse Magazine.

Il en sait quelque chose : ce Parisien a géré pendant plusieurs années l’une des plus grosses caisses de retraite françaises. Avec ce constat : dans l’hexagone, uniformité républicaine ne rime pas toujours avec transparence. Et les exceptions sont souvent la règle. «Vivement que le pouvoir politique s’attaque à l’efficacité de ces caisses semi-privées et oblige l’argent des cotisations à être affecté exclusivement aux retraites et dépensé avec parcimonie.»

Ce qui choque plus que tout les Suisses, ce sont justement ces petites exceptions, ces «niches» qui ont la peau dure. Exemple le plus frappant : les retraites des parlementaires. Pour un seul mandat, les élus touchent plus de 1500 euros. «C’est assez choquant, surtout quand on connait autour de soi des gens qui ont cotisé des décennies et qui ne reçoivent que 700 ou 800 euros », fulmine Catherine Minck, une enseignante franco-suisse à la retraite.

Mettre de l’eau dans le vin

Si la réforme passe, «c’est toute une culture qu’il va falloir changer, note Catherine Minck. En France, le jeunisme domine partout. Aux États-Unis ou en Allemagne, les seniors sont assez bien intégrés dans l’économie, mais ici, après 55 ans, on ne vaut plus rien ou presque.»

Un constat partagé par Philippe Alliaume. «La réforme de la retraite en France va consister à allonger de deux ans le temps de travail d’une population qui à partir de 50-55 ans est très souvent et contre son gré chômeuse, ou à l’Assurance invalidité. Le déficit économisé sur l’AVS va donc se déverser sur l’AI ou le chômage.»

Quelles sont les chances des grévistes? Faut-il croire à un durcissement du mouvement ? Jean-Philippe Ottou espère que la «rue» obligera les sénateurs à mettre de l’eau dans leur vin. Le pari est loin d’être gagné. On voit mal le chef d’Etat Nicolas Sarkozy, qui a fait de la réforme des retraites la mesure phare de son quinquennat, reculer.

Equilibre. Le projet de loi prévoit une série de mesures visant à assurer l’équilibre du système de retraites en 2018.

62 ans. Dès juillet 2011, l’âge minimum légal sera relevé de 4 mois tous les ans, pour atteindre 62 ans en 2018.

Age minimum. Parallèlement, la durée de cotisation continuera d’augmenter, comme prévu par la réforme de 2003. Elle devrait atteindre 41,5 ans en 2020. L’âge minimum pour bénéficier d’une retraite à taux plein, quelle que soit la durée de cotisation, passera également de 65 à 67 ans.

Le taux de cotisation des fonctionnaires sera progressivement aligné sur celui des salariés du privé. Ainsi, il passera de 7,85 à 10,55 % d’ici 2020.

Des euros en moins. Selon le gouvernement, cette hausse devrait se traduire par une baisse moyenne de salaire de 6 euros par mois. Le principe d’un départ anticipé pour les personnes ayant commencé à travailler tôt sera également révisé.

Réserve. Les salariés ayant commencé à 14, 15 ou 16 ans pourront prendre leur retraite à 58, 59 ou 60 ans, sous réserve d’avoir validé le nombre minimum de trimestres requis majoré de deux ans

Le trafic aérien sera fortement perturbé jeudi par les grèves – dont celle des aiguilleurs du ciel – contre la réforme des retraites, avec un vol sur deux annulé à Orly, et 40% à Roissy ainsi que sur les aéroports du reste de la France, a indiqué la Direction générale de l’aviation civile (DGAC) mercredi.

Les perturbations annoncées sont plus importantes que le 7 septembre, précédente journée de mobilisation interprofessionnelle contre la réforme.

Ce jour-là, la DGAC avait demandé aux compagnies aériennes de réduire leur programme de vols de 25% à Orly et Roissy

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