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Le secret médical, un luxe ou une nécessité?

Les médecins veulent continuer de traiter les diagnostics avec la plus grande discrétion possible Keystone

Une nouvelle révision de l’assurance-maladie est en cours. Celle-ci porte notamment sur le secret médical, suscitant la polémique. Les caisses maladie souhaiteraient plus de transparence dans le but de mieux maîtriser les coûts, mais les médecins s’y opposent.

Une nouvelle révision de la loi sur l’assurance-maladie (Lamal) est en vue. Du coup, la pression sur les coûts de la santé augmente. Dans ce contexte, le débat porte notamment sur le «secret médical», qui est en fait celui du patient.

La Suisse accorde plus d’importance à ce principe que beaucoup d’autres pays européens. Cela a un prix, affirme l’économiste Heinz Locher, spécialiste du domaine de la santé. En d’autres termes, il existe un potentiel d’économies, que les caisses maladie évaluent à près d’un milliard de francs par année.

«Dans certains cas, les assureurs doivent pouvoir contrôler de manière
précise si les actes médicaux exécutés étaient vraiment nécessaires, estime Silvia Schütz, porte-parole de Santésuisse. Or cela n’est possible que si le diagnostic ayant entraîné ces actes peut être exigé du médecin».

Les médecins inquiets

Comme le fait remarquer Marc Müller, généraliste et président du Collège de médecine de premier recours, chacun s’accordait à dire jusqu’ici que le diagnostic devait rester relativement vague. Le fait qu’à l’avenir les factures de médecin devraient comporter des codes a amené la Fédération des médecins suisses (FMH) à adresser, mi-septembre, un mail inquiet aux députés fédéraux.

Pour pouvoir livrer aux caisses des diagnostics sous forme codée, il faudrait, selon Marc Müller, que les hôpitaux créent de nouveaux postes de spécialistes de l’encodage. Cela aussi demande des moyens financiers. En outre, le médecin de premier recours devrait accomplir un travail administratif supplémentaire pour répondre aux exigences complexe des caisses maladie.

Mais ce n’est pas tout: il est prévu que les caisses maladie recevront automatiquement, par voie électronique, des données liées au diagnostic. En 2012, ce système baptisé «SwissDRG» doit être intégré à la facturation des hôpitaux, avec des forfaits par cas. C’est la protection des données qui est donc en jeu.

Craintes fondées?

Silvia Schütz se montre rassurante: les caisses maladie n’auraient pas exigé de la part des médecins des factures contenant des codes. Mais elles ne seraient naturellement pas mécontentes de pouvoir en disposer pour mieux maîtriser les coûts. L’assureur a le devoir de contrôler les factures de médecin, une tâche difficile en l’absence de tout diagnostic, comme c’est le cas aujourd’hui encore.

La transmission automatique, par voie électronique, des diagnostics, éveille la crainte de fuites. Silvia Schütz ne se laisse pas démonter par cet argument. En effet, les assureurs seraient également tenus de garder secrets les diagnostics qu’ils recevraient des médecins. Comme pour ceux-ci, qui peuvent être poursuivis en justice en cas de non-respect du secret médical, il serait interdit aux assurances de transmettre ces données à des tiers.

Marc Müller n’en est pas certain: «Quand un patient est amené à se plaindre d’une transmission à des personnes non autorisées, le mal est déjà fait. Dans certains cas, l’assureur peut obtenir des informations, par exemple quand la facture du médecin lui paraît étrange. Cela ne pose pas de problème ». Mais les projets de transmissions systématiques entre le médecin et l’assureur font débat.

Silvia Schütz admet que les patients craignent de ne plus pouvoir adhérer à des assurances complémentaires si les données médicales sont transmises aux caisses. Mais cela n’est pas d’actualité car de telles pratiques seraient interdites. Marc Müller réplique que ces craintes ne sont pas fantaisistes mais fondées sur l’expérience. «Nous ne faisons par confiance aux caisses sur l’utilisation de ces données. Nous nous sommes déjà brûlé les doigts.»

Priorité au patient

Heinz Locher plaide pour une pesée d’intérêts entre les arguments des
patients, des médecins et des assureurs. «Ces trois forces s’affrontent sur le terrain politique. Mais l’intérêt du patient, qui veut protéger des indiscrétions ses données médicales, est évident. Il se trouve au premier plan».

Bien sûr, il est également légitime que les assureurs disposent d’informations sur le diagnostic pour jouer leur rôle. Mais combien? Et les caisses doivent-elles recevoir automatiquement les diagnostics ou seulement quand des problèmes surgissent?

En outre, il est important de savoir qui, dans les caisses, pourra consulter les diagnostics. Le médecin-conseil ou également les employés? Il est évident pour Heinz Locher que le médecin est partagé entre sa volonté de protéger son patient et l’obligation de permettre aux assureurs d’avoir un contrôle sur son activité.

Un accès à la médecine plus large

Si les patients suisses exigent une protection de la sphère privée plus stricte qu’ailleurs en Europe, ils doivent en payer le prix. «S’agissant de l’assurance de base, le système de santé helvétique est le plus libéral du continent, notamment sur le plan de la liberté de choix du médecin. Cela n’est pas gratuit , affirme Heinz Locher. La facture peut s’élever à deux, trois, voire quatre pour-cent du Produit intérieur brut. En outre, le patient suisse peut consulter trois médecins pour la même maladie et l’assurance de base permet d’être reçu rapidement par un médecin, y compris s’il s’agit d’un spécialiste.»

L’accès quasi immédiat aux prestations médicales n’est plus possible dans beaucoup de pays européens: «En Grande-Bretagne, les soins gratuits ne sont plus garantis que sur le papier, continue Heinz Locher. C’est pourquoi le gouvernement s’est donné pour objectif de rendre possible une consultation chez un spécialiste dans un délai de 18 semaines, alors qu’il n’est que de quelques jours en Suisse».

Dans la réalité, ce délai est souvent encore plus long. Dans certaines régions de France, par exemple à Paris, il est désormais nécessaire d’avoir une assurance complémentaire pour pouvoir consulter un spécialiste dans un délai raisonnable. Aux Pays-Bas, l’admission serait aussi bonne qu’en Suisse, mais les patients ont l’obligation de passer par leur médecin de famille.

En Allemagne, c’est le principe des prestations en nature qui est en vigueur, mais il n’y a plus de garantie du secret médical, indique encore Heinz Locher. Les patients allemands bénéficient de prestations médicales directes au lieu de recevoir de l’argent.

En Suisse, le système de santé a coûté environ 55 milliards de francs en 2007, dont presque la moitié en milieu hospitalier.

Actuellement, la barre des 60 milliards a vraisemblablement été atteinte voire dépassée. Le système de santé représente ainsi quelque 11% du Produit intérieur brut de la Suisse.

Environ un demi-million de personnes, dont 15’000 médecins, travaillent dans le domaine de la santé.

La notion de secret médical apparaît déjà dans le Serment d’Hippocrate. Le secret médical impose légalement au médecin l’interdiction de divulguer les secrets dont il a eu connaissance dans son activité professionnelle.

Le devoir de garder le secret est associé à la protection des données. Il protège la sphère privée des personnes. Les psychothérapeutes, les dentistes et tous les autres membres du système
de santé sont également liés par le secret médical.

D’autres groupes de personnes sont tenus au secret professionnel, notamment les avocats, les conseillers fiscaux et les fonctionnaires.

Le secret médical ne couvre pas seulement le diagnostic ou le soupçon d’une maladie, mais aussi d’autres informations comme les conditions de vie, la situation personnelle, les addictions ou la fortune.

Il peut être opposé non seulement aux caisses maladie, mais aussi à la famille, aux amis, aux médias ou à la police. Des informations peuvent/doivent cependant être données avec l’accord de la personne concernée ou en situation d’urgence.

(Traduction de l’allemand: Xavier Pellegrini)

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