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Achats à toute heure: Suisses réticents

Les heures d’ouverture prolongés, bénédiction ou malédiction pour les détaillants? Keystone

En Suisse, il se passe rarement un dimanche de votations sans qu’une commune, un canton, voire le pays entier ne soit appelé à se prononcer sur les heures d'ouverture des magasins. Jusqu’ici, la population est restée globalement opposée à une libéralisation.

En Suisse, on ne peut guère faire ses courses en semaine après 18h30 ou le dimanche, parce que les magasins sont fermés. Une spécialité helvétique qui étonne plus d’un visiteur.

«La Suisse n’a pas suivi la même pente glissante que ses voisins, indique Eva Geel, du syndicat Unia, à swissinfo.ch. Avec la démocratie directe, le peuple suisse dispose d’instruments qui ont permis de freiner la vague de libéralisation qui frappe l’Europe depuis les années 90».

Les syndicats en ont fait grand usage, dans les cantons et sur le plan fédéral, souvent avec succès. «Ces dernières années, les Suisses ont refusé 90% des propositions visant à libéraliser le travail de nuit et du dimanche», rappelle la syndicaliste.

Dimanche, le canton de Zurich n’a pas fait exception. Les votants ont balayé une initiative du Parti libéral-radical intitulée «Der Kunde ist König» («le client est roi»), qui demandait une libéralisation totale des heures d’ouverture des magasins.

Une proposition similaire a subi le même sort le même jour à Lucerne. Les électeurs de ce canton avaient été appelés aux urnes alors même qu’ils avaient déjà refusé une libéralisation il y a seulement six ans.

A petits pas

En principe, les magasins suisses peuvent être ouverts entre 6h00 et 23h00 du lundi au samedi. Cette règle est toutefois subordonnée à la loi sur le travail, qui protège les employés, et la plupart des cantons appliquent des restrictions complémentaires.

La législation suisse, plutôt restrictive en comparaison européenne, a toutefois été partiellement assouplies ces dernières années. Les magasins de stations-service, ceux situés dans les gares, dans les aéroports ou dans certains lieux touristiques, de même que les petits commerces où seuls les membres d’une même famille travaillent, ont obtenu des privilèges.

Si le sujet revient constamment en votation, c’est à cause de la guerre que se livrent les détaillants, souvent au détriment des plus petits d’entre eux, estime Eva Geel: «Les détaillants indépendants sont évincés car ils ne peuvent pas se permettre de rester ouverts plus longtemps. Leurs frais de personnel sont trop élevés et leurs revenus trop bas.»

«Celui qui veut faire ses courses le soir ou le dimanche doit être conscient de l’effet de sa décision sur les employés. Ces derniers ne se tiennent pas derrière la caisse de leur plein gré. Une extension des horaires des magasins signifie moins de temps pour la famille, les amis, des activités dans une association ou pour la collectivité», poursuit la syndicaliste.

Le personnel de vente a donné un mandat très clair à Unia, précise-t-elle: «Les vendeuses et les vendeurs ne veulent pas que les magasins soient ouverts plus longtemps.»

Sur cette base, Unia prévoit de lancer un référendum contre l’initiative du député libéral-radical Christian Lüscher demandant l’ouverture des magasins de stations-service 24 heures sur 24 au niveau national.

L’organisation des détaillants alémaniques, Schweizer Detaillistenverband, rejette également la proposition. Elle estime que cette dernière profite exclusivement aux poids lourds du marché alors que les petits détaillants font face à «une réduction de leurs marges et des baisses de revenus qui menacent leur existence».

La grande distribution voit les choses tout autrement: elle soutient de manière générale toute initiative visant à flexibiliser les heures d’ouverture des magasins.

Concurrence étrangère

Ces derniers temps, l’organisation défendant les intérêts de la grande distribution, la CI CDS, est particulièrement active pour faire valoir son point de vue. La raison de ce lobbying intensif? La concurrence de l’étranger. «Le plus grand problème sont les samedis, lorsque les Suisses vont faire de grandes courses de l’autre côté de la frontière», explique Martin Schläpfer, responsable de la politique économique du géant du commerce de détail Migros.

«La frontière sud de l’Allemagne, qui n’est pas très peuplée, est tapissée de centres commerciaux», dit-il. Une stratégie qui vise la clientèle suisse: «les Suisses achètent chaque année pour un milliard de francs de viande à l’étranger.»

La hausse du tourisme d’achat n’a jamais été aussi importante qu’aujourd’hui. «Les dédouanements privés dans la région de Bâle ont grimpé de 76% en 2011.» Selon Martin Schläpfer, les raisons de cette augmentation sont la force du franc mais aussi le fait que les commerces restent ouverts plus longtemps dans les pays voisins.

La grande distribution souhaite que la Confédération harmonise les horaires au niveau suisse, soit l’ouverture du lundi au samedi de 7h00 à 20h00, un soir par semaine jusqu’à 21h00 et quatre dimanches par an.

Mi-mai, suite à une motion en ce sens du député libéral-radical Christian Wasserfallen, le Conseil fédéral (gouvernement) a fait savoir qu’il ne souhaitait pas de régulation au niveau fédéral mais préférait laisser le sujet entre les mains des cantons.

«Nous sommes déçus du conseiller fédéral Johann Schneider-Ammann. Le ministre de l’économie ne peut pas se moquer de ce qui se passe à la frontière», accuse Martin Schläpfer.

Le lobbyiste de Migros estime par ailleurs que les réticences du personnel envers la libéralisation sont du passé. «Auparavant la sécurité de l’emploi ne jouait pas encore de rôle. Nous nous trouvons désormais dans une nouvelle ère marquée par le franc fort.»

La Fondation pour la protection des consommateurs (active en Suisse alémanique) ne prend pas position de manière générale pour ou contre une prolongation des heures d’ouverture des magasins. «Nous sommes en revanche favorables à des conditions cadre valables pour tous les cantons», a indiqué Sara Stalder, directrice de l’organisation, à swissinfo.ch. Selon elle, «beaucoup de consommateurs sont opposés à des horaires de magasins rallongés au détriment des employés». La Fondation a malgré tout exprimé un «oui prudent» à l’initiative sur l’ouverture des magasins de stations-service 24 heures sur 24.

En Allemagne, les horaires des magasins sont l’affaire des Länder. Ils doivent toutefois respecter les prescriptions sur le travail de nuit et du dimanche édictées au niveau national. Dans le Land du Bade-Wurtemberg, à la frontière avec la Suisse, les magasins peuvent rester ouverts 24 heures sur 24 du lundi au vendredi et ouvrir leurs portes trois dimanches ou jours fériés par an.

En Autriche, la loi stipule que les magasins peuvent ouvrir du lundi au vendredi de 6h00 à 21h00 et les samedi jusqu’à 18h00 mais doivent rester fermés les dimanches et jours fériés. Il existe toutefois de nombreuses exceptions à cette règle.

En France, il n’y a pas de restriction légale des heures d’ouverture des magasins les jours ouvrables. Les pratiques sont variables les dimanches et les jours fériés.

En Italie, les heures d’ouverture des magasins ont été totalement libéralisées en 2012.

(Traduction de l’allemand: Sophie Gaitzsch)

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