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Un vote entre émotion et raison

Le nounours de Marche Blanche a convaincu une majorité de Suisses. Keystone

A la surprise générale, les Suisses ont accepté de rendre les crimes pédophiles imprescriptibles. Seul le caractère émotionnel du thème semble expliquer le succès de cette initiative qui bénéficiait de très peu de soutien. En revanche, les autres objets soumis au vote ont connu une issue somme toute logique.

L’initiative «Pour l’imprescriptibilité des actes de pornographie enfantine» n’avait pas fait l’objet d’un sondage, mais peu de gens s’attendaient à ce qu’elle passe la rampe du scrutin. En effet, lancé par l’association «Marche Blanche», ce texte ne bénéficiait du soutien que d’un seul grand parti, l’Union démocratique du centre (UDC / droite nationaliste).

Au fil d’une campagne discrète, les adversaires de l’initiative n’ont par ailleurs pas manqué d’égrainer des arguments logiques. Ils ont notamment insisté sur le fait que – bien que les crimes pédophiles soient abjects – l’imprescriptibilité devait rester réservée à des crimes de guerre ou à des génocides. L’argument selon lequel un abus sexuel deviendrait imprescriptible alors qu’un meurtre ne l’est pas, était également très fort.

Fréquence des affaires

Mais les Suisses ne se sont finalement pas laissés convaincre par ces arguments certes logiques, mais peut-être trop juridiques. Ce qui semble l’avoir emporté, c’est l’horreur inspirée par les crimes pédophiles. Pour une majorité de citoyens, s’en prendre sexuellement à un enfant reste un crime particulièrement abject qui ne doit pas sombrer dans l’oubli.

Ce caractère émotionnel est par ailleurs renforcé par la fréquence des affaires pédophiles qui font la une des médias, en Suisse comme à l’étranger, depuis l’éclatement de l’affaire Dutroux en Belgique. En matière de pédophilie, entre émotion et raison, le cœur des citoyens n’aura donc pas balancé.

Il est assez rare qu’une initiative passe la rampe du scrutin populaire. Mais force est de constater que les trois dernières qui ont été acceptées (imprescriptibilité des crimes pédophiles, interdiction des OGM et détention à vie pour les criminels sexuels ou violents jugés dangereux) ont un point commun: toutes abordent des thématiques où les arguments les plus logiques peinent à s’imposer face au sentiment de peur des citoyens.

Pas une révolution

L’acceptation de la nouvelle Loi fédérale sur les stupéfiants ne constitue en revanche pas une surprise. Les Suisses se sont finalement bornés à inscrire dans la loi une politique de la drogue qui a fait ces preuves depuis de nombreuses années déjà et qui ne constitue en aucun cas une révolution.

Cette politique dite des «quatre piliers», basée à la fois sur la prévention, la répression, l’aide à la survie et la thérapie, semble objectivement avoir amélioré la situation. Le nombre des décès dus aux stupéfiants a diminué et les images navrantes de ces «scènes ouvertes de la drogue» ont totalement disparu du paysage suisse.

Les adversaires – peu nombreux – de la nouvelle loi ne sont jamais réellement parvenus à convaincre. Leur principal argument, qui consistait à dire que loi ne mettait pas suffisamment en avant le principe de l’abstinence, n’a au final guère fait le poids face aux améliorations concrètes apportés par la politique des «quatre piliers».

Les résultats du vote prouvent que les auteurs de la nouvelle Loi sur les stupéfiants ont été bien inspirés en n’y intégrant pas la dépénalisation du cannabis. En effet, les Suisses ont montré de manière extrêmement claire que l’idée de dépénaliser les drogues «douces» ne les séduisait pas.

La dépénalisation du cannabis avait pu sembler dans l’air du temps au cours des années 1990. Mais la situation s’est durcie au début des années 2000 – faisant notamment capoter le premier projet de nouvelle Loi sur les stupéfiants devant le Parlement. Le vote de ce dimanche confirme que cette tendance n’est pas prête de s’inverser.

Flexibilisation victime de la crise

L’initiative demandant une aide destinée à permettre aux revenus les plus faibles de partir plus tôt à la retraite a logiquement échoué. Logiquement, car plusieurs facteurs expliquent la défaite de la gauche.

Tout d’abord, la majorité alémanique du pays s’est montrée peu encline à alourdir encore le bateau des assurances sociales. Rien de nouveau à cela, ce clivage entre Romands et Alémaniques se retrouve fréquemment dans ce genre de sujets.

Par ailleurs, les Suisses entendent depuis plusieurs années déjà que le vieillissement de la population met en péril le système des retraites et ils constatent que, déjà, certains pays européens ont élevé l’âge de la retraite pour faire face à ce phénomène. Dans un tel contexte, difficile donc, pour la gauche, d’expliquer qu’il faut favoriser les départ anticipés.

Enfin, cette initiative est arrivée au pire moment, celui d’une crise économique généralisée qui menace. Récession économique et augmentation des prestations sociales font rarement bon ménage. Confrontée à un pouvoir d’achat qui s’érode, une majorité des citoyens n’était certainement pas très favorable à l’idée de voir les cotisations sociales augmenter, ne serait-ce que de quelques francs.

Battue déjà à plusieurs reprises au Parlement sur cette question des retraites flexibles, la gauche avait décidé de faire appel au peuple en ultime recours. Avec les résultats de dimanche (19 cantons opposés et 58% de non), nul doute que ce dossier de la flexibilisation de l’âge de la retraite n’est pas prêt de se débloquer.

swissinfo, Olivier Pauchard

Imprescriptibilité des actes de pornographie enfantine

Oui 1’206’222 – Non 1’119’172
Pourcentages 51,9% – 48,1%
Cantons 18 – 5

Loi fédérale sur les stupéfiants

Oui 1’541’227 – Non 723’714
Pourcentages 68,1% – 32%
Cantons 23 – 0

Dépénalisation de la consommation de cannabis

Oui 848’470 – Non 1’456’336
Pourcentages 36,8% – 63,2%
Cantons 0 – 23

Retraite flexible

Oui 970’490 – Non 1’374’107
Pourcentages 41,4% – 58,6%
Cantons 4 – 19

Droit de recours des organisations écologiques

Oui 774’018 – Non 1’501’184
Pourcentages 36,8% – 63,2%
Cantons 0 – 23

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