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La Norvège et la Suisse unies dans le doute européen

Il sera beaucoup question d'Europe pour la présidente de la Confédération Doris Leuthard (ici avec le roi de Norvège) durant son voyage à Oslo. Keystone

En abordant vendredi le volet politique de sa visite d’Etat à Oslo, la présidente Doris Leuthard et ses hôtes norvégiens auront bien des choses à se dire. Ces deux Etats non membres de l’UE pourraient devoir repenser leur relation avec Bruxelles.

Officiellement, Berne souhaite poursuivre la voie bilatérale avec Bruxelles, tout en ayant conscience de l’agacement croissant de l’Union européenne (UE) face au particularisme helvétique. Un groupe de travail doit présenter son rapport avant la fin 2010.

Côté norvégien, le gouvernement s’est vu «proposer» par le parlement de mandater des experts indépendants (Europe Review Commitee) pour dresser le bilan de seize ans dans l’Espace économique européen (EEE). Verdict à l’automne 2011.

Attentif au modèle suisse

A Oslo, la situation est à la fois plus simple et plus compliquée qu’à Berne. Seuls deux partis sont unanimes à cent pour cent sur la question de l’adhésion à l’UE: le Parti de droite (conservateur) est favorable et le Parti du centre (agrarien) est contre l’adhésion à l’UE depuis 1972, mais aussi à l’EEE.

En outre, le gouvernement de coalition compte des pro et des anti-européens. Ainsi, le ministre des Affaires étrangères, le social-démocrate Jonas Gahr Störe, est résolument favorable à une adhésion à l’UE.

Mais son secrétaire d’Etat Erik Lahnstein est membre du Parti du Centre et «attentif» au modèle suisse. «Je suis partisan de la voie bilatérale. Bruxelles est tout aussi sceptique face à la Norvège qu’à la Suisse, puisqu’elle préférerait nous voir rejoindre l’Union», explique-t-il.

Le gouvernement…gouverne

«Cette question crée un gros problème politique, mais nous sommes d’accord sur le fait que nous ne sommes pas d’accord», reconnaît Erik Lahnstein avec une franchise que pourraient lui envier bien des politiciens suisses.

Autrement dit, cela n’empêche pas le gouvernement de gouverner. «Ce n’est pas la question européenne en général qui pose le plus de problèmes au quotidien, mais plutôt certains segments bien précis, par exemple la directive de l’UE sur la poste qui, actuellement, divise fortement notre parlement», ajoute Erik Lahnstein.

«La deuxième bonne solution»

En rappelant que la Norvège a refusé deux fois d’adhérer à l’UE, le secrétaire d’Etat concède que l’accord avec l’EEE s’est avéré «très robuste avec le temps».

Mais les choses se sont compliquées avec l’élargissement de 15 à 27 pays membres ainsi que le développement de l’agenda politique, qui ont amené la Norvège à signer des accords bilatéraux complémentaires (Schengen, etc.) avec l’UE, relève Ulf Sverdrup.

Membre du Europe Review Commitee, ce politologue estime que la Norvège est ainsi entrée dans le «schéma» du bilatéralisme. «J’aime à penser l’EEE comme un compromis entre le désir d’entretenir une bonne relation avec l’UE et la nécessité de résoudre un conflit politique interne. C’est un équilibre, c’est la deuxième meilleure solution», déclare-t-il.

Mais l’expert met le doigt sur les «zones d’ombre»: «Certains non membres, comme la Norvège et la Suisse, sont plus alignés sur les régulations de l’UE que des pays membres.» Et de relever qu’avec 80% d’exportation vers l’UE et 70% d’importations, l’économie norvégienne est très intégrée, puisqu’elle est le quatrième partenaire de l’Union.

Un rapport très attendu

Argument repris point par point par Paal Frisvold, président du mouvement pro-européen : «Nous sommes un champion économique, nos contributions sont beaucoup plus importantes que celles d’autres pays membres, mais nous n’avons pas un mot à dire. L’EEE représente un déficit démocratique pour la Norvège et les accords bilatéraux encore plus. Nous sommes des Européens de 2e classe», martèle-t-il.

Anti européen (et EEE), son adversaire Heming Olaussen rappelle que le dernier sondage a fait état de 65% de «neinsager» contre 25%. «L’UE est une machine à centraliser qui favorise le gros business au détriment des petits. La Suisse n’est pas un modèle, mais certainement une source d’inspiration.»

Tous attendent avec impatience les conclusions du comité d’experts. Ulf Sverdrup en est conscient. «Nous ne sommes pas mandatés pour proposer des alternatives, mais il est certain que notre rapport créera une nouvelle dynamique.»

Le politologue ajoute que l’intérêt pour l’UE dépend de la conjoncture. «Il semble suivre l’évolution du taux de chômage. Ce taux est bas actuellement et c’est peut-être ce qui explique que les Norvégiens (comme les Suisses) ne veulent pas entendre parler de l’UE.»

Diplomatie et pragmatisme

Ulf Sverdrup note aussi que l’électorat a changé depuis 1992 et, même si le monde politique norvégien redoute un troisième référendum, l’adhésion pourrait revenir sur le terrain. «La seule chance de faire évoluer la situation serait offerte par une crise au sein de l’EEE, si l’Islande décidait de rejoindre l’UE… ou alors la Suisse!»

Blague à part, les innombrables accords bilatéraux liant la Suisse à l’UE sont devenus si compliqués qu’ils manquent de transparence et doivent être difficiles à manipuler, précise en substance le politologue norvégien.

«Je n’ai pas de conseil à donner, mais je ne pense pas que la Suisse réussisse à préserver son indépendance. Elle est très vulnérable du fait qu’elle a une attitude plus classique, qui vise à négocier au niveau diplomatique, alors que la Norvège est plus dynamique, plus pragmatique dans l’adaptation technique.»

A rejeté l’adhésion à l’UE par référendum en 1972 et 1994. Selon les derniers sondages, 65% des Norvégiens ne veulent pas rejoindre l’UE.

Depuis mai 1992, appartient à l’Espace économique européen (EEE), composé aujourd’hui des Vingt-Sept avec le Liechtenstein et l’Islande. (Cette dernière envisage d’adhérer à l’UE).

Elle a le droit (jamais utilisé depuis 1992) de saisir la Cour de justice de l’Association européenne de libre-échange (AELE) pour contester une directive communautaire.

L’accord assure la libre-circulation des marchandises, des services, des capitaux et des personnes, ainsi que des accords encadrant la politique de concurrence, la protection des consommateurs ou l’éducation. De son côté, la Suisse a signé des accords bilatéraux avec l’UE.

Vu comme un système transitoire, le système s’est compliqué. L’Union à Vingt-Sept a remplacé la CEE à douze. Comme la Suisse, la Norvège a multiplié les accords bilatéraux.

Un comité indépendant de 12 personnalités a été mandaté par le gouvernement pour étudier les apports de l’EEE. Il doit rendre son rapport en automne 2011.

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