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Pourquoi ce sont avant tout les jeunes hommes qui se noient en Suisse

Un homme en train de nager en eaux libre
La plus grande prudence est toujours de mise lorsque l'on nage en eaux libres. Peter Schneider/Keystone

Les fortes chaleurs de l’été invitent à la baignade. Malheureusement, chaque année, cette activité rafraîchissante conduit à des drames. Les statistiques montrent que dans la grande majorité des cas, les victimes sont de sexe masculin. Reto Abächerli, expert en prévention, explique pourquoi.

À la fin du mois de mai, un fait divers tragique a mis un coup de projecteur sur les dangers de la baignade avec la mort d’Emmeril Kahn Mumtadz, fils du candidat à la présidence indonésienne Ridwan Kamil, qui s’était noyé dans les eaux de l’Aar, à Berne. Mais c’est loin d’être un cas isolé: chaque année, des personnes perdent ainsi la vie dans les eaux suisses.

Les statistiques de l’an dernier font état de 46 noyades, dont 44 en eaux libres (25 dans des cours d’eau et 19 dans des lacs). Cette situation a poussé la Société suisse de sauvetage (SSS) à accentuer la prévention, comme l’indique son directeur Reto Abächerli. Interview.

swissinfo.ch: Selon les statistiques, les noyades touchent principalement les hommes (75% des victimes dans le monde et plus de 80% en Suisse). Pourquoi une telle différence entre les sexes?

Reto Abächerli: Elle est probablement liée à des différences dans l’exposition au danger. Il semble probable que dans le monde entier, les hommes s’exposent plus souvent et plus intensément au risque de noyade. Que ce soit dans le cadre de leur profession, par exemple, en tant que pêcheurs ou marins, ou de leurs loisirs, par exemple en faisant des sauts téméraires dans l’eau ou en restant dans, au bord, ou sur l’eau en état d’ébriété.

Dans plus de 80% des noyades accidentelles mortelles en Suisse, les victimes sont de sexe masculin. À l’échelle mondiale, ce chiffre avoisine les 75%. Les explications possibles sont des conditions socioculturelles telles qu’une plus grande exposition à l’eau, ou encore une plus grande propension à prendre des risques, ou à consommer de l’alcool ou des drogues.

Selon les chiffresLien externe de l’Organisation mondiale de la santé, en 2019, on estimait à 236’000 le nombre de noyades dans le monde, ce qui fait de la noyade l’un des plus grands problèmes de santé publique au niveau mondial. Mais il se peut que les estimations sous-estiment sensiblement l’ampleur du problème. La noyade est la troisième cause de décès par traumatisme non intentionnel dans le monde.

On constate aussi que 14% des personnes qui se noient en Suisse sont de nationalité étrangère, alors que les étrangers représentent plus d’un quart de la population totale du pays. En regardant les statistiques de près, y a-t-il cependant des touristes ou des nationalités qui courent plus de risques que d’autres?

Effectivement, 14% des victimes de noyade n’ont pas de passeport suisse. Nous ne pouvons toutefois pas dire exactement s’il s’agit de personnes de nationalité étrangère qui vivent en Suisse ou de touristes.

Mais il est vrai que leur proportion n’est pas élevée. En d’autres termes, ce sont majoritairement des Suisses qui se noient, des personnes qui ont grandi ici et qui connaissent les eaux depuis leur enfance.

Néanmoins, dans certains cas, les non-autochtones ont des raisons spécifiques de se noyer, notamment à cause d’une mauvaise connaissance des eaux locales ou parce que leurs capacités en matière de natation ne sont pas aussi bonnes qu’en Suisse, où l’enseignement de la natation est largement institutionnalisé.

Dans tous les cas, de nombreux décès pourraient être évités. Et il existe des règles de comportement qui protègent de la noyade.

Homme devant le drapeau de la société suisse de sauvetage
Reto Abächerli, directeur de la Société Suisse de Sauvetage.

Pouvez-vous préciser?

Si l’on n’a jamais nagé dans une rivière, il est préférable de se faire accompagner par quelqu’un qui le fait régulièrement et qui peut vous conseiller et vous aider.

De manière générale, il ne faut jamais nager seul dans une rivière, mais toujours être accompagné et emporter un moyen de flottaison, comme une bouée, que l’on peut aussi détacher du corps. La SSS a édicté six maximes pour la baignadeLien externe et six pour le comportement en rivièreLien externe.

Ce que beaucoup ne savent manifestement pas non plus, c’est qu’il ne faut pas entrer dans une rivière à n’importe quel endroit.

Précisément; il est très important de se renseigner au préalable et de vérifier depuis la rive où se trouvent les points d’entrée et, plus important encore, les points de sortie. Ceux-ci sont souvent indiqués.

En Suisse, il existe également des cartes de natation disponibles en ligne sur lesquelles ces endroits sont indiqués. Il est également important de ne pas viser le dernier point de sortie, mais le premier, les points de sortie suivants devant être considérés comme une réserve de sécurité.

Il faut apprendre ces choses avant d’entrer dans l’eau. On acquiert cette expérience en suivant des nageurs expérimentés. Savoir nager ne suffit pas. Et il n’est absolument pas question, en tant que touriste, de s’aventurer dans une rivière sans expérience approfondie et sans connaissance de la région, ou simplement avec des collègues qui ont tout aussi peu d’expérience.

Peut-on se baigner dans une rivière comme l’Aar en toute saison?

La quantité d’eau, et donc la vitesse d’écoulement et la pression de l’eau, est un autre aspect important. Si le courant est trop fort et la pression de l’eau trop élevée, cela devient dangereux. Là encore, l’expérience compte. On peut s’informer sur les portails en ligne des stations de mesure, qui dispensent également des conseils et des astuces.

Il faut faire ces vérifications avant de se baigner. Mais si l’on n’est jamais allé dans une rivière auparavant, ces clarifications ne servent pas à grand-chose. Il faut alors se faire accompagner.

Contenu externe

À cela s’ajoute le danger des courants. Où peut-on apprendre à les gérer?

Il existe des offres dans certaines villes où l’on peut apprendre à le faire. Mais là aussi, il faut une approche prudente, minutieuse et sûre. Et cela ne se fait pas du jour au lendemain. Il faut y consacrer un peu de temps.

Lorsqu’on débute, il faut généralement éviter les sections à fort courant. Il est préférable de s’approcher lentement et de se familiariser avec les caractéristiques d’un cours d’eau. Avec suffisamment de pratique et de routine, il est alors possible de maîtriser les sections à fort courant avec un risque calculable.

La noyade d’Emmeril Kahn Mumtadz a suscité des critiques dans la presse indonésienne. Les rivières suisses sont-elles dangereuses en soi?

Je peux comprendre cette réaction d’un point de vue étranger, car dans peu de pays du monde, on nage dans les rivières comme en Suisse. Nager dans les rivières est une compétence culturelle qui s’est développée ici et qui est peu répandue dans le monde. Dans d’autres pays, on ne nagerait jamais dans les rivières; on les utilise simplement comme voies de transport.

D’un point de vue externe, on peut se demander pourquoi il est permis de nager dans les rivières. Mais la philosophie de la Société suisse de sauvetage est la prévention. C’est bien beau d’interdire, mais il y a quand même des noyades et des accidents. Notre approche est donc de renforcer les compétences de la population.

Cela ressemble à une approche typiquement suisse: on met l’accent sur la responsabilité individuelle; on accorde plus d’importance à la liberté de tous qu’aux risques de certains.

Exactement. Je constate régulièrement, en échangeant avec des collègues à l’étranger, que nous avons des priorités très différentes. Dans d’autres pays, la responsabilité est souvent déléguée à une tierce personne ou à l’État, par le biais d’une surveillance accrue ou d’interdictions.

En Suisse, nous mettons l’accent sur la prévention comportementale. Cette voie semble convenir à la Suisse. Le taux de noyade est faible en comparaison internationale.

Traduction de l’allemand: Olivier Pauchard

(Traduction de l’allemand: Olivier Pauchard)

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