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Le Prix Martin Ennals dévoile la face obscure du Mexique

L'avocate mexicaine Alejandra Ancheita est fondatrice et directrice de l’organisation ProDESC (Projet des droits économiques, culturels, sociaux). martinennalsaward.org

Alejandra Ancheita, tout comme ses concitoyens, est révoltée par la macabre découverte de charniers clandestins dans son pays. Rencontre à Genève avec la jeune lauréate mexicaine du Prix Martin Ennals des droits humains.

Rarement une distinction dédiée aux droits de l’homme aura résonné aussi crûment avec l’actualité. A Genève, une jeune Mexicaine s’est vu décerner le prestigieux Prix Martin Ennals, tandis qu’une onde de choc traverse son pays: des fosses clandestines contenant les restes de 28 personnes ont été découvertes samedi dans les environs d’Iguala dans l’Etat de Guerrero, au sud du pays. Une semaine plus tôt, 43 étudiants disparaissaient dans la même zone après une attaque de policiers et d’hommes armés appartenant à un groupe local de narcotrafiquants.

Selon le procureur de l’Etat de Guerrero, deux membres du gang des «Guerreros Unidos» ont avoué le meurtre de 17 des 43 étudiants disparus le 26 septembre. «Nous sommes tous suspendus aux nouvelles, des recherches ADN sont en cours pour savoir si ce sont les cadavres des étudiants qui se trouvent dans les charniers», raconte Alejandra Ancheita, encore sous le coup de sa nomination.

Une guerre très sale

«Ce Prix permet d’attirer l’attention du monde sur l’extrême gravité des violences là-bas. La disparition des étudiants n’est malheureusement pas un cas isolé, poursuit-elle. Le gouvernement nous doit des réponses, non seulement aux familles des disparus, mais à toute la société mexicaine. Les responsables doivent être identifiés et punis. Le laxisme des autorités mexicaines dans cette affaire va au delà de l’imaginable et montre la gravité de la situation.»

Comme le rappelle Amnesty international, «au Mexique, la violence est omniprésente. Chaque année, des milliers de personnes sont tuées ou enlevées par des bandes criminelles (les gangs de narcotrafiquants, Ndlr). Les membres de l’armée et de la police, déployées pour lutter contre ces gangs, commettent aussi de graves violations des droits humains.»

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Avec un Bangladeshi et une Chinoise

Fondatrice et directrice de l’organisation ProDESC (Projet des droits économiques, culturels, sociaux), cette avocate de formation lutte, avec son équipe, pour les droits des migrants, des travailleurs, des communautés autochtones, ainsi que des femmes. Son père, lui-même avocat au service des plus démunis, est mort dans des conditions suspectes alors qu’ Alejandra Ancheita n’était qu’une enfant.

Les membres de ProDESC s’évertuent à mener des campagnes visant à protéger les droits des personnes les plus marginalisées du Mexique. Ils ont ainsi obtenu de la part de grandes multinationales une amélioration des conditions de vie pour les travailleurs, notamment des logements décents, le droit aux soins gratuits, des salaires équitables et une éducation pour les enfants.

Plusieurs fois menacée de mort, Alejandra a perdu des collègues et amis, plus particulièrement des femmes qui remettaient en question le système patriarcal, très présent au Mexique. En 2013, une campagne de dénigrement la qualifiait d’«avocate du diable». Les bureaux de son organisation ont alors été saccagés.

«Ce Prix a d’autant plus de valeur que j’ai été nominée au même titre que des défenseurs du Bangladesh et de Chine. Ce qui prouve que les problèmes au Mexique sont aussi graves que dans ces deux pays.»

Une réalité qui tranche avec l’image du Mexique à Genève, où l’ambassadeur mexicain Luis Alfonso de Alba a été le premier président du Conseil des droits de l’homme en 2006. De Alba avait alors marqué les esprits par ses positions novatrices et progressistes en matière de droits de l’homme.

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«Le Mexique prend un grand soin de son image extérieure, en choisissant des diplomates extrêmement raffinés, cultivés, intelligents, issus de l’élite», commente Alejandra Ancheita.

Hausse des violences contre les femmes

Il est vrai que, dans ce pays où l’impunité règne (95% des violations des droits humains restent impunies) les violences évoquées sont surtout en relation avec l’insécurité que cela peut entraîner pour les touristes, et non pour la population locale.

Journalistes et défenseurs des droits de l’homme sont les cibles privilégiées des violences, souvent camouflées en agressions criminelles de droit commun. Lors de son dernier examen périodique universel (EPU) en octobre 2013, Mexico a reçu 24 recommandations concernant la protection des journalistes et des défenseurs de droits de l’homme.

«Les violences à l’encontre des femmes défendant les libertés augmentent, car leur image constitue une menace sur le plan culturel et social, relève Alejandra Ancheita. En 2010, l’ONU comptabilisait en moyenne 6,4 femmes assassinées chaque jour au Mexique. Pour 2013, on a répertorié 240 attaques contre des femmes défendant les libertés. C’est dans ces conditions que nous travaillons. J’espère que ce Prix constitue une protection pour nous, mais cela n’est pas une certitude absolue.»

Le prix Martin Ennals 

Qualifié de Nobel des droits humains, le Prix Martin Ennals, du nom de l’un des plus grands défenseurs des droits de l’homme (devenu en 1968 secrétaire général d’Amnesty International) a été créé en 1993.

Chaque année, un prix de 20’000 francs est décerné à une personne menant un combat exceptionnel contre des violations des droits de l’homme. Le prix vise à encourager les défenseurs en danger et qui ont besoin d’une protection immédiate. A côté des ministères des Affaires étrangères

(suisse, espagnol, allemand, irlandais, finlandais), la Ville de Genève prend en charge l’essentiel des coûts (en nature et en services) d’organisation de la cérémonie annuelle. Elle octroie également 11’650 francs à chacun des nominés pour leur permettre de mettre en œuvre des projets de leur choix.

La Fondation Martin Ennals est le fruit d’une collaboration entre les dix principales organisations des droits humains, qui en composent le Jury: Amnesty International, Human Rights Watch, la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme, l’Organisation mondiale contre la torture, Front Line, la Commission internationale des juristes, le Service international pour les droits de l’Homme, Human Rights First, Diakonie Allemagne et HURIDOCS.

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