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L’ONU épingle la Suisse pour mauvais traitements

Après la mort le 17 mars dernier d’un jeune Nigérian au cours de son expulsion, les militants des droits humains en Suisse ont dénoncé ce type d’incidents «racistes». Keystone

Après avoir examiné le 6ème rapport périodique de la Suisse, le Comité contre la torture a formulé des recommandations critiques. Il s’inquiète notamment de l’initiative sur le renvoi des étrangers criminels et du refoulement des femmes migrantes victimes de violences conjugales.

Combien de femmes étrangères victimes de violences conjugales risquent l’expulsion pour avoir demandé le divorce? « Nous ne le savons pas. Plusieurs associations leur viennent en aide ; moi-même je suis sept cas, dont certains traînent depuis plus d’un an et demi », reconnaît Eva Kiss, du Centre de contact Suisses – immigrés, à Genève.

Et Eva Kiss de préciser : «Une de ces femmes a obtenu le renouvellement de son permis de séjour. Une Sud-américaine a reçu une décision de renvoi de l’Office fédéral des migrations (ODM) parce qu’on n’a pas pu prouver que sa réintégration dans son pays d’origine était fortement compromise. Quant aux cinq autres, leurs dossiers sont toujours en cours. Mais même s’ils devaient se solder par un renouvellement de permis, les procédures de renvoi sont tellement longues que ces femmes vivent pendant trop longtemps dans une angoisse insupportable.»

Risques de complicité

Une situation épinglée par le Comité contre la torture, qui vient d’examiner le sixième rapport périodique de la Suisse. Ses recommandations ont été publiées le 14 mai dernier. «Nous sommes satisfaites des recommandations du comité, qui a fait écho à nos inquiétudes.

Il recommande à la Suisse de modifier sa législation pour qu’une femme victime de violence conjugale obtienne un renouvellement de son permis de séjour, même si elle demande le divorce avant trois ans de mariage. Tandis qu’aujourd’hui il faut prouver, en plus, que la réintégration dans son pays d’origine est fortement compromise», se félicite Orlane Varesano, de l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT).

Tout en reprochant au code pénal suisse de ne pas contenir d’interdiction spécifique de la torture, le Comité s’inquiète de pratiques qui peuvent rendre la Suisse complice de tels actes. A commencer par l’initiative sur le renvoi des étrangers criminels.

Bientôt soumise au vote du peuple même si elle est contraire à la constitution, « cette initiative prévoit un renvoi automatique, avec des risques très clairs de violation du principe de non refoulement.Si un réfugié commet un crime en Suisse, on peut éventuellement lui retirer l’asile, mais pas le renvoyer dans son pays d’origine s’il y risque la torture ou les mauvais traitements. C’est contraire au droit international impératif », analyse Denise Graf, d’Amnesty International.

Les renvois forcés

Les experts onusiens blâment aussi un projet de directives en cours d’élaboration par l’ODM sur le recours à la contrainte dans le cadre des renvois forcés. « Nous sommes très surpris de ne pas avoir été impliqués plus étroitement dans l’élaboration de ce manuel, continue Denise Graf. Cela concerne surtout les charters où plusieurs personnes sont rapatriées sous escorte policière, pieds et mains menottés, les genoux et la taille ligotés, le haut des bras fixés contre le siège et la tête coiffée d’un casque.»

Mais peut-on renvoyer quelqu’un contre son gré sans recourir à la force? « J’ai parlé avec de nombreuses personnes qui faisaient l’objet d’une tentative de renvoi forcé, explique Denise Graf. Elles m’ont affirmé que les policiers n’ont jamais cherché le dialogue avec elles.

Un requérant nigérian leur a demandé : « Pourquoi tirez-vous cette sangle si fort que je me sens mal? » « C’est la procédure » s’est-il entendu répondre. Si vous ligotez étroitement le ventre, les genoux, les pieds et les bras, ce n’est pas surprenant que les gens se révoltent dès qu’on leur enlève les liens, une fois arrivés à destination. Même dans ce genre de procédure, il faut respecter la dignité humaine. Et la vie: trois personnes sont déjà décédées en Suisse, dont un citoyen nigérian, Joseph Ndukaku Chiakwa, mort asphyxié le 10 mars 2010. »

Reprise progressive des vols spéciaux

Suite à ce décès, Berne avait suspendu temporairement les charters jusqu’à l’aboutissement de l’enquête. Vendredi, la Confédération a annoncé la reprise progressive de ces vols spéciaux. L’Office fédéral des migrations (ODM) a accédé à la requête du Comité d’assurer la présence de médecins indépendants dans les avions. Les cantons devront aussi transmettre les données médicales des personnes à renvoyer.

Autre sujet de préoccupation: la surpopulation dans les prisons romandes, notamment à Champ-Dollon, le pénitencier genevois. Au lieu de remplir les prisons, la Suisse est priée d’encourager des peines alternatives et non privatives de liberté.

Le Comité tire aussi la sonnette d’alarme sur les allégation de recours excessif à la force par la police à l’encontre de migrants et requérants d’asile – notamment Africains – surtout à Genève et Vaud. Il demande aux autorités concernées de mener des enquêtes et d’indemniser les victimes.

Isolda Agazzi, swissinfo.ch

Le Comité contre la torture supervise la mise en œuvre de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Composé de dix experts indépendants, il examine les rapports présentés par les Etats parties.

La Suisse a ratifié la Convention en 1986 et elle a présenté six rapports.

La Convention donne une définition très large de la torture et elle stipule que les Etats parties l’interdiront dans leur législation nationale, de même que les autres traitements inhumains.

Elle dispose qu’aucune circonstance exceptionnelle ni aucun ordre d’un supérieur ou d’une autorité publique ne peuvent être invoqués pour justifier de tels actes.

Elle prévoit l’extradition des coupables d’actes de torture pour qu’ils soient jugés dans le pays où les crimes ont été commis ou dans n’importe quel autre Etat partie à la Convention. Le protocole facultatif à la Convention, entré en vigueur le 22 juin 2006, a pour objectif l’établissement d’un système de visites régulières et impromptues, par des organismes internationaux et nationaux indépendants, dans les lieux où se trouvent des personnes privées de liberté. La Suisse est aussi partie à ce protocole.

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