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Pourquoi certains pays renoncent à l’aide internationale

Orhpans in Democratic Republic of Congo
Un orphelinat à Goma, dans l'est du Congo. Keystone

La République démocratique du Congo (RDC) a boycotté une conférence des Nations Unies à Genève qui a récolté des centaines de millions de dollars pour aider sa population affamée. Imogen Foulkes écoute les arguments émotionnels des deux côtés.

Il est une heure, et je cours à travers les longs couloirs du Palais des Nations pour rejoindre la salle XIX dans l’aile plus moderne et moins charmante du Palais.

Au fur et à mesure que je me rapproche, une odeur séduisante de nourriture remplit l’atmosphère.

A l’extérieur de la salle XIX, un vaste buffet de canapés chauds et froids, de petits fours et de mini éclairs accueille les participants. Un baume de l’ONU, peut-être, pour un événement qui avait tourné au vinaigre.

Les diplomates et les hauts responsables de l’aide humanitaire s’y étaient réunis pour recueillir des fonds pour ce que l’ONU qualifie de crise humanitaire majeure et prolongée en RDC. Mais la réunion s’est tenue sans représentant de la RDC, son gouvernement ayant décidé de la boycotter.

Il est sans précédent qu’un pays affecté par une telle crise reste à l’écart d’une conférence des Nations Unies pour lui venir en aide. Mais Kinshasa a justifié sa décision en accusant l’ONU d’exagérer la crise et d’accabler le pays.

Niveaux stupéfiants de besoins

Il est vrai que les estimations de l’ONU pour les personnes dans le besoin en RDC sont stupéfiantes: 13 millions de personnes, dont des millions d’enfants souffrant de malnutrition aiguë.

Les problèmes de la RDC ne sont pas nouveaux, disent les agences d’aide, mais ils se sont aggravés au cours de l’année dernière avec la propagation de l’instabilité et de la violence dans la région du Kasaï, autrefois considérée comme la partie la plus pacifique et la plus prospère du vaste pays.

Jan Egeland, conseiller de l’ONU et secrétaire général du Conseil norvégien pour les réfugiés, m’a dit qu’il avait été choqué par les conditions de vie qu’il a constaté lors d’une visite il y a quelques semaines.

«Je n’étais pas préparé face à l’ampleur des souffrances, dit-il franchement. C’est équivalent au Yémen et à la Syrie en termes de nombre de personnes dans le besoin. J’ai rencontré des veuves avec cinq enfants. Elles ont vu leur mari se faire tuer par un groupe armé, leurs villages incendiés, et personne n’était là pour les aider.»

Ce sont des descriptions dont les travailleurs humanitaires espéraient clairement qu’elles toucheraient les cœurs et ouvriraient les porte-monnaie des pays donateurs.

Crise de niveau 3

Malheureusement, au fur et à mesure que la conférence approchait et que de plus en plus d’agences d’aide distribuaient des informations sur la crise de la RDC, le gouvernement de Kinshasa  montrait une irritation croissante. Ce fut particulièrement le cas après la décision de l’ONU de classer des régions de la RDC comme souffrant d’une crise de «niveau 3», la plus grave de l’organisation. Seuls l’Irak, la Syrie et le Yémen partagent cet honneur douteux.

«Cela a rendu les gens fous, m’a dit Zénon Mukongo Ngay, ambassadeur de la RDC auprès de l’ONU à Genève. Le niveau 3 est le pire de tous les niveaux, ce qui signifie que la RDC a été comparée à des pays où règne le chaos, où l’État s’est effondré et où rien ne fonctionne.»

Et, a-t-il suggéré, les fonctionnaires de l’ONU étaient déconnectés de ce qui se passait réellement en RDC.

«Parfois, les gens sont simplement assis dans leurs bureaux à Genève ou à New York, et ils reçoivent un simple appel téléphonique, ils ne sont pas sur le terrain. Nous avons des gens partout.» 

Atteinte à l’image

La RDC, qui se prépare aux élections plus tard cette année et souhaite attirer des investisseurs pour ses vastes ressources minières, n’est pas du tout heureuse d’être présentée comme une zone de crise humanitaire, un pays au bord de l’échec dont la survie dépend de l’aide extérieure.

Ce n’est pas le premier pays, et ce ne sera certainement pas le dernier, à être mal à l’aise avec les manchettes négatives qui ont tendance à accompagner l’aide étrangère massive. Haïti a suggéré qu’il est fatigué d’un récit qui le dépeint comme incapable de réaliser quoi que ce soit par lui-même.

D’autres nations refusent régulièrement l’aide internationale après une catastrophe naturelle: la Chine et l’Inde l’ont fait, les États-Unis l’ont fait après l’ouragan Katrina, le Myanmar après le cyclone Nargis. Avec le recul, on pourrait penser qu’il s’agit d’une erreur, mais ces décisions sont généralement prises par fierté nationale et par le désir des gouvernements de démontrer leur capacité à prendre soin de leur propre population.

Approche insensible?

Les Nations Unies sont donc habituées à traiter avec des gouvernements qui ont besoin de préserver l’impression qu’ils ont le contrôle total, même si la situation est difficile.

L’appel en faveur de la RDC a-t-il été traité de manière insensible? Jan Egeland pense au contraire que la communauté internationale a ignoré cette crise: «Il y a 13 millions de personnes dans le besoin, il s’agit d’une évaluation objective des besoins. Puisque les Congolais ne traversent pas la Méditerranée, puisqu’ils ne font pas pris dans un bras de fer entre la Russie et les États-Unis, ils sont vraiment ignorés.»

Jusqu’à la dernière minute, l’ONU espérait que Kinshasa changerait d’avis. Mais lorsque la conférence a commencé, la chaise de la RDC était vide. Mark Lowcock, le sous-secrétaire général de l’ONU pour les affaires humanitaires, savait clairement qu’il devait calmer les esprits. Dans son discours d’ouverture, il a fait l’éloge des «progrès» réalisés par la RDC: «Au cours des 15 dernières années, sous la direction du gouvernement, l’infrastructure de nombreuses grandes villes s’est améliorée. L’accès à l’éducation a augmenté, les taux de mortalité infantile ont baissé et les taux de vaccination ont augmenté.»

Des promesses de dons décevantes

Mais la RDC ne s’est pas présentée, et lorsque Lowcock est apparu pour annoncer les résultats de la conférence, aucun buffet ne pouvait adoucir l’amère vérité.

Sur les 1,8 milliard de dollars (1,73 milliard de francs suisses) dont l’ONU avait dit avoir besoin pour financer ses opérations d’aide en RDC, seulement 528 millions de dollars, soit moins d’un tiers, avaient été promis.

Que va-t-il se passer maintenant? Comme pour beaucoup d’autres crises, l’ONU devra lutter avec moins de la moitié des fonds dont elle dit avoir besoin pour la RDC. Dans les coulisses, un important travail est en cours pour rétablir les relations avec Kinshasa.

L’ironie tragique est que l’ONU et la RDC s’accordent sur les fondamentaux, mais pas sur les chiffres précis: des millions de personnes (mais peut-être pas 13 millions) dans le pays ont besoin d’aide humanitaire. 528 millions de dollars ne suffiront pas à les aider (même si 1,8 milliard de dollars aurait pu être un peu exagéré).

Pendant ce temps, Jan Egeland dit: «C’est dommage que la veuve avec cinq enfants n’ait pas d’attention à ses souffrances, parce que c’est aussi mauvais que partout ailleurs dans le monde. C’est vraiment une honte.»

Traduit de l’anglais par Frédéric Burnand

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