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L’Inde a faim d’électricité…

L'électricité en Inde, un vrai méli-mélo... Miyuki Droz Aramaki

L'Inde est déjà le 5e plus gros consommateur d'énergie au monde. Malgré l'augmentation régulière de son offre d'électricité, le pays connaît encore un manque chronique d'environ 10%. Des acteurs suisses jouent un rôle clé sur le marché électrique indien - dans le secteur privé comme dans la coopération.

Ils sont plusieurs centaines d’habitants. En colère. Une foule amassée spontanément devant l’un des bureaux de la BSES – la compagnie qui fournit à New Delhi les deux tiers de son électricité. «Non aux coupures de courant!», scande la population.

En Inde, lorsque le thermomètre dépasse les 45 degrés à l’ombre, l’électricité est un besoin vital: ventilateurs, air conditionné, mais aussi pompes de ravitaillement d’eau, la survie quotidienne des 17 millions d’habitants de la capitale indienne dépend de l’alimentation électrique.

Surtout, ce sont les inégalités devant les coupures de courant qui attisent la colère. Dans les beaux quartiers, les coupures se limitent à une ou deux heures par jour. Dans les banlieues pauvres, elles peuvent atteindre 14 ou 15 heures.

«Ca fait deux jours qu’on n’a plus de courant, du coup, tout le quartier se retrouve sans eau mais personne ne nous écoute. On s’est plaint plusieurs fois auprès des autorités, mais ça n’a servi à rien», s’énerve Jaspal Raj, résident d’un quartier populaire du centre de la capitale. Depuis des semaines, New Delhi vit au rythme de ces manifestations. Les habitants bloquent les routes, s’en prennent aux locaux de la BSES, jusqu’à ce que la police intervienne et les chasse.

Comme toutes les années, l’arrivée de l’été a provoqué une explosion de la demande d’électricité et le pays n’arrive pas à faire face. «Au moment où la climatisation s’arrête, la température dans la pièce monte d’une dizaine de degrés, témoigne Louis Gerbier, un étudiant français en stage à New Delhi On se retrouve cloué au sol, sans forces. Impossible de dormir, il fait trop chaud… avant de venir en Inde, je n’avais jamais imaginé que c’était possible!»

Tous les matins, les journaux annoncent le déficit de la veille. «Hier, le pic de la demande a atteint les 4000 MW, seulement 3700 MW ont été fournis», peut-on lire dans la presse locale.

Frein à l’économie

Au-delà de la vie privée des habitants, c’est aussi toute l’économie du sous-continent qui souffre du manque d’énergie. Gurgaon, dans la banlieue de New Delhi, est le cœur financier et industriel de la région. Tours en verre, sièges de multinationales, centres commerciaux… la ville se veut un symbole de la modernité indienne, d’un pays en pleine croissance.

Problème: Gurgaon est aussi la capitale des coupures de courant. Parfois, il n’y a de l’électricité qu’une heure par jour. «J’ai été obligé d’acheter un générateur dès l’ouverture de mon atelier, se plaint Rajesh Bhatia, qui emploie une dizaine de personnes pour fabriquer des pièces détachées. Le générateur consomme 10-12 litres de diesel à l’heure. Quand je l’utilise toute la journée, ça double mes coûts de production! Comment voulez-vous que je fasse du profit avec ça?»

Toutes les entreprises du pays sont forcées d’acheter des générateurs et des batteries de stockage. Chaque année, dans le pays 1,5 million de ces batteries, les «back-ups» comme on les appelle ici, sont vendus, un chiffre en hausse de 13% par an.

Batteries, turbines, ou transformateurs, la gestion de l’électricité en Inde est un vaste marché que s’arrachent quelque 200 compagnies. Avec 7000 employés dans le pays, le groupe ABB est l’un des leaders du secteur.

«Bien sûr que l’Inde est un marché important pour nous, reconnaît Deepak Sudh, porte-parole du groupe dans le pays. Comme le secteur de l’énergie est encore déficient ici, il ne peut que se développer et augmenter.»

La liste des contrats décrochés par ABB en seulement deux semaines parle d’elle même: électrification de l’aéroport de Calcutta, livraison de pièces maîtresses pour une centrale électrique dans l’Etat de l’Andhra Pradesh, modernisation du transport de l’énergie dans l’Uttarakhand, un autre Etat indien.

40 pour cent de pertes

D’où vient un tel déficit d’électricité? L’Inde ne produit pas suffisamment d’énergie pour subvenir à ses besoins. Mais surtout, 40% de l’électricité produite est perdue ou volée avant d’arriver à destination.

En comparaison, en Chine, l’énergie perdue ne représente que 3% du total produit! Pour comprendre, il suffit de lever les yeux et de regarder au sommet des poteaux électriques, les pelotes de centaines de câbles qui s’enroulent autour. Impossible de distinguer les branchements clandestins de ceux qui appartiennent aux compagnies électriques.

Le réseau est tellement vétuste qu’il suffit d’un simple crochet pour détourner le courant. Dans ces conditions, difficile pour les entreprises fournissant l’électricité d’être bénéficiaires!

Les conséquences de ce manque à gagner se font alors sentir dans les zones rurales où 400 millions d’Indiens vivent encore sans électricité. Souvent, les câbles et les poteaux ont été installés, mais ils ne servent à rien: les fournisseurs préfèrent approvisionner les usines – grosses consommatrices et bonnes payeuses – plutôt que servir les petits paysans.

Coopération électrique

La DDC (Direction suisse du Développement et de la Coopération) travaille en coopération avec les autorités pour trouver des solutions alternatives aux manques d’énergie: mini-barrages, biogaz, biocarburant.

Pour Veena Joshi, spécialiste énergie auprès de la DDC, électrifier les campagnes est un problème technique mais surtout humain. «Il faut d’abord convaincre les paysans de payer tous les mois pour l’électricité, ils n’ont pas l’habitude, explique-t-elle. Ensuite, il faut convaincre tout le village: si l’une des familles reste en dehors du système ou voit sa connexion coupée, elle risque de se braquer contre l’installation électrique. Une fois, l’une d’entre elles s’en est prise physiquement à l’installation et l’a abîmée.»

Plusieurs plans gouvernementaux d’électrification ont déjà vu le jour. Le dernier en date promet qu’en 2012, les 1,2 milliard d’Indiens seront connectés au réseau – une date bien optimiste pour les acteurs de terrain. Jusqu’à ce que la fée électricité atteigne tous les hameaux du pays, le chemin à parcourir semble encore bien long.

Miyuki Droz Aramaki, swissinfo.ch, New Delhi

L’Inde est devenu le 5e plus gros consommateur d’énergie au monde. Il y a dix ans, ce n’était que le 8ème.

Sa demande en électricité a augmenté en moyenne de 3,6% par an au cours des 30 dernières années, un taux de croissance important par rapport aux autres pays.

En 2009, l’Inde a une capacité de production d’énergie annuelle par habitant de 147’000 MW, soit un déficit de 10% environ par rapport à la demande.

D’ici 2012, le gouvernement s’est donné comme objectif d’augmenter cette capacité de 78’000 MW. Un telle cible semble très optimiste: lors du précédent plan de production, couvrant les années 2002-2007, seuls 51% de l’objectif de production avaient été atteints.

D’après les spécialistes, le programme du gouvernement serait aussi insuffisant: selon leurs estimations, la demande totale indienne aura doublé à 400’000 MW d’ici 2020.

L’électricité indienne est produite à 64% dans des usines thermoélectriques (charbon), à 24,7% par des barrages hydro-électriques, à 2,9% grâce à des centrales nucléaires et à 7,7% par les énergies renouvelables.

Le réseau électrique à travers le sous-continent parcourt 6,3 millions de kilomètres.

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