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Dix jours au cœur d’un régime totalitaire

Les chars à bœuf sont omniprésents sur les routes nord-coréennes. Peter Vollmer

Une délégation parlementaire s’est rendue récemment en Corée du Nord, pour visiter entre autres des projets menés par la coopération suisse. Ancien député socialiste, Peter Vollmer livre ses impressions sur son deuxième voyage dans ce pays coupé du monde et du temps.

«La première chose que nous avons dû faire à notre arrivée à Pyongyang, c’est nous séparer de notre téléphone portable», affirme Peter Vollmer, un ancien conseiller national (député) du Parti socialiste suisse. Pendant dix jours, la délégation parlementaire helvétique a été ainsi coupée du monde, privée d’Internet, de la presse étrangère et de la télévision. «Téléphoner reste possible, mais c’est compliqué. La Corée du Nord possède son réseau téléphonique mobile avec sa propre fréquence. Internet existe, mais la connexion est très limitée. On ne voit en revanche aucune antenne parabolique sur les toits des maisons.»

Pour les cinq parlementaires en fonction et les trois anciens députés de différents partis, le voyage en Corée du Nord a débuté dans la capitale Pyongyang. Accompagnés de traducteurs et de «guides» de voyage, ils ont ensuite poursuivi leur visite du pays en bus, passant par Hwangu, Yonson, Kaeson et Wonson. Ils ont également pu admirer les monts Kumgang et découvrir la fameuse ligne de démarcation entre les deux Corée, datant de l’armistice de 1953.

Des rues propres, mais vides

«A Pyongyang, la densité urbaine est extrême. D’innombrables immeubles surgissent de terre». Les portraits et les monuments géants à la gloire de Kim Il Sung, le grand-père, et de Kim Jong Il, le père de l’actuel dirigeant, sont omniprésents. Aucun panneau publicitaire ni enseigne lumineuse ne sont en revanche visibles. «Dans les maisons, seule une lumière ténue brille. A la tombée de la nuit, certains habitants vont lire leur livre ou leur journal à la lumière des lampadaires publics», raconte Peter Vollmer.

Tout est très propre et très bien entretenu. «Partout, jusque dans les plus petits villages, des équipes de civilistes et de soldats s’emploient constamment à bichonner l’espace public». Le trafic routier est quasiment inexistant, le trafic privé encore moins.

«Sur l’autoroute, notre bus était bien esseulé et notre chauffeur devait zigzaguer entre les nombreux nids de poule. Nous avons également circulé sur des routes en terre, essentiellement fréquentées par des piétons et des cyclistes ou alors utilisées par les agriculteurs pour sécher le maïs. Notre chauffeur a été passablement mis à contribution, il lui a fallu près de deux heures pour parcourir 60 km.»

Approvisionnement difficile

Les parlementaires ont visité plusieurs programmes financés par la Suisse, comme ce projet de culture de terrains en pente raide. «La Corée du Nord ressemble parfois à l’Emmental: aux collines en pente douces succèdent rapidement des pentes beaucoup plus abruptes et des régions montagneuses avec peu de terres agricoles exploitables. La Suisse peut apporter son précieux savoir-faire dans ce domaine», affirme Peter Vollmer.

Par ailleurs, la Suisse livre depuis des années du lait en poudre à la Corée du Nord. Enrichi en vitamines, il est emballé et distribué par le Programme alimentaire mondial (PAM) aux nourrissons, aux écoles, aux hôpitaux et aux centres de soins de jour pour enfants. «Le projet fais sens car il apporte une aide directe à la population.»

En Corée du Nord, même après la grande famine des années 1990, des millions de personnes sont toujours dépendantes de l’aide alimentaire étrangère. Lors d’une visite dans un orphelinat créé par l’organisation non gouvernementale Caritas, la délégation suisse a pu constater que de nombreux enfants étaient bien trop chétifs pour leur âge. «Les conséquences de la malnutrition sont irréversibles, c’est déprimant.»

Un pays à terre?

Selon l’ancien conseiller national, le pays se trouvait, lors de sa dernière visite en 1985, dans un bien meilleur état. «La Corée du Nord avait alors franchi le pas vers la mécanisation de son agriculture, et même commencé à développer ses propres tracteurs. La chute du Mur de Berlin et l’effondrement de l’Empire soviétique ont eu des conséquences dramatiques. La Russie a fermé du jour au lendemain le robinet du pétrole, ne livrant son brut que contre des devises fortes. L’économie nord-coréenne fut ainsi quasiment anéantie. Puis vint la grande famine, un revers énorme pour le pays.»

Aujourd’hui, il doit faire face à une forte désindustrialisation, la productivité et le rendement des cultures sont faibles, les infrastructures obsolètes. De nombreuses usines sont à l’arrêt et, en raison des sanctions internationales, les pièces de rechange font défaut.

«Les Nord-Coréens se déplacent presque uniquement à pied. Ils transportent leurs marchandises sur le dos, sous un soleil de plomb, parfois sur 20 ou 30 km. Certains sont accompagnés de chars à bœufs.» Selon Peter Vollmer, le réseau ferroviaire, peu développé, est surtout utilisé pour le transport des marchandises. Les gens se déplacent également sur des camions parfois vieux de 50 ans. A Pyongyang, un métro et des trolleybus sont certes en circulation, «mais ils tombent très souvent en panne. Des centaines de personnes attendent souvent le bus au bord de la route. Parfois, celui-ci n’arrive jamais…»

Des signes d’ouverture

Les visiteurs suisses n’ont eu aucun contact direct avec la population, en raison notamment de la barrière des langues. «Ici ou là, des personnes nous ont fait signe ou se sont mises à rire sur notre passage.» Des discussions ont toutefois été menées avec des représentants officiels des ministères et lors des visites d’usines ou de projets.

«Nous avons pu aborder ouvertement de nombreux thèmes. Mais concernant le programme nucléaire et le boycott international qu’il provoque, les réponses ont été évasives. Quant aux droits de l’homme, ces questions n’ont été abordées qu’avec réticence». Aucun commentaire n’a été fait sur les nombreux articles qui ont évoqué, en Suisse et à l’étranger, la scolarité bernoise du leader actuel Kim Jong Un suite à son accession au pouvoir en décembre dernier.

Depuis sa dernière visite, Peter Vollmer a pu observer un certain assouplissement, même s’il demeure très subtil. La menace presque névrotique d’une guerre imminente n’est plus aussi présente. «Nous avons pu photographier pratiquement tout ce que nous souhaitions, hormis les installations militaires. Et si, lors de ma dernière visite il y avait un soldat à chaque intersection, sur chaque pont et de chaque côté des tunnels, ce n’est plus le cas aujourd’hui.»

Pour l’ancien conseiller national, la Corée du Nord est un pays pauvre qui tente de répondre aux besoins de base de sa population, même si c’est à un niveau très bas. La politique d’isolement a échoué. Une ouverture et des échanges avec le monde extérieur sont nécessaires. Et bien que son paysage ressemble à celui de l’Emmental, «le pays est encore très éloigné d’une société civile démocratique».

Peter Vollmer en est toutefois conscient, les parlementaires suisses n’ont pu appréhender qu’une infime partie de la réalité nord-coréenne durant ces quelques jours sur place, toujours étroitement escortés par des «guides» du régime.

La Corée du Nord se défend contre les critiques de l’ONU, qui l’accuse dans un rapport de violations graves des droits de l’homme.

«Nous sommes fiers de notre système exceptionnel de promotion et de protection des droits de l’homme dans notre pays», a rétorqué l’ambassadeur Kim Song au début du mois de novembre devant de Comité des droits de l’homme de l’ONU à New York. Ce rapport est le «produit d’une politique hostile des Etats-Unis et de l’Union européenne à l’encontre de mon pays».

Ledit rapport mentionne de nombreux camps pour prisonniers politiques, où le travail forcé, la torture et les châtiments corporels sont quotidiens. Selon les estimations de l’ONU, entre 150’000 et 200’000 personnes sont enfermées dans ces camps.

Selon le rapporteur spécial des Nations unies pour la Corée du Nord, Marzuki Darusman, plus de 60% de la population souffre de malnutrition.

Depuis plusieurs années, ce pays est également sous le feu des critiques internationales pour son programme nucléaire militaire. Après un premier essai en 2006, le Conseil de sécurité de l’ONU a imposé des sanctions à Pyongyang. Elles ont été durcies après un deuxième test effectué en 2009.

Depuis 1953, la Suisse participe à la Commission de supervision des nations neutres en Corée (CSNN), active sur la ligne de démarcation entre les deux pays. Si 146 officiers suisses non armés étaient déployés au début, ils ne sont aujourd’hui plus que 5.

La Suisse entretient depuis 1974 des relations diplomatiques avec Pyongyang. Depuis 2003, les deux pays mènent un dialogue politique, qui se déroule une fois par année alternativement à Berne et Pyongyang.

La Direction du développement de la coopération (DDC) dispose depuis 1997 d’un bureau à Pyongyang. Fin 2011, la Suisse a en grande partie mis fin à ses programmes d’aide au développement, mais elle reste active dans le domaine de l’aide humanitaire. Elle met ainsi gratuitement à disposition depuis 1995 du lait en poudre au Programme alimentaire mondial (PAM) des Nations unies en Corée du Nord.

(Traduction de l’allemand: Samuel Jaberg)

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