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Un électorat clairsemé pour une question d’épizooties

Les vaccinations obligatoires font peur aux opposants de la modification de la Loi sur les épizooties. Keystone

Les électeurs suisses ont voté dimanche sur une révision de la législation sur les maladies infectieuses des animaux. Combattue par référendum, la Loi fédérale sur les épizooties devrait passer facilement la rampe. Il est sûr aussi que le thème ne déplacera pas les foules.

C’est certainement le référendum le plus surprenant de ce début de siècle en Suisse. La modification de la Loi fédérale sur les épizooties (LFE) avait été adoptée au Parlement avec un score digne d’une démocratie populaire de l’ancien bloc de l’Est: une seule opposition parmi les 246 élus siégeant sous la Coupole fédérale… Pourtant, une poignée de citoyens, avant tout des agriculteurs et des naturopathes de Suisse alémanique, ont réussi à obtenir les 50’000 signatures nécessaires pour l’organisation d’un vote populaire. Et ce sans aucun soutien, ni de partis politiques ni de grandes organisations.

La révision de cette loi veille de presque un demi-siècle avait été sollicitée par des représentants du secteur agricole, préoccupés par l’augmentation des risques de diffusions de maladies infectieuses en raison de l’intensification des échanges internationaux et du réchauffement climatique. Objectif de l’opération: disposer de bases légales permettant de prévenir et de combattre efficacement les épizooties (épidémies entre animaux) et les zoonoses (maladies transmises de l’animal à l’homme). Pour ce faire, la Confédération dirigerait la prévention et la lutte.

Mais cette concentration de pouvoir est combattue par les promoteurs du référendum. Ceux-ci réclament l’instauration d’un organisme indépendant, sur le modèle de la commission mixte créée dans le canton de Zurich qui comprend aussi des représentants de la protection des animaux, des éleveurs ou de la médecine vétérinaire, qu’elle soit classique ou complémentaire.

Peur des vaccinations imposées

«Nous souhaitons nous aussi une nouvelle loi sur les épizooties, affirme Josef Zahner, membre du comité référendaire. Mais une loi qui vise véritablement à sauvegarder la santé des animaux. Une loi qui permet aussi aux éleveurs de participer aux décisions et qui ne les met pas sous la tutelle de fonctionnaires qui imposent tout ce qu’ils veulent.»

Pour les opposants, la modification de la LFE telle qu’adoptée par le Parlement équivaut à donner carte blanche à la Confédération pour décréter des vaccinations obligatoires. «Il n’est écrit nulle part dans la loi que l’Office vétérinaire fédéral lancera immédiatement des campagnes de vaccination contre tout type de maladie qui apparaitrait en Europe ou en Suisse», objecte Christian Griot, chef de l’Institut suisse de virologie et d’immunoprophylaxie. Ce dernier estime qu’il s’agit seulement d’une interprétation.

Effectivement, dans le texte, on parle de mesures de préventions en général, reconnait Thomas Grieder, membre du comité référendaire. «Mais implicitement, ces mesures peuvent aussi comprendre des vaccination. Cela est évident avec le nouvel article qui donne à la Confédération la possibilité d’acheter des vaccins à l’avance et de créer des banques de vaccins.»

Expériences avec la langue bleue

A l’origine des peurs d’une grande partie des promoteurs du référendum, on trouve les expériences vécues durant la crise de la maladie de la langue bleue. Leurs bovins et ovins avaient alors connu toute une série de problèmes: décès, avortements, naissances prématurées, chute de production. Pour ces producteurs, ces problèmes avaient tous un point de départ commun: les vaccinations contre la maladie de la langue bleue, que l’Office fédéral avait rendues obligatoires en 2008 et fait répéter au cours des deux années suivantes.

La relation de cause à effet entre les vaccinations et les problèmes rencontrés n’a pas été prouvée scientifiquement et la grande majorité des éleveurs n’ont donc pas été indemnisés. Par ailleurs, ceux qui avaient refusé de faire vacciner leurs bêtes avaient été mis à l’amende.

«Si nous n’avions pas lancé des campagnes de vaccination et si nous avions laissé aux seuls agriculteurs la tâche de combattre la maladie, je ne crois pas que nous nous serions débarrassés aussi vite de la langue bleue», estime Christian Griot. «Trois ans pour éradiquer une maladie infectieuse chez les animaux, c’est peu», ajoute Nathalie Rochat, porte-parole de l’Office vétérinaire fédéral.

L’office estime que ces vaccinations ont évité la perte de 16’000 bovins et de 24’000 ovins. Ces chiffres sont contestés par les opposants à la modification de la LFE qui, en extrapolant à la Suisse les pourcentages de décès enregistrés en Allemagne, établissent le nombre maximal de morts évitées à 379 bovins et 2769 ovins.

La campagne de vaccination contre la langue bleue a coûté 20 millions de francs par an. Mais cette somme est limitée, si on la compare aux pertes subies là où la maladie s’est propagée, observe Nathalie Rochat. Au Pays-Bas, par exemple, les coûts directs et indirects ont atteint 80 millions d’euros pour la seule année 2007, selon un article publié en 2009 par le journal Philosophical Transactions de la Royal Society.

Désintérêt de l’électorat

La confiance des électeurs dans les autorités politiques influera sur la décision d’une majorité des citoyens, dimanche. Selon Claude Longchamp, responsable de l’institut de recherches gfs.bern, le quart environ de l’électorat vote toujours en suivant les recommandations du gouvernement qui, en l’occurrence, préconise d’accepter la modification législative. Ce sera certainement le cas, à moins d’une énorme surprise.

Ce qui est sûr aussi, c’est que les citoyens ne se déplaceront pas en masse pour aller voter. Sur la base de son expérience, Claude Longchamp estime que le taux de participation tournera autour de 30%. Seule une intense campagne politique aurait éventuellement pu avoir un effet mobilisateur. Mais les promoteurs du référendum n’avaient pas les moyens financiers nécessaires.

Ils devront donc très certainement se contenter d’avoir réussi à convaincre l’Union démocratique du centre (droite conservatrice), le plus grand parti du pays, à recommander le rejet de la modification. Et aussi du fait d’avoir été capables de faire soumettre cet objet au vote populaire, ce qui est déjà en soi un exploit.

Avec la révision de la Loi fédérale sur les épizooties (LFE), la Confédération assume la direction de la prévention et de la lutte contre les épidémies de maladies infectieuses animales.

  

Le gouvernement fédéral

édicte des prescriptions et règle le financement des mesures de prévention. Il peut appliquer une taxe temporaire à charge des détenteurs d’animaux, fixe la part des coûts couverte par cette taxe et la quote-part des cantons. Il peut gérer des banques de vaccins, se procurer des vaccins contre les épizooties et les distribuer gratuitement ou à prix réduit. Il peut conclure des traités internationaux en matière de santé des animaux.

Les cantons sont chargés de l’application des prescriptions fédérales, de leur contrôle et des sanctions en cas d’infraction. Certaines peines ont été durcies par rapport à la loi actuellement en vigueur.

Le «oui» à la révision est préconisé par le gouvernement, le Parlement, l’Union suisse des paysans, la Protection suisse des animaux, la Société suisse des vétérinaires et tous les partis représentés au Parlement, à l’exception de l’Union démocratique du centre (UDC / droite conservatrice).

  

Outre l’UDC, le «non» est préconisé par l’Association suisse pour la défense des petits et moyens paysans (VKMB), le syndicat agricole Uniterre, l’association Bio Suisse et une série d’autres organisations d’agriculteurs bio de Suisse alémanique, ainsi que par des milieux proches des médecines naturelles et critiques envers les vaccinations.

(Traduction de l’italien: Olivier Pauchard)

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