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Le parti socialiste veut affronter le monde globalisé

Présenté par Christian Levrat (arrière-plan) et Hans-Jürg Fehr, le nouveau programme du PS doit orienter l'action du parti pour une génération. Keystone

Les socialistes suisses viennent de se donner un nouveau programme. C’est le septième depuis la création du parti en 1888. Sur fond de crise financière, il n’est plus question de rupture avec le capitalisme, mais de démocratisation de l’économie. Décryptage avec un politologue et un historien.

Le parti socialiste suisse est toujours décidé à changer la société. C’est ce qu’a assuré son ancien président Hans-Jürg Fehr, mercredi, en présentant le nouveau programme du parti. Un vaste exercice auquel le PS ne s’était pas livré depuis plus de 30 ans.

Mais au fait, à quoi sert un tel document, qui tient en une cinquantaine de pages? Le comparant à la Constitution d’un pays, le président du PS Christian Levrat l’a décrit comme un texte «de nature fondamentale» qui se place «au-dessus des aléas de la politique quotidienne» et susceptible de servir de référence une génération durant.

Seul parti de Suisse à se doter d’une telle feuille de route, le PS y pose un principe cardinal (réguler la globalisation), y décline ses valeurs fondamentales (liberté, justice, solidarité) et y énumère des pistes destinées à guider son action politique.

Essentiellement théorique, le programme contient néanmoins un certain nombre de propositions concrètes. Au nombre de celles-ci, le lancement rapide de négociations d’adhésion à l’Union européenne, la réforme du fédéralisme, le remplacement du service militaire obligatoire par un système de recrutement volontaire ou encore la mise sur pied d’une politique sociale axée sur la prévention.

Rien de révolutionnaire

Quant à la lutte contre le grand capital, fil rouge historique des six derniers programmes du PS, elle n’est pas oubliée. Mais l’esprit qui avait contribué au lancement des initiatives pour un impôt sur la richesse (1974) ou contre l’abus du secret bancaire et de la puissance des banques (1978) – toutes deux refusées par le peuple – se fait moins offensif.

Conformément au nouveau slogan du parti («Oui») adopté en juin 2009, il ne s’agit plus de rejeter en bloc la capitalisme et la globalisation, mais de réclamer une démocratisation de l’économie. Autrement dit de privilégier l’organisation coopérative et les structures participatives. Une idée déjà formulée en 1982 dans le dernier programme du PS, qui avait fait couler beaucoup d’encre parce qu’il prônait alors ouvertement la «rupture» avec le capitalisme.

Beaucoup plus modéré, le ton de la nouvelle version est jugé avec circonspection par le politologue Georg Lutz. «Je peine à comprendre ce qui est nouveau et ce qui change. Le discours sur la globalisation, dans cette formulation intellectuelle, sera difficile à faire passer. Même s’il faut souligner que ce travail programmatique est important à l’interne et que le but premier n’est pas la mobilisation des électeurs.»

Auteur de l’article consacré au PS dans le Dictionnaire historique de la Suisse, Bernard Degen estime lui aussi que ce nouveau programme n’a rien de révolutionnaire. Dans la thématisation du néo-libéralisme et de la globalisation, l’historien ne voit qu’une continuité avec les critiques opposant économie réelle et économie financière formulées par le parti depuis de nombreuses années.

«La méfiance vis-à-vis de l’économie financière n’a jamais disparu au sein du PS. On a simplement adapté le langage, comme d’ailleurs dans l’Entre-deux-guerres déjà, où le concept de démocratie économique avait été préféré à celui de lutte des classes parce qu’il suscitait moins d’inquiétude», rappelle Bernard Degen.

Réunir toutes les tendances

Historiquement, les programmes successifs ont selon lui eu un impact «limité» sur l’action concrète du parti. S’ils ont joué un rôle très important jusque dans les années 1950 pour l’orientation des militants et pour le positionnement du PS en tant que parti d’opposition face au camp bourgeois, ils sont par la suite plutôt devenus une manière de se présenter dans l’espace public, ajoute l’historien.

Le nouveau programme suscitera-t-il des débats passionnés, comme l’a souhaité Christian Levrat et comme cela avait été le cas avec le programme économique en 2006 et le papier sur la sécurité publique en 2008? Bernard Degen en doute. «Ce programme ne conduira pas à d’importantes discussions de fond. Il s’agit d’un texte hautement différencié qui prend en compte les attentes de toutes les tendances présentes au sein du PS», analyse-t-il.

Sur le plan électoral, le parti doit en effet composer avec plusieurs ailes. A celle proche des milieux syndicaux s’ajoute une autre, plus urbaine et libérale, susceptible de choisir également ou les Verts ou d’autres partis du centre. «Pour enrayer l’érosion des voix, le PS a bien tenté de virer à gauche dans les années 1990 sous Peter Bodenmann, mais cela n’a pas empêché les Verts de progresser. Quant à la stratégie de s’ouvrir vers le centre, elle n’a jamais vraiment fonctionné», commente Georg Lutz.

Devenu, selon ses termes, «le parti de la classe moyenne à moyenne supérieure», le PS continue en fait de perdre des plumes, comme lors des récentes élections cantonales à Berne ou à Zurich. Contre toute attente, indique par ailleurs le politologue, la crise financière ne lui a manifestement pas profité électoralement parlant. Nouveau programme ou pas, le PS a donc encore du pain sur la planche dans la perspective des élections fédérales de 2011.

Carole Wälti, swissinfo.ch

1888: le premier programme du parti socialiste, élaboré dans la foulée de sa fondation, a pour objectif la prise en main de l’économie par le peuple.

1904: dans un contexte marqué par les grèves, le PS se donne un nouveau programme imprégné par le marxisme. Il prône la lutte des classes et l’appropriation des moyens de production.

1920: au lendemain de la Première Guerre mondiale, le 3ème programme critique l’impérialisme et approuve la grève politique comme moyen de lutte. Il prévoit une dictature du prolétariat.

1935: après la prise du pouvoir par les nazis, le PS biffe de son programme les points susceptibles d’empêcher une alliance avec les partis bourgeois Il se rallie à la défense nationale et envisage l’idée d’un gouvernement de coalition avec le centre.

1959: soutenant l’anticommunisme durant la Guerre froide, le PS abandonne sa politique d’opposition. Son cinquième programme, à caractère plutôt humaniste, ne revendique que de modestes réformes.

1976/1982: changement de discours en 1976, où l’intégration des nouveaux mouvements sociaux et la récession de 1974 amènent le parti à prôner la rupture avec le capitalisme. Un objectif répété en 1982.

2010: avec son nouveau programme, le PS veut réagir aux défis de la globalisation. Le capitalisme doit être dépassé et remplacé par la démocratisation de l’économie.

Source: Dictionnaire historique de la Suisse.

Le projet de nouveau programme du PS a été piloté par son ancien président Hans-Jürg Fehr.

La première mouture du document a été adaptée par le comité directeur du parti, dont la version a été adoptée le 26 mars 2010.

Cette version est désormais en consultation auprès des sections jusqu’au 31 juillet.

Un congrès du parti doit adopter la version finale du programme les 30 et 31 octobre prochains à Lausanne.

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