Des perspectives suisses en 10 langues

Un projet suisse pour booster la formation en Afrique

Un client du premier cybercafé au monde équipé de tablettes. Il se trouve dans le quartier de la Médina à Dakar. AFP

L’Afrique décolle. Mais pour pérenniser ce développement, il faut mettre le paquet sur la formation des jeunes. C’est le credo que la coopération suisse au développement va marteler ce week-end au sommet de la Francophonie à Dakar avec à la clé un projet de cours en ligne ouvert à tous (MOOC) mené par l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL).


Lancé il y a quatre ans par Berne et l’EPFL à l’occasion du sommet de la Francophonie à Montreux, le Réseau d’excellence des sciences de l’ingénieur de la Francophonie (RESCIFLien externe) donne ses premiers fruits, comme la création d’un CentreLien externe universitaire de recherche sur l’énergie pour la santé à Yaoundé au Cameroun et un CentreLien externe asiatique de recherche sur l’eau à Saigon (Ho Chi Minh Ville) au Vietnam.

Comme l’explique Yuri Changkakoti, secrétaire général du RESCIF depuis le début de l’année, «la mise en place de laboratoiresLien externe de recherche conjoints est un objectif important du RESCIF. Mais la recherche n’est pas forcément le point fort de nos partenaires du Sud. Leur priorité concerne la formation.»

D’où l’idée de mettre sur pied en 2012Lien externe des MOOCs (Massive Open Online Courses/cours massifs en ligne libres). Dans le cadre du RESCIF, une trentaineLien externe de ces formations ont déjà été données.

L’éducation, un secteur délaissé

Si l’aide à l’éducation a progressé régulièrement depuis 2002, elle a atteint un pic en 2010, suivi d’un recul. L’aide totale à tous les niveaux d’enseignement a diminué de 7% entre 2010 et 2011.

En 2011, pour la première fois depuis 2002, l’aide à l’éducation de base a baissé, passant de 6,2 à 5,8 milliards de dollars de 2010 à 2011, ce qui représente un recul de 6%. L’aide à l’enseignement secondaire, qui partait déjà d’un niveau peu élevé, accuse un recul de 11 % entre 2010 et 2011.

Source : DDC

Les premiers MOOCs pilotés par l’EPFL ont suivi le modèle qui s’est développé aux Etats-Unis au début de la décennie. «Au départ, les universités américaines ont lancé des MOOCs avec les cours de leurs professeurs les plus fameux. Nos premiers cours en ligne ont suivi cette voie. Mais à la demande de nos partenaires du Sud, nous avons également monté des cours sur des matières de base dans la formation d’ingénieurs», explique Yuri Changkakoti.

Mieux répondre aux besoins du Sud

Mais là où le réseau géré par l’EPFL fait œuvre de pionnier, c’est avec les cours collaboratifs, construits donc en commun par une partie ou une autre des 14 universités francophonesLien externe issues de 11 pays d’Afrique, d’Amérique, d’Asie, d’Europe et du Moyen-Orient qui constituent le RESCIF.

«Cette formule permet de mieux répondre aux attentes des partenaires du Sud. Les chef d’établissement du RESCIF ont décidé en novembre 2013 de produire 10 MOOCs collaboratifs dans les deux ans qui viennent», précise le secrétaire général du réseau francophone.

Un premier de ces cours va démarrer début décembre. Il s’intitule «Des rivières et des hommesLien externe» et vise aussi bien les étudiants, les spécialistes que le grand public.

Basé sur des situations concrètes au Benin, en France, au Mexique ou au Vietnam, il propose «des savoir-faire méthodologiques et techniques pour évaluer l’état des cours d’eau et envisager des interventions transposables aux différents environnements au Nord comme au Sud», selon le descriptif du cours qui précise ne pas délivrer de certificat mais deux attestations de suivi.

La certification des cours constitue la prochaine étape. Pour ce faire, une convention doit être signée – lors du sommet de la Francophonie de Dakar – entre l’EPFL et l’Agence universitaire de la Francophonie (AUFLien externe) qui aura la charge de mettre en place un système permettant de délivrer des crédits de diplômes universitaires, en s’appuyant sur les réseaux des Campus numériques francophones de l’AUF.

Les bienfaits d’une éducation pour tous

Les faits démontrent qu’un système éducatif mieux adapté au contexte local et plus égalitaire est aussi plus efficace, comme l’illustre une comparaison entre le Pakistan et le Viet Nam.

La différence dans les inégalités éducatives entre les deux pays a contribué pour 60% dans leur différence de niveau de croissance par habitant entre 2005 et 2010.

Au Viet Nam, le revenu par habitant qui était inférieur d’environ 40 % à celui du Pakistan dans les années 90, l’a non seulement rattrapé, mais surpassé de 20 % en 2010.

En 1965, le niveau moyen de scolarité était supérieur de 2,7 années dans la région Asie de l’Est et Pacifique à celui de l’Afrique subsaharienne. Durant les 45 années qui ont suivi, la croissance annuelle moyenne du revenu par habitant a été de 3,4 % dans la région Asie de l’Est et Pacifique, mais de 0,8% seulement en Afrique subsaharienne.

La différence de niveau initial d’instruction pourrait expliquer environ la moitié de la différence dans les taux de croissance.

Source : DDC

«L’objectif est de renforcer l’employabilité des étudiants qui suivent les MOOCs du RESCIF et de pérenniser les cours eux-mêmes», explique Pierre-Jean Loiret, coordonnateur de projets numériques éducatifsLien externe à l’AUF.

Le vaste chantier de la formation

Alors que le continent africainLien externe suscite ces dernières années un intérêt croissant des investisseurs et des grandes économies du Nord et du Sud, la formation des jeunes en Afrique – 60 % de sa population a moins de 25 ans – est plus essentielle que jamais. Seul 60% en moyenne des enfants scolarisés en Afrique subsaharienne savent lire, écrire et compter à la fin du cycle primaire.

Comme le soulignent tant Pierre-Jean Loiret que Yuri Changkakoti, les universités en Afrique ont néanmoins connu une forte croissance du nombre d’étudiants.

«En moins de 10 ans, l’université de Ouagadougou est passée de 20’000 à 50’000 étudiants. Au Sénégal, certains cours se donnent dans des auditoires de 1500 à 2000 personnes. Les universités du continent souffrent non seulement de manque d’équipement, mais aussi de manque de professeurs qualifiés. Des lacunes que nos MOOCs peuvent contribuer à combler», détaille Yuri Changkakoti.

«La qualité de la formation et donc celle des enseignants est la priorité de l’Agence universitaire de la Francophonie. Les MOOCs peuvent être un vecteur de qualification pour les professeurs, qu’ils soient dans le cycle primaire, secondaire ou universitaire», renchérit Pierre-Jean Loiret, qui précise que l’AUF est en train de favoriser la création de MOOCs par les universités des pays en développement de l’espace francophone.

Depuis 2013, l’agence suisse de coopération au développement (DDCLien externe) appuie le projet de l’EPFL avec la Fondation Edmond de Rothschild à Genève. «C’est un exemple de cofinancement par des institutions aux mandats différents mais avec un objectif commun. Ce type de partenariat prendra plus d’importance dans le futur», souligne Chantal Nicod, cheffe de la division Afrique de l’Ouest au sein de la DDC. Selon Yuri Changkakoti, la production d’un MOOC coûte environ 50’000 francs suisses (sans compter le salaire des professeurs) et nécessite de très longues heures de travail.

Un smartphone et c’est parti

De fait, l’internet est de plus en plus accessible en Afrique. Si les ordinateurs sont encore relativement rares, les téléphones mobiles se répandent très rapidement. En 2013, l’Afrique comptaitLien externe 16 internautes, mais 63 abonnements à un cellulaire mobile pour 100 habitants, selon l’Union internationale des télécommunications (UIT). «Or, il est possible de suivre un MOOC via un smartphone », assure Chantal Nicod.

Cela dit, les universités sont fréquentées par les élites du continent africain. Moins de 10% des élèves obtiennent un baccalauréat (50% environ en Europe), selon Pierre-Jean Loiret.

«Raison pour laquelle, la DDC s’investit surtout dans l’éducation de base en intégrant l’éducation professionnelle et bilingue, soit la langue maternelle et le français», ajoute-t-elle.

De fait, en Afrique, le français et l’anglais – principales langues d’enseignement – ne sont maîtrisées que par 10 % environ des enseignants et des étudiants.

Le 15e sommetLien externe de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) se tient du 29 au 30 novembre à Dakar, capitale du Sénégal.

Les chefs d’Etat et de gouvernement de l’OIF s’y réunissent :

– pour définir les prochaines orientations de la Francophonie avec l’adoption d’une stratégie sur l’économie et d’une autre sur la jeunesse. 

– pour statuer sur l’admission de nouveaux pays avec le Kosovo, le Mexique et le Costa Rica comme observateurs. L’OIF réunira ainsi 80 pays, dont 57 membres et 23 ayant le statut d’observateur. Son budget annuel est d’environ 85 millions d’euros.

– pour élire le successeur du Secrétaire général de la Francophonie Abdou Diouf.

Pour l’heure, cinq candidats, dont quatre Africains, briguent le poste. Les favoris :

– l’ex-président burundais Pierre Buyoya,

– l’ex-ministre des Affaires étrangères et journaliste mauricien Jean-Claude de l’Estrac,

– l’écrivain Henri Lopes, ancien Premier ministre du Congo-Brazzaville et actuel ambassadeur en France,

– Michaëlle Jean, ex-gouverneure générale du Canada et envoyée spéciale de l’Unesco en Haïti, dont elle est originaire. Parmi les candidats, c’est la seule à avoir fait campagne en Asie en visitant le Viet Nam, le Laos et le Cambodge, tous membres à part entière de la Francophonie.

Une règle non écrite veut que le secrétaire général de l’OIF soit issu d’un pays du Sud, voire du continent africain. Pour l’heure, les pays africains n’ont pas réussi à se mettre d’accord sur un seul candidat. La Suisse espère pouvoir soutenir le candidat du consensus africain.

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