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Le départ d’une «grande ministre» qui réjouit certains

EWS, juste avant l'annonce de son retrait. Keystone

La majorité de la presse suisse rend hommage à Eveline Widmer-Schlumpf au lendemain de l'annonce de son retrait du gouvernement, même si certains s’en félicitent. Aucun titre ne doute plus qu'un élu de la droite conservatrice (UDC) la remplacera. Les journaux francophones craignent une perte de collégialité au sein du gouvernement.

Il y a ceux qui hissent la ministre des finances au rang de femme d’Etat courageuse, déterminée face à des vents contraires particulièrement puissants, comme Thierry Meyer, dans 24HeuresLien externe: «Faisant face au vent debout avec classe, comme libérée, la Grisonne a rappelé sans orgueil ni fausse modestie quelle ministre hors du commun elle aura été. Elue pour chasser Blocher («ma famille a plus souffert que moi de cet héritage»), cette femme d’Exécutif qui aime l’art appliqué du pouvoir a dû affronter un nombre impressionnant de crises et de dossiers lourds. Avec efficacité, courage, et un sens politique très affûté.»

Même exercice d’admiration de la part de Jean-Philippe Buchs du magazine économique BilanLien externe: «Rarement un membre du gouvernement a dû faire face à autant de pressions extérieures qu’Eveline Widmer-Schlumpf. Isolée sur la scène internationale, la Suisse a certes dû plier à de nombreuses reprises. L’histoire retiendra probablement le rôle clé joué par Eveline Widmer-Schlumpf pour engager les réformes qui lui permettront de tirer son épingle du jeu face à ses redoutables concurrents.»

«Elle a fait le job»

Dans L’HebdoLien externe, Michel Guillaume, rappelle les dossiers minés que la grande argentière a dû empoigner: «C’est une grande conseillère fédérale qui s’en va. Lorsque le paquebot UBS prend l’eau en pleine crise financière mondiale, Eveline Widmer-Schlumpf remplace à la manœuvre un Hans-Rudolf Merz défaillant et démontre d’indéniables qualités de femme d’État. Lorsqu’en 2012, après l’échec de la solution Rubik (réd : modèle d’impôt à la source pour l’épargne cachée en Suisse), elle décide d’engager la Suisse sur la voie de l’échange automatique des données, elle passe pour une «traîtresse» pour la droite et les banquiers. Mais aujourd’hui, trois ans plus tard, même ces derniers reconnaissent qu’elle a fait le job».

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Le retrait d’une ministre qui aura incarné la fin du secret bancaire

Ce contenu a été publié sur 12 décembre 2007: coup de tonnerre dans un paysage politique helvétique peu habitué aux révolutions de Palais. Christoph Blocher, chef de file de l’UDC, qui a réussi en un peu plus d’une décennie à propulser la droite conservatrice au rang de premier parti du pays, est éjecté du gouvernement après une législature seulement. La manœuvre…

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Bernard Wuthrich, dans Le TempsLien externe, est sur la même ligne: «Elle peut partir avec le sentiment du devoir accompli en ce sens qu’elle a assaini une place financière qui devenait de plus en plus anachronique. Cela lui a valu de sévères critiques de la part de la droite, mais celle-ci doit bien reconnaître que ce travail devait être fait. Il l’a été.»

Haro sur la ministre

Mais tous ne regrettent pas le départ de la tombeuse de Christoph Blocher. Proche du leader charismatique de UDC, le quotidien bâlois Basler ZeitungLien externe assène, sous la plume de Markus Somm: «(…) Elle n’aurait pas dû se laisser convaincre par les adversaires politiques de son propre parti de se faire élire au gouvernement. L’UDC ne lui a ensuite laissé aucun répit durant huit ans. Elle le savait – ou elle aurait dû le savoir. Son élection a brisé l’équilibre des forces politiques en Suisse, car la plus grande d’entre elles, l’UDC, n’était plus représentée de manière adéquate au gouvernement. Il est urgemment nécessaire que la Suisse puisse à nouveau compter sur un gouvernement au sein duquel toutes les forces importantes du pays soient représentées.»

Mais il n’y a pas que les proches de l’UDC qui saluent ce départ. Fait probablement sans précédent récent, c’est le chef du groupe du Parti démocrate-chrétien (PDC) aux Chambres fédérales, Filippo Lombardi, qui commente le départ d’Eveline Widmer-Schlumpf dans les colonnes du Giornale del popoloLien externe. Le sénateur tessinois rappelle qu’il s’est toujours opposé au «complot» qui a porté la Grisonne au gouvernement.

Les querelles et les événements qui ont marqué les huit années de présence d’Eveline Widmer-Schlumpf au gouvernement ne laissent planer aucun doute aux yeux de Filippo Lombardi: le retrait de la Grisonne met fin à «une anomalie qui n’a pas fait du bien au pays, à sa gouvernance, à ses équilibres politiques et même à ses relations avec l’Europe».

Une collégialité gouvernementale menacée

De fait, c’est bien une page qui se tourne avec le départ d’Eveline Widmer-Schlumpf du gouvernement précédé par le renforcement de l’ensemble de la droite aux dernière élections fédérales.

«Le retrait d’Eveline Widmer-Schlumpf ouvre une voie royale à l’UDC, à qui il sera plus difficile qu’en 2007 de contester le droit de disposer d’un second représentant au gouvernement. Mais il appartient à ce parti d’apporter la preuve qu’il saura saisir la perche qui lui est tendue sans faire de celle-ci une nouvelle hallebarde.», relève Le TempsLien externe.

L’HebdoLien externe est plus pessimiste: «La démission d’Eveline Widmer-Schlumpf aura de grosses conséquences pour le Conseil fédéral, ouvrant tout grand la porte à un deuxième siège pour l’UDC. De nombreuses réformes que la Grisonne avait contribué à soutenir, comme le tournant énergétique avec la sortie du nucléaire, mais aussi la réforme des retraites et l’ouverture à l’Europe avec le sauvetage de la voie bilatérale, sont compromises.

Philippe Bach, du quotidien de gauche Le CourrierLien externe, est plus virulent: «La Suisse en a pris pour quatre ans de politique réactionnaire et antisociale. Il faudra bien sûr exploiter les failles de la nouvelle majorité PLR-UDC (si on lui ajoute leurs petits satellites que sont le MCG ou la Lega). Celle-ci  montrera ses limites sur des dossiers fondamentaux comme les bilatérales. Mais il faudra surtout réussir à redonner des signes d’espérer à l’électorat naturel de la gauche. Par exemple, en développant un discours autonome sur le dossier fiscal, en refusant la sous-enchère en matière d’assurances sociales et en ne lâchant rien sur le nucléaire.» 

Dans la LibertéLien externe, Serge Gumy prévoit également de futurs affrontements: «Pour justifier ce retour en grâce (de l’UDC, ndlr), les chefs du premier parti de Suisse multiplient les gages quant à leur collégialité et au maintien de la voie bilatérale avec l’Union européenne. Mais comment croire que le loup puisse se transformer en agneau? Pourquoi abandonnerait-il la stratégie qui a fait son succès, deux pattes dans la bergerie et deux au dehors? Il n’y a que les naïfs et les oublieux de l’ère Christoph Blocher pour ne pas voir cette autre évidence: derrière les agneaux se terrent les moutons noirs.»

Les principaux quotidiens alémaniques moins alarmistes

En Suisse alémanique, on paraît moins inquiet qu’en Suisse romande. Les quotidiens demandent toutefois à l’UDC, à l’image du Tages-AnzeigerLien externe, de se montrer raisonnable dans le choix de son ou ses candidats: «Qui amasse 30% des voix prend ses responsabilités et ne se comporte plus en tant qu’opposition, même si c’est cette attitude qui a en grande partie fait son succès.»

La Neue Zürcher ZeitungLien externe espère découvrir des candidats «qui, conscients de leurs responsabilités, veulent co-gouverner et pas des petits soldats qui sont des postes d’espionnage de leur parti au Conseil fédéral». Un choix qui montrera si la retenue de l’UDC ces derniers jours n’était que du show ou si le parti veut vraiment participer au pouvoir, ajoute de son côté la Berner ZeitungLien externe.

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