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L’UE pose ses conditions à la Suisse

Berne et Bruxelles en attente de jours meilleurs Keystone

La relation particulière avec la Suisse est arrivée «dans l’impasse», estime l’Union européenne, qui dresse une longue liste de doléances pour en sortir. Et qui prévient qu’il n’y aura pas de nouvel accord bilatéral sans une solution en matière institutionnelle.

Les ministres des Transports et de l’Energie de l’Union Européenne ont adopté jeudi 20 décembre leurs «Conclusions sur les relations avec la Suisse».  Accepté sans discussions, ce texte ferme constituera «l’alpha et l’oméga» des futurs développements de la relation particulière que l’Union européenne (UE) entretient avec son voisin suisse, qui passe par un écheveau de plus de 200 accords bilatéraux et sectoriels.

Soigneusement préparées par les experts de l’UE, ces conclusions en une douzaine de points dressent un état des lieux de la relation bilatérale, mais aussi les conditions pour avancer.

La Suisse «prend connaissance avec satisfaction du rapport du Conseil de l’Union européenne», a réagi jeudi Jean-Marc Crevoisier, porte-parole du ministère des Affaires étrangères, à la publication des conclusions européennes. «Nous attendions une réponse. Elle est là, la discussion de détail peut commencer», précise-t-il. Les deux parties ayant mis leurs points de vue sur la table, il s’agira de «faire preuve de créativité pour concilier les positions», annonce M. Crevoisier, sans préciser quelle forme prendra cet élan créatif. «Il y a toujours une solution lorsque deux partenaires ayant des intérêts communs sont constructifs», affirme le porte-parole.

Pour la présidente de la Confédération, l’approche bilatérale n’est pas dans l’impasse, contrairement à ce que disent certains. L’UE reconnaît que cette voie a un avenir et que la Suisse a fait des propositions actives pour la poursuivre, a dit Eveline Widmer-Schlumpf jeudi.

Quant au ministre de l’économie Johann Schneider-Ammann, il affiche la même confiance, tout en assurant prendre au sérieux les remarques de Bruxelles. «Je suis sûr qu’il sera possible de poursuivre sur la voie bilatérale. Les accords bilatéraux pourront encore se développer et être adaptés.»

(ats)

Et tout d’abord, le rappel d’un constat: les relations bilatérales concernant le marché intérieur sont «dans l’impasse,  en partie du fait que la question institutionnelle n’est pas résolue.»

Depuis plusieurs années, l’UE réclame en effet à la Suisse d’adopter un cadre institutionnel permettant en particulier une adaptation dynamique des accords à une législation européenne en évolution constante ainsi que l’interprétation homogène de ces accords. Bruxelles tient aussi à un «mécanisme indépendant de surveillance et d’exécution des décisions de justice» ainsi qu’à «un mécanisme de règlement des différends».

A l’heure actuelle, chaque avancée du droit communautaire est soumise – théoriquement – au bon vouloir du législateur suisse. Dans les faits, ces avancées sont généralement reprises sans coup férir.

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Texte durci

Mais il faut de la sécurité. L’UE prévient donc qu’à ses yeux, «aucune négociation quant à la participation de la Suisse au marché intérieur ne pourra être conclue sans que soit résolue cette question». Le texte a d’ailleurs été durci: la version précédente se contentait de «progrès significatifs».

Elle ajoute: «tout développement futur de ce système complexe d’accords augmenterait l’insécurité juridique.» Elle mettrait en péril non seulement l’homogénéité du marché intérieur, mais aussi la relation de l’UE avec ses partenaires de l’EEE. A l’image de l’UE, les Norvégiens sont en effet excédés par cette Suisse qui exige un costume sur mesure.

Plus loin, l’UE enfonce le clou : Elle considère que la Suisse est allée si loin qu’elle n’est plus seulement engagée dans une relation bilatérale, mais qu’elle participe désormais à un «projet multilatéral.»

Bref, le constat est ferme. Il faut donc que ça change.

Dans une lettre adressée l’été dernier aux Européens, la présidente de la Confédération, Eveline Widmer-Schlumpf, avait avancé des propositions de solutions, négociables. L’UE «accueille favorablement» cette démarche. Pour répondre notamment aux demandes européennes de rationaliser et d’améliorer le système actuel de contrôle et de surveillance, caractérisé par un système long et peu performant de discussions au sein de comités mixtes,  Berne proposait de mettre en place un système non-européen, national et indépendant.

Les «Conclusions sur les relations avec la Suisse» ont été adoptées en point A, soit sans discussions, par les ministres des Transports de l’UE, réunis en conseil, le premier à s’être tenu après le feu vert accordé au texte par les ambassadeurs auprès de l’UE.

Ce document a fait l’objet de plusieurs réunions des experts des Etats-membres avec les représentants de la Commission européenne. Auparavant, ceux-ci avaient reçu en audition l’ambassadeur suisse auprès de l’UE, Roberto Balzaretti.

Le texte servira de base à la lettre que le président de la Commission, José Manuel Barroso, et la Haute-Représentante pour les Affaires Etrangères, Cathy Ashton, enverront au Conseil fédéral vers la fin de l’année, en réponse à celle adressée en juin dernier par la présidente de la Confédération à l’UE.

Et on reparle d’EEE

Mais cette idée est rejetée par  l’UE, qui réclame «un mécanisme international de surveillance et de contrôle juridique.» Plusieurs sources communautaires ont confié à swissinfo.ch ne pas savoir exactement ce que recouvre cette terminologie assez floue. Mais le document précise plus loin que «le cadre institutionnel devrait présenter un niveau de sécurité et d’indépendance équivalent aux mécanisme créés dans le cadre de l’EEE.»

Quelques jours après l’anniversaire des 20 ans du rejet par le peuple suisse de l’adhésion à l’EEE, la question revient donc comme un boomerang…

L’UE indique malgré tout attacher une grande importance à la poursuite du dialogue avec son quatrième partenaire commercial. Elle invite d’ailleurs la Commission à lui faire rapport des progrès dans les discussions qui pourraient offrir «la possibilité de présenter une recommandation pour ouvrir des négociations avec la Suisse».

Les restrictions à la libre-circulation ne passent pas

Outre la question institutionnelle, ces «conclusions» européennes sont assorties de quelques piqûres de rappel pour la Confédération. A commencer par l’accord de libre circulation. L’UE «regrette» que la Suisse ait réintroduit la clause de sauvegarde pour 8 Etats (principalement de l’ex-bloc soviétique).

Une mesure «clairement en infraction» avec les accords. Elle réclame dans la foulée l’abrogation d’autres mesures d’accompagnement comme la règle dite des «8 jours»: l’obligation de déclarer 8 jours en avance les travailleurs des Etats-membres qui viennent effectuer un travail en Suisse (rénovation, bâtiment, etc.). 

Le texte évoque aussi logiquement le différend sur la fiscalité cantonale des entreprises, objet d’un bras de fer depuis plusieurs années entre Berne et Bruxelles.

«La Suisse étant notre partenaire le plus proche, nous attendons des négociations qui devraient commencer rapidement avec nous, qu’elle nous accorde les mesures équivalentes à celles qu’elle a offertes aux Etats-Unis », a déclaré à la SSR le Commissaire européen à la fiscalité, Algirdas Semeta.

Selon le responsable, la signature par la Suisse d’un accord d’échange automatique d’informations avec les Etats-Unis (FATCA) ouvre inéluctablement la voie à un accord du même type avec l’Union Européenne.

Nouveau chèque suisse

Bruxelles ne manque pas non plus de rappeler l’engagement de la Suisse à contribuer à l’élargissement de l’Union Européenne, un développement dont elle profite aussi du fait, justement, des accords bilatéraux qui facilitent l’accès des entreprises suisses au marché unique. La Suisse y a contribué jusqu’ici à hauteur de 1,257 milliards de francs, pour une période de cinq ans. Ce délai est arrivé à échéance en juin 2012. «Les premières études montrent que ce mécanisme a été un succès», estime l’UE, qui demande à son exécutif, la Commission Européenne, de lancer des discussions exploratoires pour un nouveau chèque.

La liste de doléances se termine par une pique inattendue, qui concerne cette fois la politique extérieure de l’UE. En effet, les Vingt-Sept ont imposé à l’Iran un grand nombre de sanctions, dont un embargo sur le pétrole. Or, l’Europe reproche à la Suisse – qui représente par ailleurs les intérêts américains à Téhéran – de  ne pas s’être alignée. Berne est donc invitée à «prendre les mesures nécessaire pour empêcher tout détournement de ces sanctions.»

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