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L’Histoire absoudra-t-elle Fidel Castro?

Fidel Castro, la dernière grande figure du communisme. Keystone

L'ère Fidel Castro a officiellement pris fin il y a peu à Cuba. Le leader maximo a renoncé à sa fonction de président et son frère Raúl – déjà en fonction ad interim – l'a remplacé à la tête du pays.

Avec son crédo révolutionnaire, son anti-américanisme et sa stature de héros ou de tyran, Fidel Castro a imposé son nom dans les livres d’histoire.

Ce jour-là, le monde apprenait la nouvelle: «Fidel abandonne le pouvoir». Peu après, l’Assemblée nationale cubaine désignait son frère Raúl comme successeur. Le vent du changement? Peut-être pas, mais déjà une forte brise de rénovation souffle sur Cuba.

Il y a quatre jours, Raúl Castro (76 ans) a pris en main les rennes de la nation, faisant souffler le chaud et le froid. Le frère du «Lider Maximo» a en effet tout à la fois alimenté le feu du désenchantement en désignant une équipe dirigeante vétuste et étouffé les flammes de cet incendie avec les conventions sur les droits humains signées par son ministre des Affaires étrangères Felipe Pérez Roque au siège des Nations Unies.

Comme si souvent au cours de tant d’années, Cuba a exigé l’abandon de l’embargo américain contre l’île. Et comme si souvent aussi, l’opposition a exigé de La Havane le pluralisme politique et l’arrêt du «harcèlement» de la population. De vieilles revendications donc, mais sur des bases nouvelles. Continuité, mais modernisme. Changement, mais avec prudence.

«Nous pensons qu’il ne va pas y avoir de grands changements dans un proche avenir», déclare Roger Denzer. Ce responsable de la Direction suisse du développement et de la coopération (DDC) pour l’Amérique latine ajoute toutefois que le gouvernement cubain «va poursuivre quelques réformes déjà entamées».

Réforme pacifiques

La Suisse, qui représente les intérêts cubains aux Etats-Unis et les intérêts américains à Cuba, estime que ces réformes vont non seulement se poursuivre, mais même s’intensifier. «Il y a certaines réformes qui vont aller de l’avant dans le secteur de l’agriculture et qui, je l’espère, donneront des résultats», déclare Roger Denzer.

«Nous n’avons pas de programme d’aide à la réduction de la pauvreté à Cuba, car la population bénéficie déjà, en moyenne, d’un niveau économique plus élevé que dans d’autres pays de la région, poursuit-il. Mais nous soutenons un processus de réformes pacifiques au travers d’un programme spécial.»

Parmi les changements qui ont été entamés dans le secteur de l’agriculture, Roger Denzen se réfère à la fermeture de quelques entreprises et coopératives d’Etat. A cela s’ajoute le début d’un processus de distribution de terres non cultivées et une certaine décentralisation.

«Il existe davantage de libertés dans les accords passés entre l’Etat et les coopératives agricoles et les salaires des producteurs augmentent, poursuit-il. Ce sont des choses qui sont déjà en marche. Elles ont débuté il y a plus ou moins six ou douze mois et je m’imagine qu’elles vont continuer…»

Ouverture des frontières?

Raúl Castro a annoncé des réformes pour moderniser la structure de l’Etat socialiste, déclarant vouloir réévaluer graduellement le poids de l’Etat cubain. Certaines interdictions excessives pourraient être levées au cours des prochaines semaines.

Mais personne ne sait, pour l’heure, quel sont les domaines qui connaîtront des assouplissements: les voyages à l’étranger, le séjour des touristes dans les hôtels cubains, le commerces de maisons et de voitures?

«L’inconnu crée des idéalisations, averti Ursula Hauser. La grande majorité des Cubains, qui n’ont pas pu voyager à l’étranger, s’imaginent que la situation à nécessairement meilleure à l’extérieur de leur île, un sentiment encore renforcé par la propagande venue des Etats-Unis.»

«Il faudrait donc une plus grande ouverture pour que les gens puissent sortir de Cuba et se faire une opinion», estime que cette psychothérapeute suisse qui partage son temps entre des cours et des ateliers à Cuba, des consultations au Costa Rica et des séjours en Suisse.

Membre honoraire de l’Association cubaine de psychologie – dont elle est le seul membre étranger – Ursula Hauser parle sans ambages de son amour pour la société cubaine qui l’a aidée à supporter de terribles carences, de son amour pour ce «petit pays» qui a su tenir tête aux Etats-Unis, de son amour pour Fidel «le père et parfois même Dieu le père», créateur d’ambivalences.

Bref, pour Ursula Hauser, Cuba est synonyme d’amour, de désamour, mais jamais d’indifférence…

«Fidel a perdu toute perspective»

«Je crois que Fidel va laisser deux images. D’une part, il y a celle d’un homme qui s’est opposé à l’impérialisme, aux Etats-Unis, ce que l’on ne peut pas nier. L’image de cette lutte révolutionnaire des premières années, de la guérilla, de la chute du dictateur Batista, de cette volonté de créer un pays neuf. Il faut tenir compte de tout cela», estime Tania Quintero.

Exilée politique en Suisse, cette journaliste cubaine a souffert de harcèlement de la part de l’Etat cubain. Elle a donc quitté son pays en 2003, année au cours de laquelle 75 personnes furent arrêtées et où les relations entre Cuba et l’Union européenne ont connu leur pire crise.

Mais l’autre image de Fidel Castro est bien plus sombre. «Fidel s’est ensuite accroché au pouvoir et a perdu toute perspective sur ce qu’il allait faire ou ne pas faire, juge Tania Quintero. C’est alors qu’a débuté la fermeture de la société cubaine, le manque de liberté avec un parti unique qui ne permet pas les réunions libres.»

swissinfo, Marcela Águila Rubín
(Traduction de l’espagnol: Olivier Pauchard)

Le 28 février, quatre jours seulement après l’accession de Raúl Castro à la présidence, Cuba a signé deux accords internationaux sur les droits de l’Homme au siège des Nations Unies à New York.

Il s’agit du Pacte international sur les droits économiques, sociaux et culturels et le Pacte international sur les droits politiques et civiques.

Le ministre cubain des Affaires étrangères Felipe Pérez Roque a saisi l’occasion pour demander une nouvelle fois la levée de l’embargo économique imposé à son pays par les Etats-Unis depuis 1962.

Environ 240 prisonniers politiques sont détenus dans les prisons cubaines, dont quatre ont été libérés et expulsés vers l’Espagne récemment.

La Suisse a débuté son aide à Cuba en 1997, principalement dans le domaine médical.

Depuis 2000, la Direction du développement et de la coopération y a aussi mis en route un programme spécial pour accompagner la population dans «la poursuite de son développement pacifique et participatif, sur la base de la préservation de ses acquis sociaux».

C’est ainsi que la DDC encourage des initiatives locales permettant à la population des développer ses propres capacités et de trouver des solutions concrètes pour améliorer ses conditions de vie.

L’an dernier, l’aide suisse à Cuba a atteint 3,26 millions de francs.

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