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Après 50 ans de conflit, la Colombie rêve de paix

Les représentants des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) lors d'une conférence de presse à La Havane, le 6 novembre 2012. Keystone

Les négociations pour la paix en Colombie ont débuté lundi à La Havane par l'annonce d'un cessez-le-feu unilatéral de la guérilla. Bien qu’absente des discussions, la Suisse confirme sa volonté de soutenir le processus de pourparlers. L’ancien médiateur Jean-Pierre Gontard fait preuve d’optimisme.

Eprouvés par un demi-siècle de conflit, le plus vieux d’Amérique latine, les Colombiens attendent avec un grand intérêt les discussions de paix qui s’ouvrent cette semaine à Cuba. Ces pourparlers font suite à une première réunion tenue il y a un mois en Norvège, autre pays garant du processus et qui possède une longue expérience des négociations difficiles, que ce soit au Proche-Orient, au Sri Lanka ou en Amérique latine.  

Dès le début de la réunion, les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) ont annoncé un cessez-le-feu unilatéral de deux mois. «Le secrétariat (des Farc) ordonne la fin des opérations militaires offensives contre la force publique», a affirmé Ivan Marquez, chef de la délégation des FARC à son arrivée au Palais des conventions de La Havane. C’est la première fois que l’ancienne guérilla marxiste annonce une trêve avec le gouvernement colombien depuis plus d’une décennie.

Le savoir-faire suisse

Si la Suisse n’est pas officiellement impliquée dans ces entretiens, elle entend néanmoins mettre ses connaissances du terrain à disposition des acteurs du conflit. «Nous disposons d’un réseau de contacts sur place et un savoir-faire dans de nombreux domaines qui peuvent s’avérer utiles pour le processus de paix», affirme Pietro Piffaretti, coordinateur régional pour l’Amérique latine au ministère suisse des Affaires étrangères (DFAE).

Le représentant de la diplomatie suisse confirme qu’au-travers des contacts bilatéraux que les autorités suisses maintiennent avec leurs homologues colombiens, Berne a manifesté sa disponibilité pour appuyer le processus de négociations entre les FARC et le gouvernement de Bogota.

De fait, la Suisse développe depuis plus d’une décennie un programme de paix et de droits humains en faveur de la paix en Colombie. Celui-ci est composé de trois volets principaux: soutien au programme suisse de promotion pour la paix en Colombie (SUIPPCOL), créé et mis en œuvre par des ONG suisses; soutien au processus de traitement du passé et de l’application de la justice transitionnelle en Colombie et promotion du respect des droits humains et du droit international humanitaire.

Inclure la société civile

Le gouvernement colombien et les FARC ont reporté d’une semaine la reprise des pourparlers de paix, qui avaient débuté au mois d’octobre à Oslo, dans le but d’affiner les mécanismes qui permettent une participation citoyenne, selon un communiqué commun publié sur la page web de la présidence de la République colombienne.

«Pour nous, il est important qu’on écoute les organisations sociales et populaires, car elles ne se sentent représentées ni par le gouvernement ni par l’insurrection», soutient Diego Pérez, responsable de SUIPPCOL sur le terrain. Dans un entretien téléphonique accordé depuis Bogota, il qualifie de «signe positif» le report du dialogue destiné à inclure la société civile.

Diego Pérez estime toutefois qu’il serait encore plus important «d’ouvrir un vaste processus de discussion dans les régions, incluant la participation des organisations sociales et populaires, des associations économiques, des universités, des Eglises, du gouvernement et de l’insurrection sur les questions de fond, afin de construire une paix juste et durable en Colombie».

Jean-Pierre Gontard «optimiste»

Professeur émérite de l’Institut des Hautes études internationales et du développement (IHEID) de Genève et ancien émissaire pour le processus de paix en Colombie, le Suisse Jean-Pierre Gontard estime quant à lui que les pourparlers qui débutent lundi à La Havane se déroulent sous de bons auspices.

«Je suis optimiste», affirme Jean-Pierre Gontard. Le dialogue «a été préparé avec grand soin» de part et d’autre, que ce soit dans ses aspects politiques ou juridiques. Estimant que les deux parties ont réalisé un travail «impressionnant», Jean-Pierre Gontard est convaincu qu’elles sont prêtes à se mettre sérieusement au travail pour une durée indéterminée. «Il y a une vraie volonté de consensus. Les deux parties ont indiqué qu’une victoire militaire est impossible et que l’unique solution se trouve dans les négociations.»

Jean-Pierre Gontard avertit toutefois que les pourparlers de paix ont des ennemis et que par conséquent, «la communauté internationale a l’obligation morale de protéger le processus et de bâtir la confiance entre les parties adverses».

La terre, enjeu crucial

Les négociations s’articuleront autour de cinq chapitres: développement rural, participation des FARC à la vie politique, fin des hostilités, lutte contre le trafic de cocaïne, dont la Colombie est le premier producteur mondial, et droits des victimes.

A l’origine des FARC, issues en 1964 d’une insurrection paysanne, la concentration des terres s’annonce comme un point crucial: en Colombie, plus de la moitié des grandes propriétés agricoles sont détenues par à peine plus de 1% de la population, selon un rapport de l’ONU. D’autres questions promettent d’agiter la société colombienne, comme celle des suspensions de peines pour les guérilleros en échange de la démobilisation.

Une solution qui heurte les associations de victimes tout comme les secteurs politiques radicaux opposés aux négociations, après l’échec de trois tentatives antérieures en 30 ans.

En près de 50 ans, la guerre en Colombie a fait 600’000 morts, 15’000 disparus et près de quatre millions de déplacés dans le pays où ont sévi, outre les FARC, d’autre guérillas, des milices paramilitaires d’extrême droite, officiellement démobilisées, et des gangs criminels.

Repliées dans les régions de montagne et de forêt, les FARC comptent encore 9200 combattants selon les autorités, après une hémorragie de ses troupes qui ont fondu de moitié en 10 ans, traquées par l’armée avec l’appui logistique des Etats-Unis.

Leur chef, Timoleon Jimenez, affiche aussi son «grand espoir» de parvenir à la paix, après avoir renoncé cette année à la pratique des enlèvements contre rançon et libéré les derniers policiers et militaires retenus en otage dans la jungle.

Une autre guérilla d’extrême-gauche, l’Armée de libération nationale (ELN), forte de 2500 insurgés, s’est aussi déclarée disposée à entamer des pourparlers de paix avec Bogota. 

En attendant, dans les zones rurales, les affrontements continuent de mettre à rude épreuve les nerfs des habitants, partagés entre l’espoir et la méfiance.

Source: AFP

(Adaptation de l’espagnol: Samuel Jaberg)

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