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Le cyber-passeport inspire une confiance limitée

Les données biométriques et leur centralisation dans un registre national n'ont convaincu qu'une très courte majorité des Suisses. Keystone

Liberté de voyager contre craintes liées à la sphère privée, les Suisses ont tranché. Ils disposeront d'un passeport biométrique dès le printemps 2010. Mais le score extrêmement serré montre que la protection des données électroniques est source d'inquiétude. Analyse.

A 5504 voix près, les Suisses ont accepté dimanche l’introduction d’un passeport muni d’une puce qui contiendra une photographie biométrique du visage et deux empreintes digitales.

Ils n’auront ainsi rien à envier aux ressortissants des quelque 50 pays qui aujourd’hui déjà émettent de tels documents. Pragmatiques, ils ont opté pour la solution qui leur évitera des problème lors de leurs déplacements dans l’Espace Schengen ou aux Etats-Unis.

Grâce à ce oui du bout des lèvres à l’issue de l’un des scrutins les plus serrés de son histoire, la Suisse donne donc une nouvelle fois la preuve de sa volonté d’eurocompatibilité. La ministre de Justice et Police Eveline Widmer-Schlumpf n’aura ainsi pas à bricoler une solution ad hoc afin d’éviter une expulsion du système Schengen/Dublin.

Contre un registre central

Mais la ministre ne pourra toutefois pas faire l’impasse sur l’extrême justesse de ce scrutin. Elle devra ainsi respecter les craintes, nombreuses, exprimées au cours de la campagne. A commencer par celles liées au respect de la sphère privée.

Car les risques d’utilisation abusive et de détournement des informations biométriques expliquent en grande partie l’ampleur du non. Evoqués tout à la fois par la gauche et la droite libérale, par certains experts en informatique ainsi que par le préposé fédéral à la protection des données Hanspeter Thür, ces risques ont renforcé la méfiance à l’égard des document biométriques.

Quant au registre centralisé prévu par Berne – ceci alors que les accords de Schengen ne l’y obligent pas -, il n’a pas contribué à rassurer. Ce d’autant que l’Allemagne ou l’Autriche par exemple y ont renoncé afin de ne pas porter atteinte à la protection des données.

Carte d’identité biométrique ?

Scandale des fiches, Etat fouineur, «Big Brother» orwellien, les Suisses ont en fait montré que l’informatisation des renseignements les concernant au plus près les fait désormais réfléchir à deux fois.

Dans ces conditions, le Conseil fédéral (gouvernement) dispose d’une marge de manœuvre restreinte sur la question de la carte d’identité, qui pourrait elle aussi à l’avenir devenir biométrique si le gouvernement le décide.

Dimanche, Eveline Widmer-Schlumpf, soulagée par l’issue de la votation, a promis que cela ne serait pas le cas. Quant aux partisans du passeport biométrique, ils ont été nombreux à appeler au respect de la liberté de choix au vu du résultat extrêmement serré sorti des urnes.

Oui à la médecine complémentaire

Tout autre tableau en revanche pour l’autre objet soumis au peuple. Au terme d’une campagne il est vrai peu politisée, les Suisses, conformément aux sondages, ont accepté à une large majorité (67%) d’inscrire la médecine douce dans la Constitution. Par là, ils ont confirmé leur attachement aux thérapies alternatives, auxquels 70% d’entre recourent régulièrement ou occasionnellement.

Ils ont aussi donné un signal clair au ministre de la Santé Pascal Couchepin. Lui qui avait décidé en 2005, à la suite d’un programme d’évaluation contesté, de retirer cinq de ces pratiques (homéopathie, phytothérapie, médecine anthroposophique, médecine traditionnelle chinoise, thérapie neurale) du catalogue des soins remboursés par l’assurance maladie de base.

Reste que la portée réelle de cette décision populaire est loin d’être aussi claire qu’il n’y paraît. Alors que les partisans de la médecine complémentaire espèrent une mise en œuvre dès mi-2010 ou début 2011, Pascal Couchepin a lui souligné que cette inscription dans la Constitution n’aura aucun «effet direct».

Les partisans d’une admission des cinq pratiques exclues en 2005 dans l’assurance de base devront donc, semble-t-il, prendre leur mal en patience. Quant aux assurés, ils ne semblent guère disposés à voir augmenter leurs frais de santé, comme en témoignent les grincements de dents autour des mesures urgentes proposées début mai par le même ministre de la santé toujours soucieux de freiner la hausse des coûts.

Retour au Parlement

En réalité, c’est dans le camp du Parlement que la balle se trouve. Il devra en effet élaborer une loi autour de cette nouvelle disposition constitutionnelle afin de garantir une meilleure prise en compte de la médecine complémentaire.

Et les questions qu’il devra résoudre promettent des débats enfiévrés. Faut-il soumettre les pratiques alternatives aux mêmes critères d’évaluation que la médecine classique? Peut-on établir la preuve de leur efficacité en suivant une procédure similaire à celle appliquée pour la médecine scientifique? Quels produits thérapeutiques doivent être pris en considération?

Les rapports d’experts et les querelles de spécialistes risquent bien de se succéder et d’interférer avec le lancinant débat sur les coûts de la santé. Il faudra donc que les partisans de la médecine complémentaire fassent preuve de détermination s’ils ne veulent pas la voir finir aux soins intensifs.

Carole Wälti, swissinfo.ch

Passeports biométriques

50,1% des votants ont accepté l’introduction de données biométriques enregistrées électroniquement dans le passeport suisse.

S’agissant d’un référendum facultatif, cet objet ne requérait que la majorité du peuple. A noter toutefois que 16 cantons l’ont refusé.

Médecine complémentaire

67% des votants ont accepté l’introduction d’un article constitutionnel consacré à la prise en compte des médecines complémentaires.

S’agissant d’une modification constitutionnelle, cet objet requérait la double majorité du peuple et des cantons.

Le taux de participation global a atteint 38,3%.

En 2004, la Suisse a signé les accords Schengen/Dublin, décision que le peuple a entérinée en 2005. Elle s’assure ainsi une coopération avec l’Union européenne (UE) en matière de sécurité, de visas et d’asile.

L’assouplissement des contrôles aux frontières en a été jusqu’ici l’effet le plus visible. Les voyageurs en provenance d’Etats tiers qui visitent plusieurs pays membres de Schengen n’ont quant à eux plus besoin que d’un seul visa.

La législation européenne évolue sans arrêt. La Suisse doit donc à chaque fois adapter son droit si elle souhaite continuer de participer à cet espace commun. L’adoption de passeports conformes aux règles européennes en est un exemple.

D’autres modifications sont prévues, qui toucheront la législation helvétique. Notamment pour simplifier l’échange d’informations entre la Suisse et les autorités de poursuite pénale des Etats Schengen ou pour durcir la loi sur les armes.

La loi sur les étrangers devrait aussi être modifiée. Dans l’UE en effet, les immigrés illégaux ne peuvent être détenus que 18 mois avant leur refoulement, contre 24 en Suisse.

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