Des perspectives suisses en 10 langues

Pourquoi Robert Mugabe menace la Suisse

Un enfant brandit le portrait de Mugabe lors d’une de ses visites à la campagne. A 87 ans, le président continue à tenir son pays d’une main de fer. Keystone

Privé de visa helvétique pour une partie de sa délégation attendue à Genève, le président zimbabwéen Mugabe menace de s’en prendre aux entreprises suisses installées sur son sol. Décryptage d’une offensive anti-occidentale.

Robert Mugabe est en colère contre la Suisse. Motif: la Confédération n’a pas accordé de visa à une partie de la délégation du Zimbabwe attendue à Telecom World – une conférence de l’Union internationale des télécommunications (UIT) qui vient de se tenir à Genève – dont son épouse, le ministre des Affaires étrangères ou le ministre des Télécommunications.

«Maintenant, ils (les Suisses, ndlr) montrent qu’ils sont vicieux et nous leur rendrons la pareille, car ils ont leurs propriétés ici. Nous ne sommes pas sans moyens pour rendre la pareille», menaçait le président zimbabwéen dans les colonnes du quotidien pro-gouvernemental The Herald lundi dernier.

Dans une réponse écrite à swissinfo.ch, le ministère suisse des Affaires étrangères (DFAE) se justifie: «Les décisions prises par la Suisse en matière de visas sont prises à la lumière du droit en vigueur et tiennent notamment compte des obligations de la Suisse en tant qu’Etat hôte de l’UIT. S’agissant d’une délégation officielle à une conférence tenue par une organisation internationale avec laquelle la Suisse a conclu un accord de siège, les questions qui peuvent éventuellement se poser dans ce contexte sont, si nécessaire, discutées avec l’organisation concernée. Dans ce contexte, la Suisse doit concilier ses obligations de droit international et les impératifs découlant des sanctions prises à l’égard de certaines personnes.»

Les cibles potentielles

Selon le DFAE, 284 Suisses dont 120 double-nationaux résidaient au Zimbabwe à la fin de l’année dernière. Le ministère précise qu’à sa connaissance, sept entreprises suisses sont présentes dans l’ancienne Rhodésie du Sud, dont Robert Mugabe a obtenu l’indépendance en 1980 avec son parti, le Zimbabwe African National Union.

La plus en vue est Nestlé Zimbabwe et son usine basée à Harare qui produit des soupes, du lait en poudre et des céréales pour le marché local. «Nestlé Zimbabwe n’a pas été approché par les autorités locales à ce sujet. Nous sommes en contact permanent avec les autorités suisses», précise par écrit à swissinfo.ch Chris Hogg, porte-parole du groupe agro-alimentaire.

L’année dernière, Nestlé Zimbabwe, comme d’autres multinationales, a été sommée de céder 51% de ses sociétés établies au Zimbabwe, au nom d’une politique d’indigénisation de l’économie.

«Nestlé Zimbabwe a présenté un plan relatif à l’indigénisation en novembre 2010. Nous avons également répondu à une lettre reçue de la part du ministère de l’Indigénisation le 18 aout 2011 et nous sommes en contact avec les autorités concernées à ce sujet depuis lors», détaille Chris Hogg.

Robert Mugabe cherche-t-il ainsi à accélérer une éventuelle nationalisation de l’usine Nestlé ? Interrogé par la presse locale, le porte-parole de Robert Mugabe s’est refusé à confirmer cette hypothèse, tout en déclarant: «Si vous ne voulez pas accueillir des visiteurs du Zimbabwe, pourquoi voulez-vous faire de l’argent au Zimbabwe?»

Grand connaisseur du continent africain qu’il a sillonné comme journaliste, Stephen Smith met en doute cette politique d’indigénisation. «Cette politique d’indigénisation est l’équivalent de l’invasion des terres des fermiers blancs lancée en 2000. Mais elle se heurte à des questions pratiques encore plus aigües qu’avec les fermes: comment les faire tourner sans les anciens propriétaires?»

Sus aux sanctions

Reste que depuis l’expropriation des fermiers blancs et des réactions ulcérées des pays occidentaux, Robert Mugabe se montre de plus en plus intraitable à leur égard, d’autant que l’Union européenne, puis la Suisse, ont adopté une série de sanctions il y a près de dix ans, pour cause de manipulations électorales et de répression sanglante.

Le procureur général du Zimbabwe vient d’ailleurs d’annoncer qu’il envisage de porter plainte contre l’Union Européenne pour les sanctions adoptées à l’encontre de son pays. «Nous avons bouclé le dossier et il nous manque seulement les documents nécessaires pour aller en Europe», assure le procureur Johannes Tomana au quotidien Herald.

S’agit-il là de gesticulations d’un président (87 ans) et d’un régime en bout de course, isolés par la communauté internationale ? Tout au contraire, estime Stephen Smith. «Les déclarations tonitruantes et les résolutions de la communauté internationale à l’encontre du régime n’ont pas eu beaucoup d’effet.»

Une main de fer

«Avec ses forces de sécurité, il tient le pays d’une main de fer, poursuit-il. Ce qui arrive aux Occidentaux n’est rien qu’une fraction du régime de terreur que subissent les Zimbabwéens ces dernières années.»

Officiellement, le pays est conduit par un gouvernement d’union nationale, résultat d’une négociation avec l’opposant Morgan Tswangirai sous l’égide de l’Afrique du Sud. «Ce gouvernement n’a pas de pouvoir réel. De plus, Robert Mugabe cherche à provoquer des élections anticipées pour se débarrasser de Tswangirai. Ce scrutin pourrait se tenir durant le 1er semestre 2012 et son résultat ne fait guère de doute. Robert Mugabe n’aura même plus besoin de faire semblant de partager le pouvoir», estime Stephen Smith.

En outre, son isolement diplomatique est tout relatif. Toujours considéré comme un libérateur et un résistant aux anciennes puissances coloniales par ses pairs africains, Robert Mugabe profite aussi de l’attrait économique croissant pour l’ensemble du continent.

«Robert Mugabe a déclaré il y a quelques années: ‘nous allons nous détourner de l’ouest où le soleil se couche pour nous tourner vers l’est ou le soleil se lève’, rappelle Stephen Smith. Le Zimbabwe n’entend pas se limiter à la Chine et les partenaires possibles sont nombreux avec une nouvelle ruée vers l’Afrique de plusieurs pays intermédiaires, comme la Turquie ou la Corée du Sud. S’il a une possibilité de nationaliser les entreprises occidentales pour offrir le même créneau à un partenaire plus complaisant, il n’hésitera sans doute pas.»

Plus de la moitié de la population zimbabwéenne dépend d’une aide alimentaire.

94% des Zimbabwéennes et Zimbabwéens sont sans emploi.

L’espérance de vie dépasse à peine 40 ans.

Le Zimbabwe compte un million d’orphelins du SIDA.

 

(Source: DDC, agence suisse de coopération au développement)

«Mugabe n’est pas tout seul. Il y a aussi le parti qu’il a créé pour libérer le pays. Ce parti (ZANU) estime que le Zimbabwe lui appartient.

 

L’ANC en Afrique du Sud est en train de suivre la même voie. Dans ces deux pays se pose la question suivante: comment se libérer des libérateurs pour accéder à une vraie démocratie ?

 

Mais pour l’heure, la population du Zimbabwe, comme les chancelleries occidentales se demandent surtout: quand ce président de 87 ans va-t-il mourir ?»

Stephen Smith à swissinfo.ch

En conformité avec les normes du JTI

Plus: SWI swissinfo.ch certifiée par la Journalism Trust Initiative

Vous pouvez trouver un aperçu des conversations en cours avec nos journalistes ici. Rejoignez-nous !

Si vous souhaitez entamer une conversation sur un sujet abordé dans cet article ou si vous voulez signaler des erreurs factuelles, envoyez-nous un courriel à french@swissinfo.ch.

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision