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Chalets de vacances: boom éphémère et flou juridique

Les stations comptant 20% de résidences secondaires devront stopper les constructions. Keystone

Sept mois après l’approbation-surprise par le peuple de l’initiative contre la construction de nouvelles résidences secondaires, l’incertitude règne dans les régions concernées. L’ordonnance du gouvernement reportant provisoirement la mise en application n’a rien clarifié.

«Cette incertitude est un poison pour le tourisme. C’est le chaos total parce que chacun peut encore porter son cas spécifique devant le Tribunal fédéral», ce qui a pour conséquence que la cour suprême ne statuera que dans deux ou trois ans si un permis de construire est valable ou non, s’emporte Peter Bodenmann, hôtelier valaisan et ancien président du Parti socialiste suisse.

L’initiative acceptée le 11 mars est certes formulée «de manière si misérable que chaque professeur peut l’interpréter différemment», mais «l’onde de choc aurait offert une excellente chance de procéder aux réformes structurelles indispensable dans la branche», dit encore l’hôtelier, fâché contre les «mauvais politiciens et les fonctionnaires du tourisme».

Peut-on encore construire ou non?

L’initiative interdit toute nouvelle construction dans les stations comptant déjà plus de 20% de résidences secondaires. Ce qui concerne environ 570 communes, surtout dans les régions de montagne des cantons du Valais, des Grisons et de Berne.

Curieusement, la question de la date à partir de laquelle ces restrictions devraient être appliquées ne s’est posée qu’après la votation. Mais, depuis, ce point fait l’objet de disputes. La situation ne s’est pas clarifiée en août, lorsque le Conseil fédéral a décidé que l’Ordonnance d’application de l’initiative n’entrera pas en vigueur le 1er septembre mais seulement le 1er janvier 2013.

Jugeant la base légale floue, des experts contestent également la compétence du gouvernement fédéral pour édicter de telles règles en cours de route, alors que la loi d’exécution de l’initiative sur les résidences secondaires doit encore être élaborée.

Comme les partisans de l’initiative estiment que le texte plébiscité est valide depuis le lendemain de la votation, le débat faire rage pour savoir si les communes concernées peuvent encore construire. Quelques rares municipalités ont réagi à ce flou juridique en décrétant une zone de planification censée permettre le blocage de l’octroi de permis de construire jusqu’à ce que la justice ait tranché.

Mais dans de nombreuses communes touristiques, surtout dans les cantons du Valais et des Grisons, beaucoup de permis ont été accordés en urgence avant l’entrée en vigueur du décret. Ce qui fait que le nombre de recours contre ces autorisations a lui aussi augmenté.

Selon Peter Bodenmann, des demandes de permis de construire 1500 nouveaux «lits froids» ont été déposées rien qu’à Riederalp, en Valais. Autrement dit, elles ont augmenté de 324% durant le premier semestre 2012, en comparaison avec la moyenne des années 1994-2011. «Cette ordonnance crée partout de véritables petites guérillas locales. D’un côté, la puissante industrie du bâtiment, de l’autre, les partisans d’un tourisme plus doux.»

Le socialiste valaisan dénonce la création d’un climat d’incertitude pour des années. Récemment, un banquier lui a affirmé qu’aucune banque ne prend désormais le risque de financer un objet dans ces régions.

Chaos «dans les Grisons aussi»

«La situation est incroyablement tendue», confirme de son côté Duri Bezzola, ancien député du Parti libéral-radical (PLR / droite) et architecte à Scuol, dans les Grisons. Jusqu’ici, elle a généré plus de projets de construction qu’elle n’en a freiné.»

C’est très mauvais aussi pour le secteur de la construction dans ces vallées, ajoute Duri Bezzola, qui est également membre du conseil d’administration d’une entreprise de ce secteur. Les entreprises tourneront pour un temps à plein régime en raison de tous ces projets déposés dans l’urgence qui seront probablement autorisés et en partie réalisés. Et puis soudain tout s’arrêtera. «Si les entrepreneurs sont intelligents, ils feront marche arrière pour éviter de longues années de surcapacités qui pourraient mettre leur existence en danger», conseille l’ancien entrepreneur.

«Il va y avoir maintenant quelques centaines de recours. Il faudra au moins un an jusqu’à ce que le Tribunal fédéral ait tranché, et il n’est pas sûr que la décision aille dans la bonne direction.»

Etonnamment, l’intérêt pour acheter des logements de vacances n’a pas augmenté depuis la votation. Les acquéreurs potentiels restent probablement prudents en raison de la base légale incertaine, selon Duri Bezzola. De nombreux objets seront probablement projetés sans garantie de pouvoir être vendus. «En tant qu’acheteur, peut-être que j’attendrais moi aussi. Si l’offre d’appartements augmente fortement, les prix vont baisser.»

Des communes demandent conseil

Depuis que le Conseil fédéral a adopté l’ordonnance sur les résidences secondaires, l’Office fédéral du développement territorial (ARE) a reçu des dizaines de demandes de communes et de cantons pour savoir dans quelles circonstances il est encore possible d’autoriser de nouvelles résidences secondaires.

Mais ce sera surtout la justice qui aura le dernier mot, indique Gabriel Hefti. «Nous ne pouvons que donner notre avis aux communes. A cause de l’épée de Damoclès du 31 décembre 2012, de nombreuses communes souhaitent accorder encore autant d’autorisations que possible selon l’ancien droit et faire en sorte que celles-ci deviennent exécutoires cette année encore.»

Et ensuite?

«Nous prévoyons de soumettre le projet de loi d’exécution au Parlement vers la fin 2013», ajoute Gabriel Hefti. Un groupe de travail regroupant des représentants des groupes d’intérêts, de la Confédération et des cantons se réunira dès ce mois. Mais on ignore combien de temps il faudra encore jusqu’à ce que les Chambres puissent se prononcer et si un référendum sera lancé.

Le 11 mars 2012, le peuple suisse a approuvé à une courte majorité l’initiative «Pour en finir avec les constructions envahissantes de résidences secondaires».

Le texte exige que la proportion de résidences secondaires ne dépasse pas 20% au maximum par commune. Pour celles dans lesquelles ce seuil est déjà dépassé, cela signifie une interdiction de construire de nouvelles résidences secondaires. Mais il ne s’agit pas de démolir celles qui existent.

La Suisse compte environ 500’000 résidences secondaires. Surtout dans les cantons du Valais (62’000), des Grisons (48’000), de Berne (45’000) et de Vaud (43’000).

Par rapport à l’ensemble des logements, la proportion de résidences secondaires est la plus forte dans les cantons des Grisons (37%), du Valais (36%), du Tessin (24%) et de Vaud (22%).

Un cinquième des communes (573) atteignent 20% de résidences secondaires. Saint-Luc (83%) et Grimentz (82%) dans le Val d’Anniviers (Valais) enregistrent les plus fortes proportions, suivie de la commune grisonne de Laax (81%).

Dans des régions touristiques, la plupart des résidences secondaires ne sont pas exploitées commercialement et ne sont occupées que de 30 à 40 jours par an. Le nombre de «lits froids» atteint 900’000. Environ 100’000 lits sont mis sur le marché de la location, à quoi s’ajoutent 160’000 lits dans l’hôtellerie.

L’Office fédéral du développement territorial définit comme appartements principaux ceux qui sont habités durablement par la population locale. Sont considérés comme résidences secondaires les logements occupés pendant les vacances, loués à la semaine ou mis à disposition de leurs employés par des entreprises.

(Source: Office fédéral du développement territorial ARE)

(Adaptation de l’allemand: Isabelle Eichenberger)

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