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Le retrait américain de l’OMS «n’a pas été pleinement réfléchi»

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En 1948, les Etats-Unis ont participé à la création de l'OMS. Keystone / Martial Trezzini

Le président américain Donald Trump déclare vouloir mettre fin aux relations de son pays avec l’agence onusienne de la santé basée à Genève. Ilona Kickbusch, spécialiste de la santé mondiale, explique les implications de cette annonce et ses retombées.

Fin mai, le président américain a déclaré qu’il «mettait fin» aux relations des États-Unis avec l’agence spécialisée des Nations unies en matière de santé. Cela avant même la fin du délai de 30 jours qu’il avait donné précédemment à l’OMS pour qu’elle engage de profondes réformes.

Donald Trump accuse l’agence d’être devenue une marionnette de la Chine dans sa gestion de la crise mondiale du coronavirus et de ne pas être entrée en matière sur les réformes qu’il avait exigées, le 18 mai, dans une lettre au directeur général de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus.

swissinfo.ch: Les États-Unis peuvent-ils se retirer unilatéralement de l’OMS qu’ils ont contribué à fonder en 1948?

Ilona Kickbusch: Lors de leur adhésion à l’OMS, les États-Unis étaient le seul pays à disposer d’une clause spéciale leur permettant de se retirer. Il s’agissait d’une construction juridique acceptée par le Congrès américain. Si Donald Trump s’engage dans cette voie, il devra notifier officiellement à l’OMS que les États-Unis veulent se retirer. Il ferait encore partie de l’organisation pendant un an et devrait encore payer toutes les contributions impayées. (Au moment de publier ces lignes, Washington n’a pas encore envoyé de notification officielle de retrait).

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De nombreuses questions restent encore sans réponse. Donald Trump n’a pas dit exactement comment, quand et à quelles conditions les États-Unis quitteraient l’OMS. Pensez-vous que le président a vraiment l’intention de se retirer complètement de l’organisation?

Cette déclaration suscite en ce moment beaucoup de surinterprétations. Donald Trump dit essentiellement: «Je ne veux plus travailler avec ces gars, car je ne leur fais pas confiance.»

Veut-il faire ce qu’il a fait avec l’UNESCO, c’est-à-dire se retirer selon les règles? Ou veut-il laisser les États-Unis rester membres de l’OMS, ce qui est possible, jusqu’à ce que Washington estime, selon son interprétation, que l’OMS a fait son travail? C’est ce qui s’est passé entre l’URSS et l’OMS dans les années 1950. Une troisième option pourrait être une décision qu’aucun d’entre nous ne peut imaginer, tant de négociations, de discussions et de sujets de préoccupation sont en jeu actuellement.

Ensuite, si Donald Trump envoie formellement sa décision et ne gagne pas les élections de novembre, le prochain président américain pourrait simplement dire qu’il ne veut pas se retirer. En outre, nous ne savons pas vraiment si Donald Trump peut prendre unilatéralement cette décision ou s’il a réellement besoin de l’accord du Congrès.

Quelles sont les implications possibles d’un retrait américain de l’agence mondiale de la santé?

Se retirer de l’OMS signifie-t-il aussi se retirer de traités comme le Règlement sanitaire international et la Convention-cadre internationale pour la lutte antitabac? Certains de ces traités sont très importants pour les États-Unis.

Cela signifie-t-il qu’il faut se retirer de toute coopération mondiale en matière de santé, comme le Programme mondial de lutte contre la poliomyélite, où ira une grande partie des contributions volontaires des États-Unis? Vont-ils retirer le personnel américain détaché à l’OMS et qu’est-ce que cela signifie pour leurs familles?

Le diable est dans les détails. C’est vraiment, vraiment compliqué. Se retirer de l’UNESCO a été facile, car il n’y avait pas de traité lié. Mais quand vous vous retirez de l’OMS, cela implique une série de traités et de normes sanitaires, où les instituts, les chercheurs et les experts américains jouent un rôle incroyablement important. Cette décision n’a pas été pleinement réfléchie.

Donald Trump pense probablement que l’OMS est une organisation basée à Genève, pleine d’étranges bureaucrates. Mais l’OMS a également 80 bureaux nationaux que les États-Unis utilisent en permanence pour des programmes bilatéraux. L’OMS a également des bureaux régionaux. Quelles seront les implications pour l’Organisation panaméricaine de la santé?  Qu’en est-il de tout le travail de l’OMS en Amérique latine, qui devient le foyer principal de la pandémie?

Les implications de cette décision seront difficiles pour les deux parties. Le monde a besoin de l’expertise et de la science américaines et vice-versa. Même lorsque les États-Unis travaillent bilatéralement dans les pays, l’OMS est le partenaire le plus fiable. Si vous voulez faire un travail important dans le domaine de la santé, vous devez être perçu comme travaillant avec l’OMS.

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Les États-Unis sont le plus grand donateur de l’OMS. L’agence aura-t-elle du mal à combler le vide?

En ce qui concerne les contributions à l’OMS (les pays paient des cotisations pour être membre de l’OMS), je suis sûre que les pays les combleront. Mais à moyen et long terme, il faut discuter de la question des contributions obligatoires. Il n’est pas bon qu’un pays porte une part aussi importante du financement de l’OMS, comme le font les États-Unis, car cela fausse les relations de pouvoir.

De plus, si le retrait a lieu, je suppose que la Fondation Bill et Melinda Gates comblerait le vide dans le Programme de lutte contre la poliomyélite, par exemple.

La décision de Donald Trump pourrait-elle entraîner un changement dans la gouvernance mondiale de la santé, amenant les petits États et les alliances à jouer un rôle plus important à l’OMS?

C’est une évolution qui est en train de se passer lentement, mais sûrement. L’Union européenne a mieux organisé son action. La récente résolution de l’Assemblée mondiale de la santé sur la Covid-19 a été très largement négociée par l’UE. La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, est médecin et engagée en faveur de la santé mondiale.

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La présidence allemande de l’UE débutera en juillet. Or Berlin a été l’un des plus fervents partisans de l’OMS. Ensuite, les pays asiatiques s’unissent et l’Union africaine joue un rôle beaucoup plus important. Par ailleurs, de petits pays, comme la Suisse et l’Autriche, nouent de nouvelles alliances. Nous constatons une dynamique incroyable en ce moment.

Beaucoup de commentateurs américains sont trop simplistes: les États-Unis quittent l’OMS et la Chine prend le relais… non, ce n’est pas le scénario que je vois.

Traduit de l’anglais par Frédéric Burnand

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