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Le phénomène Sebastian Kurz

Bild eines jungen Mannes vor einem grün-weissen Hintergrund.
Lisse et bien conseillé: dans son ascension vers le sommet, Sebastian Kurz a toujours soigneusement évité les faux pas. Keystone

Dur avec les réfugiés, proche de l’Europe et de l’extrême-droite, aimable avec ceux qui le critiquent: le plus jeune chef de gouvernement d’Europe s’est habilement élevé jusqu’au sommet. Il est maintenant en visite en Suisse. Portrait de Sebastian Kurz par le journaliste autrichien Werner Bartl, qui a suivi de près son ascension.

L’ambassadeur des États-Unis à Berlin l’a qualifié de rockstar et dans les débats télévisés, on le présente comme un enfant prodige. Les éloges plus factuels le décrivent comme un politicien d’exception. Chancelier autrichien depuis près d’une année, Sebastian Kurz est, à l’âge de 32 ans, le plus jeune chef de gouvernement d’Europe. Et l’Autriche ayant pris cet été la présidence du Conseil de l’UE, il a également pu clamer dans cette fonction son credo sur les réfugiés: l’Europe ne peut fonctionner qu’avec de véritables frontières extérieures.

L’Autriche ne signera pas le Pacte de l’ONU pour des migrations ordonnées, sûres et régulières parce que les partis gouvernementaux estiment qu’il ne fait pas une distinction suffisamment claire entre l’immigration légale et illégale. Le pays suit ainsi les exemples donnés par les États-Unis de Donald Trump et le premier ministre hongrois Viktor Orban. Certaines voix mettent en garde contre une «orbanisation» de l’Autriche.

Ce qui n’entame en rien à la popularité du chancelier et de son parti, le Parti du peuple autrichien (ÖVP), de tendance chrétienne-démocrate conservatrice. Les sondages indiquent que si de nouvelles élections devaient avoir lieu maintenant, il conserverait son poste à la tête du gouvernement.

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Tapageur, puis modeste

Son ascension fulgurante et sa marche vers la Chancellerie ont commencé il y a sept ans, lorsque le vice-chancelier de l’époque surprit tout le monde en nommant ce jeune politicien alors âgé de 24 ans comme secrétaire d’État à l’intégration, notamment en charge de l’asile. Il s’était auparavant distingué à la tête des jeunesses de l’ÖVP par certaines provocations. Il avait ainsi distribué des préservatifs noirs, la couleur de son parti, accompagnés du slogan «le noir c’est excitant – schwarz ist geil.»

En tant que secrétaire d’État, il s’est montré modeste, expliquant volontiers qu’il n’était pas né avec une cuillère en argent dans la bouche et avait passé sa jeunesse dans un quartier ouvrier typique de Vienne. Et effectivement, fils d’une enseignante et d’un ingénieur, il a effectué sa scolarité à l’école publique où près de la moitié des écoliers étaient issus de la migration. Après avoir obtenu son baccalauréat avec mention, il a entamé dans la capitale autrichienne des études de droit qu’il n’a toujours pas terminées.


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Rhétorique précise

Le secrétaire d’État Sebastian Kurz s’est rapidement retrouvé sous les feux de la critique et a même été dénoncé comme «un mauvais coup de relations publiques». Certains ministres s’éloignaient de lui au moment des photos pour ne pas y figurer aux côtés de ce «blanc-bec à l’air arrogant». Mais sa rhétorique précise et son slogan «l’intégration par la performance» lui ont permis de gagner progressivement l’assentiment de la population. Il a également réuni autour de lui un petit cercle de personnes de confiance et de conseillers.

Il a fait tout son possible pour éviter les pièges et a rapidement appris à recourir à des formules politiciennes toutes faites sur les questions brûlantes. En 2014, devenu ministre des Affaires étrangères, il avait encore justifié une campagne d’intégration menée sur le thème «fier de ça» en disant que «notre culture d’accueil est insuffisante». Mais lorsqu’en 2015, le président autrichien, le chancelier d’alors et de nombreux ministres se rendirent à la gare de l’Ouest pour saluer des réfugiés passant par Vienne, il a suivi les conseils de son équipe et est resté à l’écart et loin des caméras.

Peu à peu, son équipe l’a profilé pour la prochaine étape de son ascension à l’aide de messages efficaces et en programmant soigneusement ses interventions publiques. Il est ainsi considéré comme l’instigateur de la fermeture de la route des Balkans en 2016. «Nous avons mené à bien la fermeture de la route des Balkans de l’Ouest avec beaucoup de doigté», affirme-t-il. Pourtant, sans l’accord intervenu entre la chancelière allemande Angela Merkel et la Turquie, ses discussions avec d’autres pays n’auraient pas apporté de résultats rapides. En tant qu’hôte des pourparlers de paix sur la Syrie, il a en outre pu développer son réseau de relations au niveau international.

Un parti sur mesure

L’occasion de saisir le pouvoir s’est rapidement présentée. Suite à des querelles internes, le président de l’ÖVP, Reinhold Mitterlehner a quitté son poste en mai 2017. Il devait ensuite déclarer que le fait de «se laisser dépasser par la masse des réfugiés» avait été une grande erreur politique. «La stratégie du ministre des Affaires étrangères [Kurz] était meilleure».

Sebastian Kurz accepta de prendre la direction de l’ÖVP, mais refusa le poste de vice-chancelier dans le gouvernement de coalition rouge-noir, appelant à de nouvelles élections. Pour lui, c’était désormais tout ou rien. Son parti était affaibli, il exigea qu’il lui accorde de larges pouvoirs.

Le Parti autrichien du peuple ÖVP se présenta aux élections d’octobre 2017 sous le nom de «Liste Sebastian Kurz – le nouveau parti du peuple». Pour la première fois depuis 2002, il arriva en tête du scrutin, devançant les socialistes (SPÖ) et le parti de la liberté (FPÖ). Peu après, Sebastian Kurz était nommé chancelier et formait un nouveau gouvernement avec les conservateurs de droite du FPÖ.

Communication professionnelle

Durant la campagne pour ces élections parlementaires, Sebastian Kurz et son équipe n’ont cessé de répéter les mêmes messages jusqu’à ce que tout le monde les ait entendus. Cette méthode reste maintenant encore la principale caractéristique de leur communication. Jamais auparavant il n’y avait eu autant de porte-parole et de personnes chargées de la communication que dans les ministères et les chancelleries de ce gouvernement dont l’image est aux mains de spécialistes en RP. Les déclarations publiques des ministres sont discutées à l’avance.

L’équipe de Sebastian Kurz est surtout bien décidée à éviter tout conflit ouvert avec son partenaire de coalition. Elle sait que les électeurs en ont assez des politiciens et n’apprécient pas ce genre de querelles. Les Autrichiens sont d’ailleurs maintenant plus satisfaits de «ceux d’en haut» que par le passé. Le système du «Message Control» fonctionne, mais de nombreux journalistes commencent à s’inquiéter, craignant que la propagande prenne le pas sur la discussion.

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Les interventions douteuses du ministère de l’Intérieur

Ainsi, ils n’ont pas apprécié le courriel que le ministère de l’Intérieur, aux mains de la droite nationaliste, a envoyé à différents échelons de la police. Il y demandait de renforcer la communication sur les délits sexuels commis par des étrangers et recommandait dans le même temps de ne pas fournir d’informations à des médias critiques à l’égard du gouvernement dont il donnait la liste. Le chancelier s’est vu forcé de prendre position. «Toute restriction de la liberté de la presse est inacceptable», a-t-il déclaré.

Le ministère de l’Intérieur a également ordonné des perquisitions largement illégales contre l’Office fédéral pour la protection de la Constitution et la lutte contre le terrorisme (BVT) où des données sensibles ont été saisies. Une commission d’enquête parlementaire se penche depuis avril 2018 sur cette ingérence politique. Il y a quelques semaines, l’Autriche s’est en outre retirée volontairement du Club de Berne jusqu’à ce que l’affaire soit clarifiée. Ce groupe réunit les chefs des services de sécurité et de renseignements des États membres de l’UE, ainsi que ceux de la Norvège et de la Suisse.  

Attention internationale

Le gouvernement Kurz est également un sujet de préoccupation au niveau international. Après l’assermentation du gouvernement, Israël a limité au niveau des seuls fonctionnaires tous les contacts avec les ministères tenus par les conservateurs nationalistes du FPÖ. Ce boycott est motivé autant par les racines antisémites du parti que par des critiques plus récentes venant des juifs d’Autriche.

En août, la ministre autrichienne des Affaires étrangères Karin Kneissl a invité le président russe Vladimir Poutine avec qui elle a dansé une petite valse qui a fait les gros titres au niveau international. Également présent à la fête, le chancelier Sebastian Kurz est resté à l’arrière-plan mais a ensuite accompagné dans sa limousine le président russe jusqu’à l’aéroport.

Alliance avec les populistes

Le chef du FPÖ Heinz-Christian Strache a pour sa part signé à Moscou un accord de collaboration et de coopération avec le parti gouvernemental «Russie unie», ce qui a mal été compris dans l’Union européenne. Il en va de même pour la position ambiguë de certains politiciens de ce parti face à l’annexion de la Crimée.

Mais Sebastian Kurz a besoin de son partenaire de coalition, aussi bruyant et populiste soit-il. Il cherche donc à calmer le jeu. En vue de la campagne pour les élections européennes de 2019, les deux partis du gouvernement ont conclu une sorte de «cessez-le-feu». Les critiques des nationalistes contre l’UE contrarient l’image d’Européen convaincu que veut donner le chancelier.

Après avoir été nommé à ce poste il y a un an, il a d’ailleurs effectué son premier voyage à l’étranger à Bruxelles – et non en Suisse comme le veut la tradition. Mais en janvier 2018, le président suisse Alain Berset s’est rendu en Autriche pour son premier voyage à l’étranger. Les discussions avec Sebastian Kurz ont porté sur l’Europe et sur la politique d’asile.

«Excellente collaboration»

Sebastien Kurz a rencontré à Berne le président de la Confédération Alain Berset lors d’une réunion de travail ce mardi.

Les deux hommes ont échangé les instruments de ratification concernant l’accord sur la police aérienne entre les deux pays. Signé en septembre 2017 à Salzbourg, cet accord régit la coopération en matière de sécurité transfrontalière de l’espace aérien contre les menaces aériennes de nature non militaire. Il permettra aux pilotes suisses et autrichiens de mieux collaborer, notamment en cas de menace aérienne sur le Forum économique mondial (WEF) de Davos.

Messieurs Berset et Kurz ont souligné l’excellente collaboration entre les deux Etats. Les relations bilatérales entre la Suisse et l’Autriche ont été au centre des discussions. Les deux dirigeants ont également abordé les questions migratoires, les relations avec la Russie et les négociations entre la Suisse et l’Union européenne, dont Vienne assure la présidence tournante jusqu’à la fin de l’année.

(Traduction de l’allemand: Olivier Huether)

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