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Tunnel du Gothard, ou l’art du funambulisme

Doublement ou pas doublement, telle est la question… Keystone

Fermeture ou seconde galerie? L’assainissement du tunnel routier du Gothard fait et fera encore couler beaucoup d’encre. Trouver une solution qui mette tout le monde d’accord sera pratiquement impossible, tant il y a d’intérêts en jeu.

Pour l’instant, il n’existe qu’une seule certitude: le tunnel autoroutier du Gothard, 3e galerie la plus longue du monde avec ses 16,9 kilomètres, devra être totalement refait. Probablement entre 2020 et 2025.

En ce qui concerne la manière de procéder, en revanche, toutes les hypothèses sont encore ouvertes. Le gouvernement suisse devrait faire connaître sa décision de principe d’ici la fin juin. Il a identifié deux variantes «optimales».

La première, d’un coût de 650 millions de francs, prévoit une fermeture totale au trafic et une durée des travaux de deux ans et demi. La seconde, devisée à 725 millions, prévoit une interdiction de circuler limitée à 280 jours par an. Mais la durée des travaux serait plus longue: environ trois ans et demi.

Doubler ou ne pas doubler?

Fermer le tunnel pendant 900 jours? Inimaginable, a répondu la majorité du monde politique et économique tessinois. Cet avis ne se limite d’ailleurs pas au canton situé au sud des Alpes.

Pourquoi ne pas plutôt creuser un second tunnel en tirant profit du conduit de sécurité déjà existant? Les coûts seraient certes plus élevés – on parle d’environ 2 milliards – mais les cantons traversés par l’autoroute A2 ne souffriraient pas des conséquences d’une fermeture prolongée.

Face à cette levée de boucliers, le gouvernement fédéral a répondu vouloir également évaluer l’hypothèse d’un second tunnel.

L’Initiative des Alpes ne veut par contre absolument pas entendre parler d’un doublement du tunnel. Selon cette association écologiste, construire une seconde galerie violerait l’article constitutionnel sur la protection de l’arc alpin, qui interdit l’agrandissement des voies de transit. Ce texte avait été accepté en 1994 par le peuple suisse au terme d’une campagne émotionnelle.

Pour l’Initiative des Alpes, le fait que la seconde galerie ne serait ensuite utilisée qu’en unidirectionnel, une fois les travaux d’assainissement terminés, ne change rien.

Partisans et adversaire du 2e tube se sont affrontés à coups d’expertises et de contre-expertises portant sur les impacts d’une fermeture prolongée, les opportunités pour la région, la possibilité de transférer le trafic sur le rail, etc. Inutile de dire que les conclusions sont diamétralement opposées selon le camp qui les a élaborées.

Mais résumer la bataille du Gothard à une dispute entre partisans du doublement et écologistes est trop réducteur.

Les CFF en coulisses

Selon Giuseppe Pini, directeur de l’Observatoire de la mobilité de l’Université de Genève, derrière le choix du gouvernement de privilégier le scénario de la fermeture à celui du doublement, on trouve probablement aussi l’influence des Chemins de fer fédéraux (CFF).

«Les CFF représentent depuis toujours un lobby puissant en matière de politique des transports, déclare-t-il. Et il est clair que pour les CFF, il est plus avantageux d’avoir un tunnel autoroutier fermé, d’autant que le nouveau tunnel ferroviaire de base du Gothard ouvrira en 2016. Vu les coûts pour les CFF – environ 20 milliards – il est primordial que la ligne soit rentabilisée le plus rapidement possible.»

En plus des CFF, les partisans du second tunnel sont également confrontés à un autre obstacle qui concerne surtout la politique régionale.

Un puits sans fond

Depuis longtemps, l’axe du Gothard (autoroutier et ferroviaire) est considéré par beaucoup comme un puits sans fonds. Les flux de trafic qui traversent le tunnel autoroutier sont certes importants, mais bien inférieurs à ceux constatés dans certaines agglomération. En 2010, un peu moins de 17’000 véhicules, dont 2600 camions, ont en moyenne transité chaque jour par le tunnel.

«On a dû utiliser pour l’axe du Gothard des fonds qui auraient peut-être pu être utilisés ailleurs, remarque Giuseppe Pini. Lorsque 80’000 véhicules transitent chaque jours dans une ville, on est confronté à un problème plus grave.»

Cette politique des transports «centrée sur le Gothard» ne plait pas à tout le monde. Elle suscite souvent des critiques en Suisse romande. Depuis des années en effet, les infrastructures routières et ferroviaires entre Genève et Lausanne sont saturées et beaucoup réclament que la Confédération se concentre plutôt sur la construction d’une troisième voie ou d’une troisième piste entre les deux villes.

«Les Romands se sont rendu compte qu’ils avaient été floués avec le percement du tunnel ferroviaire du Lötschberg. Celui-ci avait été vendu comme une infrastructure pour la Suisse romande, mais elle en profite finalement bien peu», estime Giuseppe Pini. Demander encore de l’argent pour financer un second tunnel au Gothard, ce qui dans les faits équivaut à renvoyer les autres projets aux calendes grecques, risque dont de se heurter à un refus sec de la Suisse occidentale.

Toujours dans la même optique, beaucoup de gens se demandent aussi si la priorité ne doit pas aller maintenant à l’axe ouest-est plutôt qu’à l’axe nord-sud, comme jusqu’à présent. Dans une interpellation déposée fin 2010, le député genevois André Reymond demandait au gouvernement si l’axe du Gothard était aussi important à la lumière de l’élargissement de l’Union européenne vers l’Est. Le gouvernement avait répondu que la Suisse «joue un rôle secondaire, en tant que pays de transit, dans le trafic des marchandises sur l’axe est-ouest», alors qu’il se trouve à l’intérieur «du corridor Anvers-Gênes, qui fait partie du réseau transeuropéen de transport».

Partenariat public-privé?

A cette cacophonie complexe d’intérêts divergents s’est encore ajouté, il y a quelques semaines, l’idée de financer un second tunnel avec un partenariat public-privé. Selon une étude d’economiesuisse, l’organe faîtier de l’économie nationale, un tel projet est faisable avec un péage de 21 francs pour le franchissement du tunnel.

L’Office fédéral des routes (OFROU) a répondu négativement, estimant qu’il s’agit d’une «solution trop chère pour les automobilistes», a déclaré son directeur Rudolf Dieterlein.

«Je ne pense pas qu’il sera possible de le financer de cette manière, en particulier parce que le péage risque de se révéler indigeste pour les Tessinois», juge de son côté Giuseppe Pini.

Dans le dossier du Gothard, le gouvernement devra en somme montrer qu’il sait maîtriser l’art difficile du funambulisme en cherchant à sortir de son chapeau un compromis pour la Suisse en mesure de créer le moins de mécontentement possible.

Le tunnel routier du St Gothard mesure 16,9 kilomètres. Il est le 3e plus long au monde.

Il relie Göschenen (canton d’Uri), au nord, à Airolo (canton du Tessin) au sud.

Le tunnel a été ouvert au trafic le 5 septembre 1980, pour répondre au boom de la voiture en Suisse et au développement du tourisme vers l’Italie.

Plus de 160 millions de véhicules l’on traversé depuis son ouverture.

Le tunnel est bidirectionnel (les véhicules se croisent). Le 24 octobre 2001, une collision frontale suivie d’un incendie avait provoqué la mort de 9 personnes.

Tunnel du Grand St-Bernard: 601’520 véhicules

Route du col du Simplon: 851’180

Tunnel autoroutier du St-Gothard: 6’144’850

Tunnel du San Bernardino: 2’363’860

Route du col du St-Gothard: 653’000

Source: Office fédéral des routes

Les travaux d’assainissement nécessaires au tunnel routier du Gothard concernent la chaussée, la ventilation, les canalisations et la voûte intermédiaire. De plus, la distance entre les aires de sécurité devra être réduite, il s’agira également d’augmenter l’espace nécessaire au trafic et d’élargir les marches-pieds de secours.

A la fin de 2010, l’Office fédéral des routes a présenté quatre variantes. Les deux premières ont été considérées comme étant les meilleures du point de vue technique.

 

Variante 1: fermeture complète, sans interruption durant 2,5 ans; coût, 650 millions de francs (travaux), auxquels s’ajoutent 600 millions de francs pour la gestion du trafic.

Variante 2: fermeture pour une période de 280 jours par année (entre septembre et juin). Durée des travaux, environ 3,5 ans; coût estimé 752 millions de francs (travaux), auxquels s’ajoutent environ 670 millions de francs pour la gestion du trafic.

Variante 3: fermeture de 5 mois par année (hiver), répartie sur une période de 7 ans. Coûts estimés à 890 millions de francs (travaux), auxquels s’ajoutent encore près de 557 millions de francs pour la gestion du trafic.

Variante 4: fermeture totale 7 mois par an (été), échelonnée sur 5 ans. Coût des travaux estimés à 810 millions de francs, plus 492 millions pour la gestion du trafic.

Le gouvernement devrait faire connaître sa décision d’ici à fin juin.

(Traduction de l’italien: Olivier Pauchard)

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