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Pas de répit dans la lutte anti-fraude aux USA

Baisse d'effectifs ou pas, les clients des banques suisses aux Etats-Unis, comme ici UBS à New York, restent dans le collimateur des autorités. swissinfo.ch

Tandis que le flou entoure les négociations entre la Suisse et les Etats-Unis sur un accord bancaire global, Washington réduit les effectifs qu’il consacre à la lutte contre l’évasion fiscale. Mais cette mesure n’est pas le signe d’un repli face aux banques suisses.

L’agence de presse Bloomberg indiquait le 27 mars que le ministère américain de la Justice a réduit de 30% les rangs des enquêteurs et procureurs de son service fiscal.

Largement repris par le quotidien alémanique Tages-Anzeiger, l’article de Bloomberg, qui cite quatre sources anonymes, précisait que 25 des 95 membres de ce service ont été détachés pour six mois dans des bureaux régionaux de procureurs fédéraux et que trois autres ont été mutés de façon permanente.

Même priorité

Mais cette réduction d’effectifs ne reflète pas nécessairement une révision des priorités de l’administration Obama.

Charles Miller, porte-parole du ministère de la Justice, tout en confirmant la réduction du personnel du service fiscal, en minimise la portée. «Cette mesure ne signifie rien de particulier, c’est juste une situation temporaire qui vaut jusqu’à septembre, date à laquelle ces juristes reviendront au ministère», déclare-t-il à swissinfo.ch.

Le porte-parole affirme que la lutte contre l’évasion fiscale «demeure une priorité». Charles Miller souligne d’ailleurs que les personnels détachés en province continueront à y participer. «Ceux qui travaillent déjà sur des dossiers vont les emporter avec eux et continuer à travailler dessus», assure-t-il.

Il ajoute que le ministère «travaille très étroitement avec l’IRS (NDLR: service des impôts) qui nous envoie des dossiers».

Gel des embauches

Scott Michel, un avocat à Washington qui représente des dizaines de clients d’UBS et d’autres banques suisses, lui non plus «ne croit pas que cela reflète une quelconque diminution de l’intérêt que le gouvernement américain porte à l’évasion fiscale». «Ce n’est pas une mesure politique, mais budgétaire, due au gel des embauches en vigueur dans l’administration fédérale», estime-t-il.

Un ancien haut responsable du ministère américain des Finances qui souhaite conserver l’anonymat doute que la réduction des effectifs au service fiscal du ministère de la Justice soit liée au gel des embauches dans l’administration fédérale. Il rappelle que l’année fiscale 2012 a commencé depuis près de six mois. Il relie plutôt cette mesure à l’avancée de l’examen des dossiers de titulaires américains de comptes en Suisse qui se sont signalés aux autorités américaines pour régler leurs arriérés d’impôts.

Mais cet ancien haut responsable de l’administration Obama note lui-aussi que la diminution des effectifs d’enquêteurs qui s’occupent d’évasion fiscale ne doit pas être interprétée comme un repli du gouvernement. «95 enquêteurs, c’était vraiment un nombre important, et les 67 qui restent forment encore une équipe très fournie», dit-il.

Difficile à déchiffrer

À l’ambassade de Suisse, le porte-parole Norbert Bärlocher indique que «la Suisse n’interprète pas du tout» la mesure prise par le ministère américain de la Justice. Mais lui non plus ne voit pas de raison de penser que l’administration Obama met moins l’accent sur la lutte contre les délits fiscaux.

Au contraire. «On peut se dire qu’ils ont reçu des auto-dénonciations (NDLR: de clients américains de banques suisses) à travers les Etats-Unis et qu’ils envoient des enquêteurs dans les régions pour être plus près de ces dossiers», suppute le porte-parole.

Sur le front politique et diplomatique, celui des négociations bilatérales en vue d’un accord global pour résoudre les différends fiscal et bancaire, la situation est plus difficile à déchiffrer. «C’est le silence depuis six semaines environ, alors qu’avant, il y avait des déclarations et des fuites», observe Scott Michel.

Le Tages-Anzeiger croit savoir que les négociations à haut niveau pourraient reprendre et que le secrétaire d’Etat aux finances internationales Michael Ambühl s’apprête à se rendre à Washington pour un séjour qui pourrait s’avérer décisif.

Cependant, Norbert Bärlocher «ne peut pas confirmer» la visite du secrétaire d’Etat. «Les délégations suisse et américaine sont en contact permanent, elles discutent le plus souvent par courriel, mais nous sommes en train de réfléchir pour voir si ça fait sens pour lui de venir à Washington», indique le porte-parole de l’ambassade en rappelant que «la dernière rencontre entre les délégations remonte à cinq à six semaines».

Accord

En décembre, l’ambassadeur Manuel Sager avait déclaré à swissinfo.ch que la Suisse et les Etats-Unis étaient «relativement près» d’un accord global. Mais le 8 mars, la présidente de la Confédération et ministre des Finances Eveline Widmer-Schlumpf semblait rejeter la responsabilité d’une impasse sur les Etats-Unis quand elle affirmait au New York Times que la Suisse «pourrait signer un accord demain si les Etats-Unis le voulaient».

Aujourd’hui, l’ambassade juge qu’il est «subjectif» de spéculer sur la proximité d’un accord. «Il y a des questions importantes qui ne sont pas clarifiées; on est d’accord sur les grandes lignes mais il reste encore à se mettre d’accord sur les chiffres, par exemple, le nombre de dossiers sur lesquels portera l’échange d’informations», dit Norbert Bärlocher. Pourtant, le porte-parole suisse «reste optimiste car les deux parties ont à gagner à passer un accord».

UBS a été la première banque suisse à se retrouver dans le collimateur de la justice américaine. Elle a été condamnée en 2009 à une amende de 780 millions de dollars pour avoir aidé des contribuables américains à frauder le fisc.

L’année suivante, le gouvernement suisse a signé un accord pour la transmission des données de 4500 clients américains d’UBS aux autorités américaines. L’accord a été ratifié par le Parlement en 2010.

Des amnisties fiscales aux Etats-Unis ont permis de mettre la main sur plus de 30’000 fraudeurs du fisc. La justice américaine a pu rassembler de nombreuses preuves de la complicité des banques suisses.

Plusieurs banquiers et avocats suisses ont été arrêtés ou mis en examen aux Etats-Unis ces derniers mois. Parmi eux, trois dirigeants de la banque privée Wegelin. Fin janvier, cette dernière a annoncé la vente d’une grande partie de ses activités au groupe Raiffeisen.

Quelques jours plus tard, la justice américaine inculpait Wegelin pour avoir aidé et incité des clients américains à frauder le fisc. C’est la première fois qu’une banque étrangère est formellement inculpée pour de telles pratiques aux Etats-Unis.

Onze banques établies en Suisse au total, dont Credit Suisse, sont dans le collimateur des Etats-Unis. Des discussions sont en cours entre autorités suisses et américaines pour parvenir à un règlement global.

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