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La loi sur l’asile passe facilement la rampe

La nouvelle loi sur l'asile vise à accélérer les procédures d'examen des demandes. Keystone

Deux tiers des Suisses ont donné leur aval dimanche à une nouvelle révision de la loi sur l’asile visant une accélération des procédures d’examen et une réduction des coûts. Il s’agit d’une défaite nette pour la droite conservatrice qui avait lancé le référendum.  

La réforme a convaincu 66,8% des Suisses, selon les résultats définitifs. Aucun canton n’a soutenu le référendum de l’Union démocratique du centre (UDC).

Le gouvernement a pris acte «avec grande satisfaction» de la décision populaire, a indiqué à l’issue du vote la ministre de la justice Simonetta Sommaruga. Elle a jugé que la loi, qui met en place des processus accélérés mais équitables et conformes à l’état de droit, contribuait à mettre en place une politique d’asile crédible.

La conseillère fédérale a par ailleurs souligné que la Suisse continuera à s’engager dans la question de l’asile en Europe, poursuivra son aide humanitaire dans les régions en crise et dans la conclusion d’accords de réadmission avec les pays concernés. 

«Plus d’argent pour l’intégration»

L’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR) a également salué ce résultat. «Le droit d’asile sera amélioré pour les personnes en quête de protection», s’est réjouie la directrice Miriam Behrens. Et «la population va évoluer avec des personnes davantage prêtes à s’intégrer par rapport à aujourd’hui», a ajouté le porte-parole Stefan Frey.

Après ce verdict net, Miriam Behrens réclame davantage de moyens pour l’intégration des personnes ayant reçu une décision d’accueil positive: «La pression en faveur de mesures d’intégration va s’accentuer. Il faut davantage d’argent pour des cours de langues, pour que les réfugiés qui peuvent rester puissent s’intégrer au plus vite dans la société», a-t-elle martelé. 

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Cantons satisfaits

La décision du peuple suisse est une bonne nouvelle pour les cantons. «L’accélération des procédures dans les centres fédéraux nous déchargera», a commenté Hans-Jürg Käser, le président de la Conférence des directeurs cantonaux de justice et police, relevant que trois procédures sur cinq pourraient à l’avenir être menées dans ces structures.

Le ministre du canton de Berne a ajouté qu’avec cette nouvelle loi, ainsi qu’un plan d’urgence élaboré récemment par la Confédération, la Suisse est parée à faire face à des mouvements migratoires intenses.

«Machine de propagande du Conseil fédéral»

Dans le camp des perdants, le conseiller national du canton d’Argovie Andreas Glarner, en charge du dossier de l’asile à l’UDC, a indiqué ne pas être surpris par l’ampleur du résultat. «Le Conseil fédéral a mis en place une machine de propagande et trompé le peuple», a-t-il affirmé. Il a ajouté que son parti sera rapidement en mesure de prouver que les procédures d’asile ne seront pas plus rapides et moins chères, et qu’à la fin, ce seront les communes à être dans le pétrin. «Alors nous demanderons des comptes au Conseil fédéral».

Andreas Glarner, un dur à l’UDC en matière d’asile, avait fait les gros titres récemment: la commune d’Oberwil-Lieli qu’il préside, et qui compte quelque 300 millionnaires, a refusé en votation populaire d’accueillir la dizaine de requérants d’asile qui lui avaient été attribués, acceptant de payer une compensation financière pour se libérer de cette obligation.

La nouvelle loi

A l’avenir, les procédures les plus simples (par exemple celles relevant de la compétence d’un autre Etat sur la base de l’accord de Dublin) ne devraient pas durer plus de 140 jours, contre 277 en moyenne actuellement. Les procédures plus complexes (par exemple dans le cas de recours) ne devraient pas dépasser un an, alors qu’aujourd’hui, elles se prolongent souvent sur plus de deux ans. 

Pour garantir des traitements corrects et équitables, les requérants d’asile pourront bénéficier dès le début d’un service de conseils et d’une aide juridique gratuits.

Les procédures les plus simples (environ 60% des cas) seront menées à l’avenir dans de nouveaux centres d’accueil gérés directement par la Confédération. La Confédération pourra ainsi accueillir jusqu’à 5000 personnes environ, contre 1400 places d’accueil actuellement à sa disposition.

Le gouvernement fédéral estime que plus de 500 millions de francs seront nécessaires pour cette réforme du secteur de l’asile. A moyen terme, la révision devrait toutefois permettre à la Confédération et aux cantons d’économiser plus de 200 millions de francs par année. 

Son collègue de parti et conseiller national du canton de Zoug Thomas Aeschi s’en est lui pris à l’administration, coupable à ses yeux d’avoir produit de faux arguments, ainsi qu’aux médias, qui étaient «dans leur majorité en faveur de la révision».

Le président du parti Albert Rösti a pour sa part voulu relativiser la défaite de l’UDC, la deuxième cette année après le rejet en février de l’initiative demandant la mise en œuvre «effective» des renvois des «étrangers criminels». «Il ne s’agissait pas d’un plébiscite pour ou contre l’UDC, mais d’une discussion sur des arguments concrets. Et les positions de l’UDC n’ont pas pris auprès du peuple», a relevé le Bernois Albert Rösti.

«Une gifle pour l’UDC»

A gauche, on parle en revanche d’une gifle pour l’UDC, «qui n’a même pas réussi à mobiliser son électorat sur son thème-clé», a dit la conseillère nationale socialiste vaudoise Cesla Amarelle.

Selon cette spécialiste des questions migratoires, les gagnants du jour ne doivent pas se reposer sur leurs lauriers. «Il va falloir sans doute gérer une augmentation des demandes d’asile au cours des prochains mois et créer un dispositif solide pour y répondre», a-t-elle déclaré, évoquant aussi des «questions brûlantes» concernant la politique d’intégration, les accords Dublin et le statut des admissions provisoires.

Chantier permanent

La législation sur l’asile est un chantier permanent en Suisse. Depuis son introduction en 1981, elle a été soumise à une douzaine de révisions, en moyenne une tous les trois ans. 

Le scénario de cette votation était inédit: c’était la première fois qu’une révision de la loi sur l’asile était soutenue par une majorité de la gauche, qui jusqu’ici s’était toujours opposée aux tours de vis dans ce domaine, au nom de la tradition humanitaire de la Suisse. L’UDC, qui n’a eu de cesse ces dernières années de réclamer un durcissement des conditions de l’asile, était cette fois dans le camp des opposants, ayant lancé un référendum contre la loi approuvée par le Parlement l’année passée.

Le soutien de la gauche s’explique par le fait que la révision ne vise pas uniquement une limitation du droit d’asile, mais offre également une plus grande protection juridique des requérants d’asile ainsi qu’une amélioration dans le traitement des demandes.

Les partis du centre-droit saluaient eux le gain en efficacité et la diminution des coûts. La loi vise en effet à accélérer les procédures d’asile, de façon à raccourcir les temps d’attente pour les renvois dans le cas d’une décision négative, ou pour l’insertion sur le marché du travail des personnes autorisées à rester.

L’UDC avait qualifié ces mesures de contreproductives. Elle y voyait même une invitation aux requérants d’asile à venir en Suisse, alors qu’en Europe, plusieurs pays envisagent de fermer leurs frontières face à l’afflux de requérants d’asile.

Plutôt que d’augmenter les capacités d’accueil, a plaidé l’UDC durant la campagne, la Suisse devrait trouver des solutions pour refouler ou renvoyer les «réfugiés économiques», qui constituent selon ce parti la majorité des requérants d’asile en Suisse.

«Durcissement dramatique»

Mais l’opposition n’est pas venue uniquement de la droite. Une fraction minoritaire de la gauche a dénoncé un «durcissement dramatique» du droit d’asile. Pour elle, l’aide juridique ne garantira pas une procédure équitable et permettra plutôt de renvoyer le plus de requérants possible, rapidement et à moindres frais.

Elle a également souligné que la nouvelle loi pérennise des dispositions urgentes prises ces dernières années, qui étaient censées rester provisoires, comme l’impossibilité de déposer une demande d’asile dans une ambassade, la non-reconnaissance de la désertion et de l’objection de conscience comme motifs d’asile ou encore l’internement des requérants tenus pour «récalcitrants».

Flux migratoires historiques 

Suite aux flux migratoires sans précédents du Moyen-Orient, environ 1,4 million de personnes ont demandé l’asile l’an dernier dans les pays européens, soit plus du double par rapport à 2014. En Suisse, 39’523 nouveaux requérants ont été enregistrés en 2015, ce qui représente une hausse de 66,3% par rapport à l’année précédente. 

Sur l’ensemble des demandes d’asile déposées en Europe, le pourcentage de celles déposées en Suisse s’est élevé à 3% l’an passé, la valeur la plus basse des vingt dernières années. En 2012, la Confédération avait reçu 8,2% des demandes présentées dans toute l’Europe. 

La Suisse figure néanmoins encore au septième rang parmi les pays comptant le plus de requérants d’asile par rapport à la population. En 2015, 4,9 demandes pour 1000 habitants ont été déposées, alors que la moyenne européenne s’établissait à 2,9 pour 1000. 

Avec 9966 demandes, l’Erythrée a constitué l’an passé encore le principal pays de provenance des requérants d’asile en Suisse. Suivent l’Afghanistan (7831), la Syrie (4745), l’Iraq (2388), le Sri Lanka (1878), la Somalie (1253), et le Nigeria (970).

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