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La justice pénale internationale se renforce vite

Accusé de crimes de guerre et contre l'humanité, Jean-Pierre Bemba a été arrêté le 24 mai à Bruxelles. Keystone

L'arrestation de l'ancien vice-président congolais Jean-Pierre Bemba est le premier acte fort de la Cour pénale internationale. Marque-t-elle pour autant un tournant dans l'activité de la Cour et de la justice pénale internationale? Interview de Philip Grant, directeur de TRIAL.

La Cour pénale internationale (CPI) fonctionne depuis six ans, mais à ce jour elle n’avait arrêté aucune personnalité de grande envergure. Avec l’arrestation de Jean-Pierre Bemba, le 24 mai à Bruxelles, elle a surpris tout le monde et marqué un grand coup. L’ancien vice-président de RDC est accusé de crimes de guerre et contre l’humanité commis par ses hommes en Centrafrique en 2002 et 2003.

Philip Grant, avocat au barreau de Genève et directeur de TRIAL (Track Impunity Always), une association qui lutte contre l’impunité, salue une évolution positive. Mais il considère que le véritable tournant pourrait venir de la définition de nouveaux crimes par la CPI l’année prochaine. Dont celui d’agression. Verra-t-on un jour l’ancien Premier ministre Tony Blair dans le banc des accusés pour l’intervention militaire en Iraq? Interview.

swissinfo: L’arrestation de Jean-Pierre Bemba marque-t-elle un tournant dans l’activité de la Cour?

Philip Grant: Pour les ONG, c’est certainement une évolution positive, car elle montre que le procureur est capable de sortir d’accusés de niveau moyen. Pour le Darfour, il a mis en accusation deux personnes de responsabilité subalterne et pour la RDC des chefs de milice accusés de faits relativement «légers». Avant l’arrestation de Bemba, on était déçu: en six ans, la Cour n’avait poursuivi que onze personnes. C’est un peu faible au regard des 450 millions de dollars qu’elle a dépensés!

Actuellement, il y a quatre enquêtes ouvertes: au Darfour, en RDC, en Ouganda et en République Centrafricaine. Le procureur a une attitude très réservée vis-à-vis du public et on lui reproche son manque de communication. Mais l’arrestation de Jean-Pierre Bemba nous a positivement surpris et peut-être y a-t-il d’autres enquêtes en cours et des actes d’accusations secrets. La seule chose que nous savons est que le procureur est en train de vérifier la recevabilité de trois autres situations.

swissinfo: Que va-t-il se passer à l’avenir?

P.G.: Si l’arrestation de Bemba constitue une évolution positive, le véritable tournant pourrait venir de la conférence de révision du traité, prévue pour l’année prochaine, qui devrait définir le crime d’agression. L’article 5 du Statut de Rome (qui a créé la Cour) prévoit que la compétence de la CPI se limite aux crimes les plus graves: génocide, crimes contre l’humanité, crimes de guerre et agression. Mais lors de l’adoption du Statut, en 1998, les Etats ont renvoyé à plus tard la définition de ce crime.

Certes, la Charte de l’ONU définit l’agression comme toute attaque contre un autre Etat sans l’aval du Conseil de sécurité ou ne relevant pas de la légitime défense. Mais la Cour n’applique pas la Charte, elle applique son Statut. Et dans le cadre de la guerre contre le terrorisme, la définition de ce crime devient encore plus difficile. Ainsi, certains juristes considèrent la guerre en Iraq comme une agression et ils auraient bien vu Tony Blair sur le banc des accusés – la Grande-Bretagne étant partie à la CPI, contrairement aux Etats-Unis.

Les résistances vont donc être très fortes. Et qui sait? Dans un avenir pas si lointain, la guerre électronique, ou le fait de provoquer des tornades sur un Etat voisin, pourraient être considérés comme des agressions.

Et même si les Etats arrivent à définir ce crime, ils devront encore se mettre d’accord sur qui a compétence de saisir la Cour. A ce jour, ce sont les Etats, le procureur ou le Conseil de sécurité. Mais pour le crime d’agression, on pourrait imaginer que ce soit le Conseil de sécurité ou l’Assemblée générale de l’ONU.

swissinfo: Pourrait-il y avoir d’autres innovations?

P.G.: Oui, car les Etats peuvent proposer d’autres amendements, comme le crime de terrorisme, qui a un précédent dans la création du tribunal spécial pour juger les assassins de l’ancien Premier ministre Hariri au Liban. Quant à l’ingérence humanitaire, elle pourrait être considérée comme une exception au crime d’agression. Mais tout amendement sera difficile à entrer en vigueur, car il requiert la ratification des 7/8 des Etats parties.

swissinfo: Toutes les actions de la Cour ont eu lieu en Afrique. Y a t-il deux poids deux mesures?

P.G.: Je ne pense pas, car ce sont les dirigeants africains eux-mêmes qui ont demandé l’intervention de la Cour. De plus, la plupart des conflits se déroulent en Afrique et de nombreux Etats africains ont librement ratifié le Statut de la Cour.

swissinfo: Au-delà de la Cour, certains perçoivent le mécanisme de compétence universelle comme une justice du Nord sur le Sud. Qu’en pensez-vous?

P.G.:Je ne suis pas d’accord, surtout que les milieux néo-impérialistes ne soutiennent pas les mécanismes de la justice internationale. En Amérique latine il y a des enseignements très intéressants à tirer du recours à la compétence universelle.

Le retour de Pinochet au pays a mis en branle l’appareil judiciaire du pays et a permis au Chili d’assumer ses responsabilités. Aujourd’hui, des centaines de procédures sont en cours au Chili et en Argentine. Le mur de l’impunité a explosé et l’actuel président argentin a enfin aboli les lois d’amnistie.

Interview swissinfo, Isolda Agazzi/InfoSud

Si la Suisse est un des pays les plus progressistes vis-à-vis de la CPI, il n’en va pas de même de l’application du principe de la compétence universelle.

Ce principe permet de poursuivre, dans n’importe quel pays, une personne soupçonnée de génocide, crimes de guerre et crimes contre l’humanité, indépendamment de sa nationalité et de celle des victimes et du lieu de commission des crimes présumés.

Ce principe n’est pas très clair en Suisse, car les compétences sont éclatées entre les procureurs cantonaux, le procureur de la Confédération et le procureur militaire.

Mais le Conseil fédéral (gouvernement) vient d’adopter un projet de loi visant à mettre le droit suisse en conformité avec Statut de Rome. Une loi qui va s’avérer utile même pour l’exercice du principe de la compétence universelle, car elle permettra d’avoir des crimes et des règles d’exercice des compétences correctement définis.

TRIAL, une association suisse créée en 2002 pour lutter contre l’impunité devant les tribunaux suisses et la CPI, a déposé plusieurs affaires en Suisse au nom de la compétence universelle.

Ces plaintes ont abouti à quelques procès – notamment contre un Bosno-serbe et un Rwandais – et d’autres affaires sont en cours.

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