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La fibre pro-européenne de Joseph Deiss

Dernier jour pour Joseph Deiss au Palais fédéral. Keystone

Le ministre de l'économie Joseph Deiss, qui a quitté sa fonction lundi, estime dans une interview à swissinfo que l'intégration européenne de la Suisse se fait trop lentement.

Le démocrate-chrétien, qui a remis les clés du ministère de l’économie à Doris Leuthard, est persuadé que les intérêts de la Suisse seraient mieux servis au sein de l’UE.

«Par ces clés symboliques, je te remets la responsabilité de ce département», a déclaré Joseph Deiss, lundi, à la nouvelle ministre de l’économie Doris Leuthard.

Elue au Conseil fédéral (gouvernement) le 16 juin dernier, l’Argovienne s’est dite heureuse de prendre ses nouvelles fonctions et consciente des défis qui l’attendent.

Même si l’économie se porte bien actuellement, de gros dossiers restent sur la table, a averti Joseph Deiss. Le Fribourgeois a notamment exhorté sa collègue de parti à poursuivre le programme de croissance et l’ouverture internationale.

Deux thèmes qui lui tiennent à cœur et sur lesquels il revient également dans l’interview accordée à swissinfo.

swissinfo: Dans son rapport sur la politique européenne publié à fin juin, le gouvernement plaide pour la voie bilatérale. Est-ce la bonne approche, selon vous?

Joseph Deiss: Si vous analysez le rapport, vous verrez que toutes les options restent ouvertes. Ce point est très important, parce qu’il est difficile de savoir quelle sera la situation dans 20, 30 ou 50 ans.

Nous avons réussi à améliorer notre intégration au niveau économique. Il suffit de penser aux vingt accords conclus: certains sont fondamentaux, pas seulement sur la libéralisation du marché, mais aussi sur la libre-circulation des travailleurs, par exemple.

Parallèlement, 200 autres accords mineurs ont été conclus avec l’UE, donc je pense qu’on va dans la bonne direction. La question, c’est plutôt de savoir si on le fait à la bonne vitesse ou non…

swissinfo: Et quelle est la réponse à cette question?

J.D.: La réponse du gouvernement est qu’il n’y a pas d’autre chemin que la voie bilatérale pour défendre au mieux nos intérêts.

Si vous me posez la question personnellement, j’estime que la vitesse est trop lente. Et à mes yeux, il est clair que nos intérêts seront mieux servis au sein même de l’Union européenne.

Les gens savent que j’étais favorable à une adhésion avant d’entrer au gouvernement. Pour moi, il est important que je garde la même position en le quittant, même si je dois soutenir la politique du Conseil fédéral.

swissinfo: Les sondages d’opinion montrent une forte opposition au versement d’une contribution d’un milliard de francs au fonds de cohésion de l’UE pour aider les nouveaux membres. Un référendum a été lancé en novembre. Que dites-vous à ceux qui s’opposent à cette contribution?

J.D.: La Suisse ne va pas verser d’argent directement dans ce fonds. Nous souhaitons que notre contribution se fasse sous forme de versements bilatéraux entre la Suisse et la Pologne, la Suisse et la Slovaquie, etc.

Nous n’avons pas d’accord avec l’UE sur ce point. Ce que nous avons, c’est un protocole d’accord qui définit les conditions générales de l’engagement suisse auprès des dix nouveaux Etats membres.

En fait, nous continuons de faire ce que nous avons fait depuis des années, c’est à dire aider les pays de l’ancienne Union soviétique et de l’ex-République de Yougoslavie à développer des relations économiques similaires à celles que nous avons avec l’Europe occidentale ou l’Amérique du Nord.

Le message principal, c’est de rappeler que nous bénéficions, nous aussi, du développement économique de ces pays. Il s’agit, en fait, d’un acte de solidarité avec les autres pays membres de l’UE pour aider à réaliser ce grand projet.

swissinfo: La Suisse deviendra-t-elle un jour membre de l’Union européenne?

J.D.: Oui.

swissinfo: Le projet d’accord de libre-échange entre la Suisse et les Etats-Unis n’a pas abouti. A la place, un accord sur la création d’un forum pour renforcer les échanges et les investissements a été signé en mai. Avez-vous été déçu?

J.D.: Je regrette que nous n’ayons pas pu négocier un accord de libre-échange avec les Etats-Unis. Néanmoins, je dois dire que le résultat final est très positif. Je suis satisfait que nous ayons désormais une structure dans laquelle il est possible de débattre des questions essentielles concernant nos relations bilatérales avec les Etats-Unis au niveau économique.

swissinfo: Quels sont les temps forts que vous retenez de la période passée au sein du Conseil fédéral?

J.D.: Au niveau national, je mentionnerais le programme de croissance économique, qui a porté ses fruits, ainsi que la bonne situation économique actuelle. Il y a une claire amélioration depuis mon arrivée.

Au niveau international, je retiens notre adhésion aux Nations Unies. Les accords bilatéraux avec l’UE sont aussi un succès. Enfin, je citerais le développement récent de nos relations économiques avec la Corée du Sud et l’Union douanière d’Afrique australe.

swissinfo: Et quels sont vos regrets?

J.D.: J’aurais souhaité que la Suisse – si j’ose cette métaphore footballistique – ne participe pas seulement aux Coupes du monde, mais marque aussi des tirs au but.

swissinfo: Réussir ses tirs au but, c’est avoir envie de gagner. Dans quels domaines espérez-vous que la Suisse remporte la victoire ou, du moins, marque davantage de points?

J.D.: A mon avis, nous devrions nous concentrer sur des domaines dans lesquels nous sommes de bons joueurs. C’est le cas de l’économie, et en particulier des investissements directs à l’étranger, par exemple.

D’une manière générale, il faudrait que la Suisse soit davantage consciente de sa force.

Par ailleurs, je pense que nous pourrions être plus actifs au niveau politique, comme nous l’avons été, par exemple, au sein de l’ONU avec le nouveau Conseil des droits de l’homme.

Je ne comprends pas ceux qui pensent que la Suisse devrait être orientée exclusivement sur elle-même et prendre soin uniquement de ses propres intérêts. Ils oublient qu’aujourd’hui, dans un monde globalisé, les choses se décident en dehors du pays. Là, nous pourrions progresser.

swissinfo: Et maintenant? En tant qu’ancien ministre de l’économie et professeur d’économie, plusieurs entreprises vont certainement vouloir bénéficier de vos connaissances et de votre réseau de contacts…

J.D.: A voir. Moi, je suis ouvert.

Interview swissinfo: Robert Brookes
(Traduction de l’anglais: Alexandra Richard)

Joseph Deiss naît à Fribourg en 1946.
Professeur d’économie, il est membre du parlement cantonal fribourgeois de 1981 à 1991.
Il est également maire de la commune fribourgeoise de Barberêche de 1982 à 1996.
Joseph Deiss est élu au Conseil national (Chambre du peuple) en 1991.
Il occupe la fonction de préposé à la surveillance des prix de 1993 à 1996.
Joseph Deiss est élu au Conseil fédéral (gouvernement) en 1999. Avant de prendre la tête du ministère de l’économie en 2003, il a été ministre des affaires étrangères.
Il quitte le gouvernement ce 31 juillet.

Joseph Deiss a créé la surprise, le 27 avril dernier, en annonçant sa démission. Il avait alors expliqué qu’il voulait laisser la place à du sang neuf.

Il sera remplacé par la présidente du Parti démocrate-chrétien (PDC, centre droit) Doris Leuthard.

En Suisse, le pouvoir exécutif est exercé, en collège, par les sept conseillers fédéraux (ministres). Les membres du gouvernement sont élus, réélus ou – très rarement – démis de leur fonction par le Parlement.

Les élections fédérales ont lieu tous les quatre ans.

En 2003, les élections parlementaires avaient porté un coup à la «formule magique» qui dictait la composition du gouvernement depuis plus de quarante ans.

La victoire de l’Union démocratique du centre (UDC, droite dure) avait permis à celle-ci de revendiquer un siège au Conseil fédéral, privant ainsi le PDC de l’un de ses deux sièges.

Les radicaux et les socialistes occupent chacun deux des quatre sièges restant.

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