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Oskar Holenweger acquitté, le Ministère public accablé

Oskar Holenweger (à gauche) sort totalement blanchi du Tribunal pénal fédéral de Bellinzone. Keystone

Le Tribunal pénal fédéral (TPF) a balayé d’un revers de la main l’ensemble des griefs visant l’ex-banquier privé zurichois Oskar Holenweger. Cet acquittement, qui tombe près de huit ans après le début de l’affaire, résonne comme un cuisant échec pour le Parquet.

C’est un record. Moins d’une semaine après la fin du procès devant le Tribunal pénal fédéral à Bellinzone, la Cour des affaires pénales, présidée par le juge Peter Popp, a rendu son jugement. Si l’accusé Oskar Holenweger est paru impassible durant la lecture du verdict, le procureur Lienhard Ochsner est apparu, lui, plus nerveux.

Il faut dire que la pression qui pesait sur le MPC dans cette affaire était très forte. Dans la presse alémanique notamment, la succession d’échecs du Parquet devant le TFP (affaires Crossair et Veckselberg notamment) ont été mis exergue, avant et pendant l’audience à Bellinzone, qui s’est terminée la semaine passée. Plusieurs médias, l’hebdomadaire Weltwoche en tête, avaient longuement questionné les pratiques douteuses des enquêteurs.

Triomphe de la défense

Au regard du verdict, qui épouse presque en tous points la thèse de la défense, assurée par l’avocat zurichois Lorenz Erni, l’acquittement d’Oskar Holenweger constitue un désaveu cinglant pour le Ministère public de la Confédération.

La Cour du TPF a acquitté l’ex-banquier zurichois sur toute la ligne et infligé au passage une leçon de droit aux enquêteurs, en disqualifiant certaines de leurs pratiques.

Ainsi, concernant le recours à l’engagement de l’ex-baron de la drogue, un citoyen colombien du nom de code de «Ramos», le juge Peter Popp a rappelé que l’ex-caïd n’avait pas agi comme un informateur mais bien comme un agent infiltré, «en violation des exigences légales pour ce type d’opération qui requiert en réalité la participation d’un agent de police».

Preuves inexistantes

Même constat de vice de procédure et, partant, de non-lieu pour le volet concernant «Markus Diemer», du nom de ce policier allemand, infiltré par le MPC, et qui avait remis 830’000 euros à Oskar Holenweger.

La preuve que l’accusé aurait su et compris qu’il s’agissait d’argent provenant du trafic de drogue n’a pas pu être apportée par les écoutes téléphoniques ordonnées par les enquêteurs, et dont des extraits avaient été diffusés durant le procès.

Quant aux autres points de l’accusation, qui concernaient la gestion de caisses noires pour le groupe industriel français Alstom, et qui ont valu à l’ex-banquier, âgé aujourd’hui de 66 ans, de répondre de faux dans les titres, de complicité de gestion déloyale, de blanchiment d’argent qualifié et de corruption d’agents publics étrangers, Oskar Holenweger a, là encore, été acquitté sur toute la ligne.

Remous politico-judiciaires

Le juge Popp a souligné au passage que dans cette affaire, qui a fait figure de véritable polar politico-judiciaire, même si quelques ombres ont noirci le tableau d’un banquier peu regardant,  le comportement du MPC a aussi été loin d’être exemplaire».

Le président de la Cour a notamment rappelé que le Parquet de la Confédération avait fait preuve d’indiscrétion et glissé des informations à la commission parlementaire. Le juge d’instruction fédéral Ernst Roduner, soucieux de mettre un terme à cette épineuse affaire, n’avait quant à lui trouvé d’autre solution que de s’envoyer un faux fax de menaces, ce qui avait conduit à sa condamnation.

Sans compter le volet politique le plus brûlant de cette enquête, soit les soupçons de complot contre le MPC, qu’aurait orchestré le ministre de la justice d’alors, Christoph Blocher (UDC), et in fine, le départ du procureur général Valentin Roschacher lui-même.

Le directeur du MPC sur la sellette

Aujourd’hui, tous les regards sont tournés vers le Ministère public de la Confédération. A la sortie du tribunal, le procureur Lienhard Ochsner, pris d’assaut par une horde de journalistes, s’est dit «très déçu» de l’issue de l’audience.

«Mais le TPF n’est pas le Vatican, des erreurs sont possibles», a-t-il laissé entendre, visiblement ébranlé par le verdict, et laissant comprendre qu’il allait sans doute recourir en dernière instance devant le Tribunal fédéral.

Pendant ce temps, l’attention médiatique se tournait déjà vers le directeur du Parquet de la Confédération, Erwin Beyeler, dont la confirmation de la nomination serait loin d’être assurée devant les Chambres fédérales, à en croire des réactions recueillies par l’agence de presse ATS.

Ainsi, le conseiller national Vert Daniel Vischer, l’un des détracteurs d’Erwin Beyeler, a parlé de «débâcle» du Parquet. Le démocrate-chrétien zurichois, Urs Hany, prédit que «le Ministère public de la Confédération doit se préparer à répondre à de nombreuses questions désagréables. Le député de l’Union démocratique du centre (UDC / droite conservatrice) Alexander Baumann a même ironisé, en insinuant que «peut-être qu’Erwin Beyeler trouvera quelque excuse amusante pour se défendre».

Pour Paolo Bernasconi, professeur de droit commercial international à l’université de St Gall, ancien procureur du canton du Tessin et avocat à Lugano, l’acharnement médiatique contre le MPC ne se justifie pas.

«Il faut un recul de 5 ou 10 ans au moins, des chiffres et des indications fiables pour juger le travail d’une institution telle que le Ministère public de la Confédération».

Pour le juriste, «ce n’est pas tant les acquittements ou les abandons qui comptent, mais la qualité des dossiers d’instruction et des actes d’accusation». Le professeur Bernasconi estime que ce n’est pas le travail du MPC qu’il faut remettre en question, «mais davantage la procédure de nomination des procureurs».

«L’Assemblée fédérale, qui désigne le procureur général du MPC, a-t-elle les compétences et connaissances nécessaires pour agir en toute connaissance de cause?», demande le professeur, qui rappelle au passage que les procureurs et substituts «sont désignés à leur tour par le procureur général».

Paolo Bernasconi estime qu’il faudrait revoir la procédure d’engagement de bout en bout. «Comme pour d’autres professions – la finance, l’éducation supérieure – il faudrait mettre en place des commissions d’anciens juges, forts d’une longue et riche expérience (20 ans au moins), qui mettent les candidats procureurs à l’épreuve».  

In fine, le professeur de droit confie que ce qui l’inquiète, ce ne sont pas tant «les échecs présumés du MPC, mais bien la faible quantité d’instructions ouvertes et qui débouchent sur un procès».

L’instruction a été ouverte en 2003.

Près de 8 ans d’enquête, plus de 100 classeurs fédéraux, sont résumés dans un acte d’accusation de 61 pages, paraphé par le procureur Lienhard Ochsner.

Avant même d’être jugée, l’affaire Holenweger avait déjà coûté quelque 15 millions de francs au contribuable.

C’est le montant estimé par l’hebdomadaire Sonntag et qu’ont coûté les salaires des quelque 200 personnes et fonctionnaires mobilisés par l’instruction.

Une somme trois fois supérieure aux frais engendrés par l’effondrement de l’empire financier de Werner K. Rey.

Le banquier zurichois pourrait demander des dédommagements pour les torts subis. Ce dernier a laissé entendre avoir dépensé plus d’un million de francs pour assurer sa défense jusqu’ici.

Parmi les nombreux coups de théâtre qui ont marqué cette affaire, il y a eu le départ du juge d’instruction chargé de l’affaire, Ernst Roduner.

Victime d’un surmenage psychologique, le magistrat s’était adressé à lui-même un faux fax de menaces. Il avait été contraint de quitter ses fonctions après avoir été condamné.

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