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Est-il légal d’astreindre tout le monde à un service citoyen?

Des pompiers volontaires installent des remparts pour se protéger des inondations. En raison du nombre insuffisant de volontaires, un service citoyen obligatoire est en cours de discussion en Suisse. Keystone / Lukas Lehmann

Une initiative populaire et une intervention parlementaire veulent obliger tous les Suisses à effectuer un service citoyen au bénéfice de la collectivité et de l’environnement. L’idée a pour but de sauver le système de milice et de résoudre la pénurie de personnel soignant. Le projet pourrait toutefois violer l'interdiction du travail forcé en vertu du droit international.

Une association suisse pour la promotion de l’engagement de milice appelée «ServiceCitoyen.ch» veut lancer en 2020 une initiative populaire qui obligera chaque citoyenne et citoyen suisse à effectuer un service de milice. Ce service peut être accompli soit sous forme de service militaire, soit sous forme d’un service de milice équivalent. Le Parlement déterminerait dans quelle mesure les étrangers – en dehors de l’armée – seraient autorisés à se porter volontaires.

De cette manière, les initiants veulent revaloriser l’engagement de milice, contribuer à la gestion des «défis écologiques et démographiques collectifs» actuels et «reconnaître les femmes comme des citoyennes à part entière».

En Suisse, seuls les hommes de nationalité suisse sont actuellement astreints au service militaire. Les femmes sont autorisées à effectuer leur service militaire sur une base volontaire.

+ Lisez ici pour comprendre le lien entre l’obligation de servir pour les hommes et l’introduction tardive du droit de vote des femmes

Par «défis démographiques», les initiants font principalement référence à la crise dans le domaine des soins. «Le système de santé est confronté à de sérieux problèmes de coûts et de personnel», dit Noémie Roten, coprésidente de l’association. Elle fait référence à une étudeLien externe selon laquelle un service citoyen pourrait atténuer les problèmes dans le domaine des soins de longue durée.

Crise du système de milice

En Suisse, il est d’usage d’assumer des charges et des tâchesLien externe publiques à temps partiel et à titre bénévole. L’armée suisse est également organisée selon le principe de la milice.

Cependant, depuis quelques années, le système de milice est en crise en raison du manque de volontaires, notamment pour assumer des fonctions politiques. L’armée a également des problèmes de personnel: de plus en plus de conscrits sont réaffectés au service civil ou dispensés de cours de répétition à court terme.

Plus de forces de travail grâce au service obligatoire

L’an dernier, le député du Parti démocrate-chrétien (PDC / centre droit) Beat Vonlanthen a déposé un postulatLien externe à ce propos. Il demandait au gouvernement si un service citoyen serait un moyen de renforcer le système de milice et de relever les nouveaux défis sociaux. Il chargeait le Conseil fédéral d’évaluer si, compte tenu du vieillissement de la population, un service citoyen pouvait augmenter l’offre de main-d’œuvre dans le domaine des soins et des soins infirmiers.

Le gouvernement a donné suite au texte: le Département fédéral de la Défense (DDPS) publiera fin 2020 un rapport sur le sujet. «La question de la compatibilité d’un service citoyen avec le droit international sera clarifiée», déclare Lorenz Frischknecht du DDPS à la demande de swissinfo.ch.

Le service citoyen est-il un travail forcé?

Le service citoyen comporte toutefois un piège. Les conventions internationales relatives aux droits de l’Homme, telles que la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) ou les pactes de l’ONU, contiennent des dispositions claires: personne ne peut être contraint à effectuer un travail forcé ou obligatoire. Le service militaire et le service civil de remplacement pour des raisons de conscience, les services en cas d’urgence et de catastrophe, et les services qui font partie des devoirs des citoyens ne sont pas considérés comme du travail forcé.

Un service général ou un service citoyen ne sont pas considérés comme exception par les conventions. Dans un rapport commandé par le Conseil fédéral, un groupe d’étudeLien externe a laissé ouverte la question de savoir si et comment une obligation générale de servir est compatible avec l’interdiction du travail forcé.

Néanmoins, les initiants sont convaincus qu’un service citoyen n’est pas de l’esclavage ou du travail forcé au sens des accords. «Le service citoyen est conforme aux droits de l’Homme et ne constitue pas un travail forcé», affirme Noémie Roten. Elle est même convaincue qu’il apporte plus de libertés, car les gens ont la possibilité de choisir entre plusieurs types de services.

La durée et le contenu du service sont déterminants

Rainer J. Schweizer, professeur de droit, qui a beaucoup étudié les questions liées aux services obligatoires, est plus sceptique: «Je ne suis pas sûr qu’il soit judicieux de vouloir combler des lacunes dans des domaines où il y a un manque de main-d’œuvre par un service citoyen.» Selon lui, un engagement à temps partiel moins important en faveur du bien commun, à l’instar de la protection civile, ne poserait cependant aucun problème.

Selon le droit international, le travail et les services qui «font partie des obligations civiques normales» ne sont pas considérés comme du travail forcé. «Dans certaines communautés de montagne, les villageois peuvent être contraints d’ériger des structures de protection contre un torrent si les inondations se produisent de manière répétée», explique Rainer J. Schweizer.

Il souligne toutefois qu’il n’est pas acceptable d’exploiter le travail d’une personne astreinte à un service obligatoire pour pallier une pénurie de main-d’œuvre dans l’industrie, le secteur de l’hôtellerie ou de la restauration. «Ou si le service dure si longtemps que la liberté de choisir une profession est effectivement restreinte», ajoute le professeur. Il relève toutefois que l’idée d’un service citoyen présente l’avantage de garantir une égalité des sexes et permet l’inclusion des étrangers.

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L’interdiction du travail forcé protège contre l’exploitation. Ce prisonnier de guerre soviétique a dû travailler comme esclave dans une usine automobile allemande en 1942. Keystone / Fabian Bimmer

Peu de chances pour le service citoyen

Le sort de l’initiative populaire dépend de la manière dont elle est interprétée. Comme les initiants admettent ouvertement qu’ils veulent résoudre les problèmes de manque de personnel, entre autres dans le secteur des soins, ils pourraient éventuellement se heurter à l’interdiction du travail forcé, qui vise à protéger contre une instrumentalisation de la main-d’œuvre.

L’Assemblée fédérale déclare les initiatives populaires nulles si elles violent des dispositions impératives du droit international, et l’interdiction du travail forcé en fait partie. Cependant, les initiatives populaires en Suisse n’ont été que rarement déclarées nulles. Il est donc tout à fait possible que le service citoyen finisse par être soumis en votation populaire.

Le professeur estime toutefois que l’initiative n’a aucune chance auprès de l’électorat suisse. Le service citoyen ne correspond pas à la mentalité helvétique: «Le citoyen suisse moyen d’aujourd’hui veut avant tout gagner de l’argent et subvenir à ses besoins ainsi qu’à ceux de ses proches et non pas servir le grand public.»

(traduction de l’allemand: Katy Romy)

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