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Un socialisme gangréné par le monarchisme républicain

La victoire contestée de Martine Aubry est symbolique de la déchirure au sein du Parti socialiste français. Keystone

Le parlement du parti socialiste français a élu vendredi soir Martine Aubry au poste de Premier secrétaire avec 42 voix d'avance. Son adversaire Ségolène Royal conteste le vote. Une crise éclairée par un camarade suisse, le Genevois Albert Rodrik.

Membre du bureau du comité directeur du parti socialiste genevois et de l’assemblée des délégués du PS suisse, Albert Rodrik nourrit une passion pour la res publica et vit une relation presque charnelle avec le monde francophone.

Séfarade d’Istanbul, il découvre les lettres françaises il y a près de 70 ans dans une école chrétienne. Figure majeure du parti socialiste genevois depuis une trentaine d’année, Albert Rodrik poursuit son engagement au sein de la nouvelle Assemblée constituante genevoise, tout en observant avec acuité le devenir du monde.

swissinfo: Quelles sont les racines de cette crise?

Albert Rodrik: Elle s’inscrit dans une réalité française, celle de la personnalisation continuelle du pouvoir, de la façon d’y accéder et de le concevoir. Avec la 5ème République, une fonction et un personnage occupent un rôle que les démocraties ordinaires ne connaissent pas: le président de la république qui règne et ne gouverne pas, mais qui finit par gouverner quand même. Cette fonction taillée sur mesure par un personnage historique (Charles de Gaulle) fausse tout.

En son temps, Pierre Mendès France l’avait qualifiée de monarchie républicaine. De plus en plus monarchique et de moins en moins républicain, ce régime empoisonne tout le système démocratique français.

C’est le cas du parti socialiste soi-disant régénéré en 1971 par un personnage étranger au socialisme qui en a fait un instrument de conquête et d’usage du pouvoir. Une caractéristique qui n’en finit pas de gangréner le parti socialiste.

Pourtant, comme l’a écrit un éditorialiste français, la pertinence de l’analyse sociale-démocrate est évidente aujourd’hui face à la monumentale crise financière et économique. Mais l’un des grands partis socialistes d’Europe choisit ce moment-là pour se gratter le nombril jusqu’au sang.

swissinfo: le parti est donc toujours dans l’impasse, selon vous?

A.R.: Personne n’y sera en bonne posture pour la présidentielle, avant que le parti soit en état de marche, montre sa capacité de mobilisation et se dote d’un programme en phase avec son temps et les préoccupations des Français.

swissinfo: Le gros problème de ce parti n’est-il pas dans son rapport à l’économie de marché, sa pratique gouvernementale et un discours hésitant entre une fibre anticapitaliste et un courant social-libéral?

A.R.: C’est une difficulté majeure pour l’ensemble du mouvement socialiste et social démocrate d’Europe. Quels que soient ses griefs, en dépit de ses multiples réincarnations depuis Adam Smith, le capitalisme est toujours là.

Pour affronter cet ordre économique et social du monde en sachant exactement à quoi s’en tenir, il faut pouvoir dire à la fois que ce système est le seul à ne pas s’être effondré dans la misère et la répression, mais qu’il est intrinsèquement incapable d’être juste, équitable et porteur de qualité de vie pour les êtres humains.

C’est en faisant ce constat, qu’un parti social-démocrate peut se donner les moyens de systématiquement et continuellement limer le bec et les serres d’un oiseau de proie dont le substitut n’a pas encore été trouvé.

swissinfo: N’est-ce pas ce qu’a fait la social-démocratie?

A.R.: Elle essaye de le faire. La difficulté est d’accomplir cet exercice sans renier 150 ans de luttes ouvrières, en parlant un langage contemporain et en sachant reconnaître la pérennité du capitalisme et sa perversité intrinsèque. C’est un exercice intellectuel particulièrement difficile pour des partis dont l’entrainement à la réflexion n’est plus ce qu’il était.

swissinfo: Quel est l’impact du PS français sur les socialistes suisses?

A.R.: Le parti socialiste suisse s’inscrit dans une mouvance nordique à cause de ses liens profonds avec le mouvement syndical, comme c’est la tradition en Allemagne ou dans les pays scandinaves. Ce qui implique une autre manière de fonctionner et d’autres sources de langue de bois.

Une certaine influence se fait sentir chez les socialistes des cantons de Suisse romande. Mais elle a tendance à s’estomper depuis les années 80, avec la prise de conscience des différences institutionnelles qui déterminent tout de même pas mal de choses.

Cela dit, nous partageons des inflexions communes à tous les partis socialistes, comme ces figures et ces courants qui vivent dans le strabisme et le torticolis permanent, les uns louchant vers l’extrême gauche, les autres si sensibles à l’appel à moderniser qu’ils ont oublié où sont leurs racines.

Interview swissinfo: Frédéric Burnand à Genève

Au terme d’une soirée confuse, Martine Aubry a été élue à la tête du Parti socialiste (PS) français avec 50,02 % des voix. Ce résultat a été vivement contesté par sa rivale Ségolène Royal, qui a réclamé un nouveau vote.

Martine Aubry, maire de Lille et tenante de l’ancrage à gauche du parti, a obtenu 42 voix de plus que son adversaire sur 137’000 votes.

Le camp de Ségolène Royal a demandé qu’un nouveau scrutin se tienne jeudi. Martine Aubry a rétorqué qu’un nouveau vote n’a pas de raison d’être.

Le premier secrétaire sortant du PS, François Hollande, a fait savoir qu’il convoquerait dans les prochains jours les instances dirigeantes du parti pour examiner les résultats et les valider.

Les militants socialistes étaient consultés moins d’une semaine après un congrès cauchemardesque pour le PS qui avait échoué à définir une ligne politique claire et à dégager une candidature de consensus pour la succession de M. Hollande, offrant le spectacle d’un parti ébranlé par le choc des ambitions.

Le Parti Socialiste Européen (PSE) est le plus important partenaires du PS Suisse au niveau international. Il y délègue régulièrement des représentant(e)s aux comités et aux autres rencontres du PSE.

Le PSE regroupe les partis socialistes, sociaux-démocrates et travaillistes de l’Union européenne.

Le PSE compte 32 partis membres des 27 pays de l’UE ainsi que de Norvège, le groupe PSE au Parlement européen et au Conseil des régions, les femmes PSE et les jeunes socialistes européens.

S’y ajoutent 6 partis associés et 7 partis observateurs. Le PS suisse est membre associé du PSE.

Source: Parti socialiste suisse

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