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La Géorgie a en grande partie provoqué son malheur

Keystone

Un rapport d'enquête commandé par l'Union européenne sur le conflit russo-géorgien de 2008 a rendu mercredi Tbilissi responsable du déclenchement de la guerre. L'enquête dirigée par la diplomate suisse Heidi Tagliavini accuse cependant Moscou d'avoir soufflé auparavant sur les braises.

Depuis la guerre éclair du 7 au 12 août l’an dernier, achevée par une défaite cuisante de la Géorgie et l’indépendance autoproclamée de ses deux régions séparatistes – l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud – chacun se renvoie la balle.

Le président géorgien dit avoir réagi à une tentative d’invasion de l’armée russe sur le territoire de la Géorgie. Moscou en retour prétend être intervenu pour défendre les populations des deux régions rebelles, détenteurs de passeports russes.

Un rapport d’enquête, commandé en décembre 2008 par l’Union européenne à un groupe d’experts et de diplomates travaillant sous la direction de la diplomate suisse Heidi Tagliavini, a rendu ses conclusions aux différentes parties.

Ce rapport, qui est le fruit de dix mois d’enquête, rappelle que le conflit faisait suite à une longue période de provocations et de tensions entre les deux pays.

Le président géorgien en cause

Le document est particulièrement critique pour le président géorgien Mikheïl Saakachvili, qui doit faire face dans son pays à une opposition croissante depuis l’issue désastreuse du conflit.

«Le bombardement de Tskhinvali (chef-lieu de l’Ossétie du Sud) par les forces armées géorgiennes dans la nuit du 7 au 8 août 2008 a marqué le début du conflit armé à grande échelle en Géorgie», soulignent ainsi les enquêteurs.

Le rapport tord ainsi le cou à la thèse défendue jusqu’ici bec et ongles par le président géorgien, qui avait présenté son offensive comme un acte de légitime défense.

«Aucune des explications données par les autorités géorgiennes pour avancer une forme de justification légale à leur attaque n’a été validée», a renchéri Heidi Tagliavini dans un communiqué.

Contacté par swissinfo.ch, Victor Mauer, responsable du Center for Security Studies de l’Institut polytechnique fédéral de Zurich, estime que l’une des principales erreurs du président géorgien est d’avoir sous-estimé la réaction de Moscou et surestimé l’implication de l’Occident.

«Il a essayé d’impliquer l’Occident, et tout spécialement l’Otan. Mais sans le soutien de l’Otan, la Géorgie n’avait absolument aucune chance de gagner ce conflit», juge Victor Mauer.

Provocations russes

Les travaux de la commission d’enquête n’ont pas permis d’identifier une invasion en cours de troupes russes en Ossétie au moment du déclenchement des hostilités dans la nuit du 7 au 8 août.

Pour autant, la Russie ne sort nullement exonérée de l’enquête. Le rapport reproche à Moscou d’avoir d’abord fait monter la tension avant le conflit dans la région par une série de «provocations», comme la distribution de passeports russes aux populations des deux provinces géorgiennes séparatistes d’Ossétie du Sud et d’Abkhazie.

«Le fait de distribuer des passeports russes était illégal du point de vue du droit international; cela a provoqué la Géorgie et l’a poussée à agir», confirme à swissinfo.ch Victor Mauer.

Surtout, le rapport juge la contre-offensive russe, et l’invasion de la Géorgie, non seulement disproportionnée mais «contraire à la Charte des Nations Unies et aux normes fondamentales du droit international».

La présidente de la commission d’enquête a aussi parlé d’«indications sérieuses» montrant que des Géorgiens de souche ont été durant la guerre victimes de «nettoyage ethnique» dans leurs villages en Ossétie du Sud, avec l’aval tacite des forces armées russes.

Embarrassant pour Saakachvili

De fait, le rapport apparaît surtout embarrassant pour Tbilissi, qui se pose depuis l’an dernier en victime.

Son constat est susceptible d’affaiblir un peu plus la position de Mikheïl Saakachvili, contesté dans son propre pays, et de donner du grain à moudre à la Russie pour tenter de justifier un peu plus l’indépendance autoproclamée des deux provinces géorgiennes rebelles désormais dans son giron. Elles n’ont été à ce jour reconnues que par trois pays: la Russie, le Nicaragua et le Venezuela.

«Il n’y a plus beaucoup d’espoir pour Mikheïl Saakachvili… ni en Géorgie ni dans le domaine de la politique internationale», conclut Victor Mauer.

swissinfo.ch et les agences

Sans surprise. tant la Géorgie que la Russie ont dit mercredi se sentir confortées par les conclusions du rapport, chacun se concentrant sur les éléments en sa faveur.

Position géorgienne. «Vous ne pouvez pas trouver un seul mot dans ce rapport disant que la Géorgie a déclenché la guerre», a affirmé à Tbilissi le ministre de la Réintégration, Temour Iakobachvili. «Il prouve que la Russie préparait de longue date cette guerre, qui a culminé les 7 et 8 août».

Position russe. «La conclusion principale de ce rapport est que Tbilissi est coupable d’avoir déclenché l’agression contre l’Ossétie du Sud», a rétorqué le ministère russe des Affaires étrangères. Ce dernier a regretté que le document contienne des «ambiguïtés» sur le rôle de Moscou.

Heidi Tagliavini est considérée comme une experte du Caucase et a plusieurs années d’expérience en tant que «diplomate de crise».

En 1995, elle était la seule femme parmi les six membres du groupe d’assistance à la Tchétchénie de l’Organisation pour la coopération et la sécurité en Europe (OSCE).

En mars 1998, elle s’est vu confier la tâche de cheffe adjointe de la Mission de l’ONU en Géorgie (MINOG).

Entre 2002 et 2006, elle était représentante spéciale du secrétaire général de l’ONU en Géorgie et elle a aussi représenté de 2000 à 2001 l’OSCE dans le Caucase.

Heidi Tagliavini a aussi été ambassadrice de Suisse à Moscou et en Bosnie-Herzégovine.

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