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L’incertitude plane toujours sur les réfugiés en Irak

Le retrait des troupes américaines pose de nouveaux et nombreux problèmes à l'Irak. Reuters

Cinq semaines après la fin des opérations militaires américaine en Irak, le pays reste instable. De retour de mission en Irak, le Suisse Walter Kälin, représentant du secrétaire général de l'ONU pour les personnes déplacées, dresse un bilan en demi-teintes.

Le juriste suisse s’était rendu en Irak pour y évaluer la situation des déplacés, un élément-clef du processus de stabilisation du pays. Dans un communiqué diffusé fin septembre, il avait demandé à l’Irak d’observer un moratoire sur les expulsions des déplacés.

Selon les chiffres du gouvernement, 1,5 million de personnes ont été déplacées par les violences en Irak depuis 2006. Quelque 500’000 personnes déplacées vivent, à Bagdad et dans d’autres villes, dans des conditions très précaires dans des bidonvilles ou des bâtiments publics d’où elles sont menacées d’expulsion, selon Walter Kälin.

Ce dernier a demandé que les déplacés ne soient pas renvoyés de force dans leur région d’origine s’ils ne veulent pas y retourner. Il a souhaité également que les procédures de restitution des propriétés soient facilitées. Quelque 3800 propriétés ont été restituées jusqu’ici, selon le gouvernement de Bagdad.

Suite à sa mission en Irak, qui se termine officiellement à la fin du mois, il se dit satisfait des signes positifs constatés sur place, mais reconnait que les difficultés sont immenses.

Après, l’Irak, Walter Kälin aura la tâche de passer au scanner l’état des droits de l’homme en Suisse. Dès le 1er janvier 2011, il présidera le nouveau centre suisse de compétences dans le domaine des droits de l’homme. Ce centre doit faire avancer la transposition des obligations internationales relatives aux droits de l’homme, par des activités de conseil, d’information et d’échanges entre les différents acteurs concernés.

swissinfo.ch: Vous êtes rentré le week-end dernier d’une mission d’une semaine en Irak. Comment jugez-vous l’état du pays après le retrait des unités combattantes américaines?

Walter Kälin: Le pays est dans une phase de transition, tant du point de vue de la sécurité que de la composition du gouvernement. J’ai l’impression que tout le monde attend ce qui va se passer.

Cela a des conséquences directes sur les réfugiés dans les pays voisins et sur les personnes déplacées à l’intérieur de l’Irak. Depuis les élections de mars, le nombre de retours a fortement baissé.

swissinfo.ch: Avant votre mission, vous avez lancé un appel pour inciter les autorités irakiennes à ne plus déplacer des personnes à l’intérieur du pays. Quel est concrètement le problème?

W.K. : Il ne s’agit pas à proprement parler des déplacements. Le gouvernement n’a pas de solutions pour les personnes qui ont dû fuir leur région après les actes de violence entre les communautés religieuses de 2006. Il n’y a pas de structures pour les recevoir, ni logements ni campements.

Cela a conduit les plus déshérités à s’installer dans la rue ou les bâtiments publics, où ils se sentent plus en sécurité.

Le sens de mon appel était donc le suivant: ne laissez pas ces gens dans la rue, car cela ne fait qu’aggraver les problèmes, tant du point de vue humanitaire que social. Faites en sorte qu’ils restent dans leurs lieux d’exil jusqu’au moment où le gouvernement aura un plan solide et des solutions concrètes pour eux, que ce soit le retour dans leur foyer ou une installation sur place.

swissinfo.ch: Cet appel a-t-il été entendu?

W.K. : Il a eu un certain écho. J’ai eu une longue conversation avec le premier ministre Maliki, qui s’est montré très ouvert à l’idée de charger les ministères responsables de mettre au point une stratégie pour ces personnes. Il s’est notamment montré ouvert à la distribution de terrains pour qu’elles puissent construire leur maison. Si l’on observe la situation sur place, ce serait une bonne solution.

swissinfo.ch: Vous tirez donc un bilan en demi-teinte de votre visite?

W.K. : Oui, dans le sens que nous avons affaire à un gouvernement de transition. Je ne pouvais pas m’attendre à ce que l’on puisse poser des jalons solides avant que le nouveau gouvernement soit vraiment en place.

Mais ma visite a été encourageante dans le sens qu’elle nous a donné l’assurance qu’une stratégie globale et un plan d’action seront élaborés pour mieux protéger les personnes déplacées. Cela doit aboutir à des solutions durables et non plus à des réactions ad hoc. De plus, l’ONU sera intégrée à ces travaux.

swissinfo: Vous avez visité deux camps à Bagdad et un autre à Erbil. Comment ce fait-il qu’il n’y ait pas eu de visite dans les environs de Bagdad?

W.K. : Il y a un projet intéressant dans cette région, à Diyala. On y construit des maisons, des infrastructures, des dispensaires etc. pour permettre le retour des personnes qui ont préféré chercher des solutions de fortune ailleurs dans le pays. C’est un bon projet, avec une étroite collaboration entre les autorités et l’ONU.

Mais durant la semaine de ma visite en Irak, il y a eu de nouveaux actes de violence et des combats entre milices. Il était tout simplement trop dangereux de s’y rendre.

swissinfo.ch: Que pouvez-vous encore faire pour l’Irak durant le dernier mois de votre mission?

W.K. : Il me reste à rédiger un rapport détaillé, qui sera débattu en avril prochain à Genève par le Conseil des droits de l’homme.

Le rapport devrait aider les différents acteurs du gouvernement, l’ONU, mais aussi les plus importants donneurs de fonds à accélérer la recherche de solutions. Le problème est que l’Irak a bien d’autres défis à relever. Il est difficile de maintenir au sommet de l’agenda le retour ou l’intégration locale des réfugiés internes. J’espère que mon rapport pourra y contribuer.

Par ailleurs, je vais avoir des conversations, dans deux semaines à New York, avec les plus gros pays donneurs de fonds ainsi qu’avec les autorités onusiennes. C’est tout ce que je peux encore faire.

swissinfo.ch: A partir de janvier 2011, vous allez diriger un nouveau centre de compétences de la Confédération pour la défense des droits de l’homme. Il s’agit d’une recommandation de l’ONU à ses Etats membres, qui a été déjà été concrétisée par près de 40 pays. Que pouvez-vous faire dans cette fonction?

W.K. : Selon le souhait de la Confédération, ce centre se limitera à la prestation de services. Notre rôle sera d’apporter une aide dans le domaine des droits de l’homme aux autorités de tout les niveaux, y compris communales, ainsi qu’aux syndicats et aux milieux économiques.

Nous allons élaborer des rapports et nous aurons une mission d’information. Ponctuellement, nous pourrons mettre en place des formations. Mais le Centre ne sera pas, comme l’ONU le souhaiterait, une institution indépendante. Du point de vue de l’influence, nous devrons donc être réalistes.

Par ailleurs, il manque pour le moment à la Suisse une institution ou des mécanismes pour évaluer les critiques et les nombreuses recommandations émanant de l’ONU et du Conseil de l’Europe, afin de les transposer dans notre droit quand cela se justifie.

Dans ce contexte, nous voulons mettre à disposition les connaissances techniques nécessaires et aider à créer un forum où les représentants des institutions concernées – qu’il s’agisse d’autorités, d’organisations ou de représentants de la société civile –se rencontrent et parlent concrètement des améliorations à apporter.

swissinfo.ch: Pouvez-vous affirmer, la main sur le cœur, qu’il y a des problèmes de droits de l’homme en Suisse?

W.K. : Il est évident que nous n’avons pas de problèmes de torture, d’assassinats ou d’autres choses de ce genre. Mais les droits de l’homme couvrent de nombreux aspects de la vie et aucun pays ne peut prétendre être tout à fait parfait.

En Suisse, il y a des domaines problématiques. Par exemple, notre pays est souvent accusée de violences policières. Il nous manque notamment une base pour pouvoir répondre aux reproches, car nous n’avons aucune statistique à ce sujet.

La traite des femmes constitue un autre problème. Dans le commerce du sexe, beaucoup d’entre elles sont contrainte de se livrer à la prostitution. Il y a des condamnations de temps en temps, mais en règle générale, nous ne faisons pas assez pour les protéger.

La Suisse a aussi de trop nombreux cas de violence familiale. Quand il y a un meurtre ou un assassinat, il est très souvent commis dans le cadre de la famille et du couple. Il y a des cantons qui y font face de manière très satisfaisante, mais d’autres qui ont besoin de soutien.

Nous n’allons pas nous occuper de cas particuliers, car ils sont du ressort de la justice, mais de questions institutionnelles. Il s’agira d’évaluer ce que le gouvernement peut changer pour que la situation s’améliore.

Né en 1951 à Zurich, Walter Kälin a étudié dans les universités de Fribourg, Berne et Harvard.

Depuis 1985, il est professeur de droit international et constitutionnel à l’Université de Berne.

Il est reconnu internationalement comme un expert des droits de l’homme.

En 1991 et 1992, il a été rapporteur spécial de la Commission des droits de l’homme de l’ONU sur l’occupation du Koweit par l’Irak.

De 2003 à 2008, il a été le premier Suisse membre du Comité des droits de l’homme de l’ONU et il a contribué de manière déterminante à la mise en place du Conseil des droits de l’homme.

Depuis 2004, il est envoyé du Secrétaire général de l’ONU chargé des personnes déplacées. Son mandat s’achève à la fin du mois.

Défendus par les diplomates américains dès 1914, puis à partir de 1936 par un consulat de Suisse à Bagdad, les intérêts helvétiques en Irak restent modestes avant les années 1950.

Au niveau diplomatique, la Suisse assume la défense des intérêts de l’Allemagne en Irak de 1939 à 1945, ceux de l’Irak dans des pays de l’Axe ou occupés, ceux de la France (1956-1963) et ceux de l’Irak en Allemagne de l’Ouest(1965-1970).

Dès la fin des années 1950, des entreprises suisses s’installent en Irak. Les exportations suisses passent de 25,5 millions de francs en 1970 à 680,4 en 1982.

Dès 1961, l’administration fédérale autorise des ventes de matériel de guerre. Elle est par la suite accusée de ne pas contrôler ses exportations utilisées par le régime de Saddam Hussein, notamment contre les Kurdes.

A la suite de l’invasion du Koweït par l’Irak, le Conseil fédéral ordonne le 7 août 1990 une participation immédiate aux sanctions économiques décidées par l’ONU.

En 2003, l’Irak est envahi par une coalition dirigée par les Etats-Unis. A l’instar de la majorité des membres de l’ONU, la Suisse ne soutient pas cette intervention, ce qui suscite des divergences entre Berne et Washington.

Ouvert en novembre 2000, le bureau de liaison de la Suisse à Bagdad permet de coordonner les activités humanitaires et de favoriser l’essor des échanges avec un pays au fort potentiel économique, malgré les destructions causées par plus de vingt ans de conflits internationaux et d’affrontements internes.

Source: Dictionnaire historique de la Suisse

(Traduction et adaptation de l’allemand: Xavier Pellegrini)

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