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Les hauts et les bas d’un centre d’injection sécurisé

Drug material
Les instruments fournis aux toxicomanes dans le nouveau centre d'injection sécurisé de Lausanne. Keystone

L'approche pragmatique adoptée par la Suisse face aux toxicomanies est souvent considérée comme un modèle. Une politique de santé qui inclut les centres d'injection supervisés. Il en existe dans 8 villes depuis plus de 30 ans. Cependant, l’ouverture de telles installations pose de nombreuses difficultés, comme l’a montré un nouveau centre ouvert à Lausanne, sur les bords du lac Léman.

À la réception du nouveau centre d’injection de Lausanne, des bacs en plastique blanc sont à disposition. On y trouve la panoplie d’accessoires familiers des toxicomanes, comme des feuilles de papier d’aluminium, des seringues ou des pipes à crack.

Le centre dispose aussi d’un espace d’injection constitué de quatre bureaux et de chaises, d’un espace inhalation autour d’une table circulaire en métal, d’une salle pour sniffer les drogues en poudre et d’un espace pour les soins médicaux.

Le conseiller municipal Oscar TosatoLien externe, en charge de la cohésion sociale et des sports, s’est fortement engagé pour ce projet pilote de 4 millions de francs. Il souligne que le centre, qui a ouvert ses portes le 1er octobre, était l’élément manquant à Lausanne des services consacrés aux toxicomanes. Il est certain que ce local sécurisé aidera les utilisateurs dépendants et en difficulté à s’en sortir, tout en réduisant les nuisances du trafic de drogue en ville.

«Aujourd’hui, les drogues sont consommées en public, dans les toilettes, dans la forêt ou dans les cours des bâtiments. Ici, les gens peuvent trouver du matériel stérile et du personnel qualifié», relève l’élu.

View inside drug injection centre
L’espace dédié aux injections. KEYSTONE/Cyril Zingaro

Ouvert tous les jours de 12h à 19h, le centre est supervisé par quatre personnes, accompagnées d’un gardien. Quelque 100 à 150 toxicomanes sont attendus chaque jour. 

Le centre est discrètement installé dans le quartier du Vallon, au cœur de la capitale vaudoise, dans les locaux de la Fondation Accueil à bas seuil (ABSLien externe), qui depuis 1999 fournit de l’aide et des services aux personnes sans abri, alcooliques ou toxicomanes.

Vallon district Lausanne
Le local sécurisé est située dans un immeuble rose (à droite) dans le quartier du Vallon. swissinfo.ch

Lausanne rejoint ainsi 8 autres villes dotées de salles d’injection sécurisées (Berne, Zurich, Bâle, Bienne, Genève, Lucerne, Soleure et Schaffhouse). Ces établissements s’inscrivent dans la stratégie suisse en matière de drogue qui comporte quatre volets – prévention, traitement, limitation des dommages et répression – longtemps citée comme un modèle novateur et humain. Cette politique pragmatique, introduite en 1991, a fait suite à la crise engendrée par la scène ouverte de la drogueLien externe des années 1980 et 1990 à Zurich, la plus grande ville de Suisse et sa capitale économique.

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Initiatrice de cette politique suisse à l’époque, Ruth Dreifuss souligne: «Les centres d’injection de drogue représentent le premier niveau d’intervention, car ils permettent un certain contact avec ces personnes et le rétablissement de leur dignité.» Aujourd’hui, l’ancienne ministre suisse présideLien externe la Commission globale de politique en matière de drogues (Global Commission on Drug Policy).

Cela dit, la genèse du centre de Lausanne a engendré une longue bataille pour les organisateurs. Une première tentative de créer en tel centre a été rejetée en votations il y a 11 ans.  Après ce verdict des urnes en 2007, Oscar Tosato et ses collègues ont remis l’ouvrage sur le métier. Ils ont collecté les enseignements tirés à Genève, Bienne et Zurich, trouvé un partenaire engagé dans l’aide aux personnes souffrant de dépendance aux drogues, surmonté les nombreux obstacles administratifs et la résistance à un tel projet. 

«Dans les années 1990, la Suisse alémanique a été contrainte de trouver rapidement des solutions efficaces. Ces canton ont une force: culturellement, ils sont très pragmatiques», a déclaré au journal Le Courrier Mathieu Rouèche, directeur de l’ABS.

A Lausanne, il a fallu plusieurs années pour convaincre les décideurs et la population des valeurs de la réduction des risques et de sa cohérence avec les autres piliers de la politique suisse en matière de drogue, a-t-il également expliqué.

Sur le plan politique, le centre-droit a lentement reconnu l’utilité du projet. Le conseil municipal et le parlement du canton de Vaud l’ont finalement approuvé l’année dernière. Les opposants ont alors abandonné l’idée d’un deuxième référendum.

Drug material distributed at the injection centre reception in Lausanne.
Les bacs à disposition des usagers. swissinfo.ch

Quel impact?

Depuis, une pression énorme est venue d’une partie au moins des habitants. Pendant des années, le centre-ville de Lausanne, en particulier la place de la Riponne, était le point de rencontre de certains des utilisateurs les plus vulnérables. 

Vaud-Lausanne

3500 consommateurs d’héroïne dans le canton de Vaud (780’000 habitants), dont 2000 en programme de substitution à l’héroïne. La cocaïne est plus populaire: plus de 16’000 Vaudois en consomment, soit 2,5% de la population locale. Vingt pour cent sont des consommateurs réguliers de cocaïne, y compris des toxicomanes.

Cette scène visible de la drogue, les relations tendues entre résidents, dealers et utilisateurs ont suscité la controverse et des demandes d’action.

Anaya, une coiffeuse qui travaille dans le Vallon, déclare que les résidents de longue date en avaient marre de «voir des gens à moitié bourré», des seringues et du matériel de drogue jonchant les rues et que leurs enfants «ne pouvaient pas grandir normalement».

Oscar Tosato insiste sur le fait que les habitants du Vallon ont été largement consultés pour la nouvelle salle d’injection et continueront à être informés régulièrement. Une présence policière renforcée est également en place.

Anaya assure que la plupart des habitants considèrent le centre comme un développement positif mais attendent pour mesurer son impact.

The inhalation space in Lausanne
The “inhalation space” in Lausanne KEYSTONE/Cyril Zingaro

Françoise Longchamp, trésorière de l’Association romande contre la drogue (ARCDLien externe), reste opposée à un tel centre: «Cela ne changera pas grand-chose en terme de transaction, car certains dealers se rapprochent à nouveau du centre pour trouver leurs clients. Et je ne pense pas qu’un tel centre aidera les toxicomanes. Cela les maintiendra simplement dans un état de dépendance et ne les aidera pas à en voir la fin.»

De son coté, Jean-Félix Savary, secrétaire général du Groupe d’études francophones sur la toxicomanie (GREALien externe), prévient que le nouveau centre ne résoudra pas tous les problèmes de toxicomanie à Lausanne.

«Il n’aura que peu d’effet sur le marché de la drogue et sur la présence des personnes sur l’espace public. Par contre, s’il fonctionne bien, la cohabitation sera meilleure et il n’y aura presque plus d’injections sauvages», a-t-il déclaré au journal 24heures.

Traduit de l’anglais par Frédéric Burnand

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