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A Genève, le monde en crise dialogue

Le plafond de la salle XX, est l'oeuvre du peintre espagnol Miquel Barceló. Keystone

Alors que le Conseil de sécurité de l’ONU peine à régler les grandes crises internationales du moment, que ce soit en Ukraine, au Proche-Orient ou en Afrique, les chefs de la diplomatie marquent leur territoire et discutent en coulisses à Genève, lors de la session de mars du Conseil des droits de l’homme. 

C’est une affluence particulièrement élevée qu’a connue la première semaine de la principale session du Conseil des droits de l’homme de l’ONU (CDH) à Genève, une ouverture consacrée à un «débat de haut niveauLien externe», selon l’expression consacrée. Quatre vingt treize chefs d’Etat, de gouvernement et de ministres ont défilé à la tribune de la salle XX, sous la voûte colorée et tourmentée du peintre espagnol Miquel Barceló.

«C’est une tendance qui se développe de plus en plus depuis quelques années. Les Etats viennent à ce débat de haut niveau pour présenter leur politique. Cela permet d’avoir une bonne description des priorités de chaque pays», relève Adrien-Claude Zoller, fondateur de l’ONG Genève pour les droits humains et observateur depuis près de 40 ans des arcanes onusiens consacrés aux droits humains.

L’inquiétude de la Suisse

Parmi les premiers orateurs de ce début de session du Conseil des droits de l’homme (CDH), le ministre suisse des affaires étrangères Didier Burkhalter  n’a pas caché la gravitéLien externe du moment en dénonçant  les exactions des groupes terroristes:

«Qu’y a-t-il, en effet, de plus sombre, de plus noir, que de forcer de petites filles à se faire exploser sur des places de marché pleine de monde?

Qu’y a-t-il de plus cruel que de commettre des attentats contre de jeunes écoliers en train de se préparer à affronter la vie?

Qu’y a-t-il de plus lâche que de chercher à faire taire la liberté d’opinion?

Qu’y a-t-il de plus intolérant que de vouloir détruire les symboles et la réalité d’une religion, qu’elle soit juive, musulmane ou autre?»

Et ce sont bien les tensions et les guerres qui secouent le monde aujourd’hui qui expliquent la présence des chefs de la diplomatie américaine ou russe.

Deux visions antagonistes

Mais au premier jour de la session, John Kerry et Serguei Lavrov ont bien marqué ce qui les sépare idéologiquement  sur le plan des libertés.

Tout en déclarant que les États-Unis reconnaissaient «les défis en matière de droits de l’homme posés par leur histoire et leur présent», John Kerry a affirmé ne connaître aucun autre pays qui ait fait autant pour renforcer les droits de l’homme que le sien.

Serguei Lavrov a rétorqué que «la communauté internationale devait être débarrassée de tout messianisme et respecter la diversité du monde.»

Pour Daniel Warner, politologue américano-suisse, «c’est toujours bien de voir venir à Genève de hauts-responsables qui prennent le Conseil des droits de l’homme au sérieux. Mais nous sommes dans un moment de très haute activité diplomatique, que ce soit avec l’Iran, Israël, l’Ukraine, mais aussi avec la Libye, la Syrie, des dossiers où la question des droits de l’homme a grand peine à trouver sa place.»

Et l’analyste de concéder: «Pour résoudre la question du nucléaire iranien, il faut que les Russes soient impliqués. Il est intéressant de voir Lavrov avec Kerry évoquer ce dossier en marge du CDH, tout comme celui de l’Ukraine. Ces discussions privées montrent bien un lien entre les différentes problématiques pour ces grands acteurs et qu’un seuil minimal de coopération est nécessaire.»

Frénésie dans les coulisses

Ces échanges pour la plupart se tiennent loin des micros et caméras. «Dans les coulisses du CDH, il y a beaucoup de discussions. Or ces discussions au plus haut niveau sont absolument nécessaires », souligne Daniel Warner.

Adrien Claude Zoller abonde dans ce sens: «Ça devient une tribune où l’on affirme des positions, mais il y a aussi énormément de rencontres dans les coulisses, prélude à de futures nouvelles négociations ou occasion pour éviter de futures confrontations. Le nombre de grands hôtels à Genève étant relativement réduit, ils peuvent facilement se rencontrer. Chaque ministre présent à Genève a un agenda très chargé. Les deux semaines qui précèdent la session de mars, les missions permanentes des Etats à Genève ne font que de préparer tous les petits entretiens qu’auront les uns et les autres. C’est un espace multilatéral qui dépasse le thème des droits de l’homme. » 

Le cris d’alerte du CICR

Président du CICRLien externe, Peter Maurer s’est également exprimé à la tribune du CDH :

«L’humanité veut que toutes les personnes blessées et malades doivent avoir accès aux soins de santé, sans aucune distinction.

L’humanité impose des limites à l’emploi excessif de la force et rend donc inacceptable l’utilisation d’armes qui empêchent de faire la distinction entre les civils et les combattants, ainsi que d’armes dont les effets sont contraires à la conscience publique. 

L’humanité, c’est la garantie d’un traitement qui respecte la dignité humaine en toutes circonstances, celles des ennemis capturés en particulier et des détenus en général».

Les droits humains ne finissent-ils pas par passer au deuxième plan avec cette intense activité diplomatique? Consultant en relations internationales et ancien ambassadeur suisse, Francois Nordmann ne le pense pas: «On s’y exprime tout de même sous l’angle des droits de l’homme et cette présence à haut niveau montre que le Conseil fonctionne et que personne ne le conteste.»

Adrien Claude Zoller précise: «Cette première semaine de haut niveau n’a pratiquement aucune influence sur le débat des droits de l’homme. C’est un peu comme si le Conseil retardait ses travaux de quelques jours. Une fois que les chefs d’Etat, les ministres des AE sont partis, le Conseil se met véritablement au travail.»

Les iles Fidji et le Botswana

Adrien-Claude Zoller invite par ailleurs à ne pas uniquement se focaliser sur les représentants des grandes puissances.

Et de citer la République des Fidji, dans l’océan Pacifique: «Après de nombreux coups d’Etat, Fidji s’est doté d’un gouvernement élu. La venue à Genève de son Premier ministre est donc un moment fort pour Fidji et pour ceux qui travaillent sur les problèmes qui minent l’île, comme la discrimination raciale.»

Devant le CDH, Josaia Voreqe Bainimarama a en effet souligné que des changements majeurs en matière de droits de l’homme avaient lieu à l’heure actuelle dans son pays, rappelant qu’il était le premier chef de gouvernement démocratiquement élu de l’archipel.  «La nouvelle Constitution établit pour la première fois un État laïc, assure l’égalité citoyenne, réaffirme les droits civils et politiques, tout en garantissant à la population, un éventail de droits économiques et sociaux.  Aujourd’hui, 91% des terres sont placées sous la propriété coutumière des autochtones, système qui ne peut être aliéné d’aucune manière», a souligné le Premier ministre fidjien.

Autre exemple cité par Adrien-Claude Zoller : le Botswana, qui est doté d’un gouvernement assez remarquable en Afrique, puisque ce pays n’a pas connu de coup d’Etat depuis son indépendance: «Or son gouvernement a complétement révisé sa politique en matière de droits de l’homme qui dépend désormais du ministère des affaires étrangères, dont la ministre est venue à Genève pour confirmer cette politique.»

Pelonomi Venson-Moitoi a en effet  mentionné les mesures prises par son pays «pour faire avancer les droits de la personne et assurer l’engagement de celui-ci dans la voie démocratique, engagement illustré par les élections générales d’octobre dernier.»

Deux poids, deux mesures, vraiment?

Reste à savoir si la politisation des débats qui avait miné l’ancienne Commission des droits de l’homme – remplacée par l’actuel CDH – est en train de ressurgir.

C’est le point de vue de Javad Zarif,  ministre des affaires étrangères de la République islamique d’Iran: «En dépit des acquis des Nations Unies, la propension à la politisation y prédomine, avec des conséquences négatives sur les droits de l’homme. Ce phénomène a laissé des traces indélébiles sur les procédures et mécanismes du Conseil, avec la sélectivité ou encore le principe deux poids deux mesures».

Et le ministre d’enfoncer le clou: «Alors que l’on combat l’intolérance, y compris religieuse, on justifie des caricatures qui blessent l’ensemble des musulmans du monde entier sous prétexte de liberté d’expression.» 

Semblant oublier les récents attentats de Paris, Copenhague et d’ailleurs en Europe, Javid Zarif a ajouté: «Comment se fait-il que la plupart des combattants que l’on trouve dans les groupes terroristes soient des citoyens de seconde zone des pays occidentaux?  Comment se fait-il que ces groupes n’opèrent qu’au Moyen Orient et en Afrique?», a questionné le ministre.

Sans commenter les propos du ministre iranien, François Nordmann reconnait: «Il y a bien un risque de politisation. Mais le CDH n’est pas un organe d’experts. C’est un Conseil regroupant des Etas qui fait donc de la politique sur les droits de l’homme. »

L’ONU surnage

Une chose est sûre, selon Daniel Warner, l’Organisation des Nations Unies fait preuve de résilience: «Par rapport au rôle primordial de l’ONU qui est de maintenir et restaurer la paix, ce genre de session montre que l’ONU n’est pas aussi dépassée que certains le pensent. Au moins, les normes du droit international sont maintenues par le CDH, même si l’ONU a bien de la peine à les faire respecter.»

Quant aux crises politiques majeures qui secouent la planète et qui inquiètent tant, Daniel Warner voit une lueur d’espoir : «On parle d’une nouvelle guerre froide ou d’une possible 3e guerre mondiale. Mais ici à Genève, on a vu que  Kerry et Lavrov cherchent aussi à coopérer sur plusieurs dossiers. »

Dans son discours en début de semaine à Genève, le Secrétaire d’État américain John Kerry a déploré «l’obsession» du Conseil des droits de l’homme (CDH) à l’encontre d’Israël, avec le maintien d’un ordre du jour permanent consacré à ce pays et un nombre croissant de résolutions le concernant.

Ce soutien à l’Etat hébreux est intervenu alors que le Premier ministre Benjamin Netanyahu était aux Etats-Unis pour dénoncer un probable futur accord sur le nucléaire iranien, une visite qui a fortement contrarié le président Barack Obama.

Le consultant François Nordmann rappelle que cette prise de position exprimée par John Kerry est un leitmotiv de la diplomatie américaine.

Le politologue Daniel Warner estime lui que cette position affaiblit le CDH et ses enquêtes sur les violations du droit humanitaire international consécutives à la guerre que se livrent régulièrement le Hamas palestinien et l’armée israélienne.   

«Dans le dossier israélien, le manque de leadership américain ne permet pas au CDH d’avoir plus de pouvoir. Le rapporteur spécial chargé d’enquêter sur la guerre de Gaza l’été dernier a démissionné et son prédécesseur a été très critiqué.»

Daniel Warner relève néanmoins qu’Israël a cessé de boycotter l’ExamenLien externe périodique universel – l’instrument phare du CDH qui permet de régulièrement passer en revue le bilan de chaque Etat en matière de respect des droits humains.

F. Burnand, swissinfo.ch

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