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«Pour fedpol, le fédéralisme peut être un atout»

Jean-Luc Vez semblait satisfait de son bilan, vendredi face aux médias.

Jean-Luc Vez, directeur de l'Office fédéral de la police, a présenté vendredi à Berne le bilan du Système d'information Schengen (SIS) et de la réorganisation de ses services depuis le transfert du renseignement intérieur (SAP) à la Défense. L'occasion de faire le point avec swissinfo.ch.

La criminalité est l’un des grands bénéficiaires de la globalisation des activités de la planète. Ce qui confère depuis quelques années à la Confédération toutes sortes de nouvelles compétences en matière de lutte contre le crime international, de criminalité organisée ou de blanchiment d’argent.

En plus des complications fédérales de ce pays aux 26 polices, l’Office fédéral de la police (fedpol) doit, depuis l’entrée de la Suisse dans l’Espace Schengen, jongler avec les 25 polices de l’UE. Tout cela implique beaucoup d’acrobaties, ce qui ne fait pas peur à Jean-Luc Vez.

swissinfo: Depuis le 1er janvier, le renseignement intérieur est transféré au Département de la Défense. Comment se passe la collaboration avec vos services?

J.-L.V.: C’est vrai que certains interfaces qui étaient gérés au niveau de fedpol jusqu’à la fin de 2008, doivent être désormais gérés entre deux départements. Mais je dois dire que, comme ce sont toujours les mêmes partenaires de part et d’autre, je n’ai pas à me plaindre pour le moment et cela fonctionne normalement.

Mais dès le 1er janvier 2010, les services de renseignement se seront réorganisés eux-mêmes au sein du Département de la défense, et nous devrons veiller à ce que cette collaboration reste optimale.

swissinfo: La Police fédérale est prise entre l’étranger, le public suisse qui se montre très frileux en matière de sécurité, et les cantons très jaloux de leurs compétences. C’est un peu de l’équilibrisme?

J.-L.V.: Je crois que c’est la conséquence directe de notre système fédéraliste, du fait que, en soi, les compétences en matière de maintien de la sécurité intérieure incombent d’abord aux 26 cantons, ainsi qu’à certaines grandes villes et il faut que tout cela fonctionne!

Mais ce système a aussi ses avantages, car avec 16’000 policiers cantonaux et communaux et quelque 2000 gardes-frontière, nous avons un fort maillage sur tout le territoire. Tous ces gens font environ 160’000 demandes chaque jour sur le nouveau système SIS et y trouvent généralement ce qu’ils demandent. Cela marche bien et, grâce à cela, la Suisse a enregistré depuis douze mois de bons succès dans la lutte contre la criminalité internationale.

swissinfo: Mais il y a parfois des couacs, comme l’affaire d’un contrôle d’identité effectué dans le train entre Fribourg et Berne par des gardes-frontière?

J.-L.V.: Encore une fois, notre système fédéraliste crée des besoins de coordination qui n’existent pas dans les Etats centralisés. Quand ces problèmes apparaissent, il faut les régler tout de suite et dans la durée, en les systématisant et en signant par exemple des convention; bien sûr, les partenaires doivent être sans cesse en contact, sinon ça ne marche pas.

Pour les problèmes de coordination ponctuels, il faut que les chefs se mettent à la même table. Pour les enquêtes, par exemple, il importe que les procureurs cantonaux et fédéraux ainsi que les chefs des polices cantonales se réunissent rapidement pour se répartir les compétences et le travail. Il y a des critères établis, bien sûr, mais parfois la décision sur la compétence prend du temps. Une fois décidé, il faut y aller!

swissinfo: Il y a aussi un problème de transparence, comme l’a montré en mars dernier «l’affaire Tigris», cette unité spéciale de 14 personnes oubliée de tous, y compris du Parlement…

J.-L.V.: Dans le cas de «Tigris», il est aujourd’hui démontré que fedpol n’a jamais rien caché. Mais comme les divers corps de police subissent tout le temps beaucoup de changements, comme aussi la Conférence suisse des directeurs de justice et police ou le Parlement, il n’est pas étonnant qu’un projet vieux de 5 ou 6 ans ne soit plus à l’esprit des gens en charge ensuite…

Dans cette affaire, il y a eu inspection du Département de justice et police, lequel a émis un rapport contenant des recommandations que nous allons mettre à exécution. Mais le rapport reconnaît la légalité de cette unité et le fait qu’elle a un sens. Il y a en effet des cas où ce serait vraiment trop compliqué et inefficient si, chaque fois que des criminels traversent une frontière cantonale, la compétence de poursuite devait aussi changer.

swissinfo: Il est connu que les divers corps de police manquent d’effectifs. L’Association du personnel de fedpol a demandé ce vendredi une augmentation de 10% des effectifs. Soutenez-vous cette revendication?

J.-L.V.: Nous allons analyser dans le détail nos besoins. Une variante serait d’obtenir une augmentation du plafond mais tous les autres offices fédéraux ont aussi des besoins, peut-être plus prioritaires encore du point de vue politique.

Ou alors, on peut chercher à augmenter l’efficacité du service mais, là, je crois qu’on a déjà fait ce qu’on pouvait faire. Reste une troisième variante, qui consisterait à mettre des priorités, à faire des choix en renonçant à autre chose, mais pour cela, il faut du courage.

Dans le domaine Schengen, nous devons remettre au Conseil fédéral, dans le courant de l’année prochaine, un rapport sur la mise en œuvre du traité; un chapitre sera certainement consacré aux besoins en personnel.

swissinfo: Comment recruter pour répondre aux nouveaux défis de la criminalité contemporaine?

J.-L.V.: C’est en effet un des grands défis, d’autant que la Suisse est un petit bassin de population. Notre personnel provient prioritairement des corps de police qui, eux-mêmes, sont confrontés à des manques d’effectifs et des problèmes de recrutement. Une fois de plus, nous devons tous «accorder nos violons».

Il faut aussi mieux exploiter les filières de formation existantes, mais cela prend du temps. Dans des domaines très spécialisés il arrive aussi qu’on engage des étrangers. Et il y a aussi un gros effort à faire en matière de formation continue de notre personnel. Ce sont à mon avis les seules façons de relever ce défi.

Isabelle Eichenberger, swissinfo.ch

En 1978, le conseiller fédéral Kurt Furgler avait proposé la création d’une police de sécurité fédérale, mais son projet avait échoué en votation populaire.

En 2002, la ministre de Justice et Police Ruth Metzler avait échoué au Parlement avec un projet similaire.

Mis en place en 2003, «Tigris» trouve son origine dans le projet sur l’efficacité approuvé par le Parlement en 1999.

Ce projet avait pour but de créer de nouvelles compétences pour les autorités de poursuite pénale fédérales et de donner davantage de moyens au Ministère public de la Confédération pour lutter plus efficacement contre la grande criminalité.

Né en 1957 à Cheseaux (Vaud), étudie le droit à l’Université de Fribourg et Genève et entre à l’Office central de la défense comme adjoint scientifique.

1990: suppléant du préposé spécial au traitement des documents établis pour assurer la protection de l’Etat.

1992-1996: dirige la Division Presse et Radio, au Secrétariat général du Département fédéral de justice et police.

2001: directeur de l’Office fédéral de la police (OFP).

Depuis le 28 août 2008, le Système d’information de Schengen (SIS) permet d’échanger des données relatives à des personnes et des objets recherchés par les 25 Etats membres actuels de Schengen.

A Berne, le bureau SIRENE (35 personnes) orchestre l’échange d’informations en lien avec les signalements, tant pour les cantons que pour ses homologues étrangers. En un an, le système a enregistré en moyenne 160’000 consultations quotidiennes, et même plus de 180’000 depuis le 1er janvier 2009. Il obtient en moyenne 24 réponses positives par jour.

Depuis le 1er janvier 2009, suite au transfert du Service d’analyse et de prévention (SAP) au Département de la défense, la Police judiciaire fédérale se concentre sur les enquêtes et le Service fédéral de sécurité sur la protection et la sécurité.

Les activités internationales de l’office ont en outre été regroupées dans une seule unité, la Division principale Coopération policière internationale.

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