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Procès contre le nationaliste turc Perincek

Dogu Perincek, chef du Parti des travailleurs turcs, à Renens le 5 mars 2007. Keystone

Mardi à Lausanne, Dogu Perincek répond d'atteinte à la norme pénale antiraciste pour avoir nié à plusieurs reprises le génocide arménien par la Turquie.

Ce procès délicat pour les relations entre Berne et Ankara s’est ouvert dans le calme à Lausanne, attirant quelque 200 partisans de l’historien et président du Parti des travailleurs turc.

«Je fais confiance à la justice suisse», a déclaré Dogu Perincek lundi à la presse, en précisant qu’il ne s’attendait pas à être condamné lors de ce procès de deux jours.

Le leader nationaliste de gauche comparaît pour avoir nié le génocide arménien de 1915 dans plusieurs discours prononcés en 2005 en Suisse, à l’occasion de la commémoration du Traité de Lausanne, qui a délimité les frontières de la Turquie moderne en 1923.

L’éventuelle condamnation de Dogu Perinçek, 65 ans, serait une première judiciaire. En 2001, la justice bernoise a acquitté douze Turcs qui comparaissaient pour négation du génocide arménien.

Massacre et non génocide

«Il n’y a pas eu de génocide arménien», avait déclaré Dogu Perincek, mais des massacres commis contre des Arméniens qui servaient les intérêts des grandes puissances souhaitant se partager la Turquie durant la 1re Guerre mondiale.

Cette position, qui est aussi celle des autorités turques, est contestée en Suisse, où le Parlement fédéral ainsi que les Parlements genevois et vaudois ont reconnu l’existence du génocide, à l’instar d’autres pays.

L’Association Suisse-Arménie s’est constituée partie civile et l’enquête ouverte en Suisse contre le politicien turc pour violation de la norme pénale contre le racisme a fâché la Turquie. Au point que les ministres Joseph Deiss et Micheline Calmy-Rey avaient dû annuler leur visite à Ankara.

Aquittement demandé

M. Perinçek est arrivé dimanche en Suisse, où il a été accueilli par une cinquantaine de sympathisants venus manifester pour défendre la Turquie «calomniée».

L’historien a amené avec lui de volumineuses archives russes qui prouveraient ses dires. Selon lui, le génocide est l’invention des services secrets des grandes puissances durant la Première guerre mondiale. Il est aujourd’hui l’instrument de propagande des Etats-Unis contre la Turquie.

Lundi il a encore déclaré que le génocide était un «mensonge international». «Je ne suis pas un nationaliste, je ne suis pas un raciste, je suis un patriote anti-impérialiste», a-t-il lancé.

Le politicien de 65 ans plaidera l’acquittement et ne s’attend pas à être condamné. Il a constaté «une évolution positive en Suisse» sur la question du génocide arménien. Il faisait référence aux déclarations du conseiller fédéral Christoph Blocher en octobre dernier.

La norme pénale en question

M. Blocher s’était rendu à Ankara pour le 80e anniversaire de l’entrée en vigueur du code civil turc, largement inspiré du code civil suisse. Lors de cette visite, le ministre suisse avait critiqué la norme pénale antiraciste.

Il avait regretté que ce texte, entré en vigueur en 1995, ait conduit à une enquête contre l’historien turc Yusuf Halacoglu pour ses propos sur le génocide arménien, dans un discours à Winterthur en 2004. Il avait suscité la controverse en Suisse en déclarant qu’il fallait réviser la norme pénale antiraciste.

Le ministre de la justice et de la police a rencontré le week-end dernier son homologue turc Cemil Cicek, la première du genre en Suisse, où vivent plus de 100’000 personnes d’origine turque. Mais le procès n’a pas fait l’objet de discussions officielles entre les deux ministres, a précisé le porte-parole du Département de Justice et Police.

Nombreux partisans

Dogu Perincek est également d’avis qu’il faut abolir la norme pénale. «C’est très important pour l’amitié entre la Suisse et la Turquie». Selon lui, cette loi revient en effet à interdire la liberté d’expression, ce qui est indigne des valeurs démocratiques.

Le politicien turc a annoncé l’arrivée de «plusieurs centaines» de partisans à Lausanne, des recteurs d’Université, des historiens, des généraux à la retraite notamment, venus de Turquie et d’Allemagne.

Mardi matin, il fallait montrer patte blanche pour pénétrer dans la salle du Tribunal de police et les personnes se présentant comme des journalistes turcs non accrédités n’ont pas été autorisés à entrer.

Un périmètre de sécurité et des barrières ont été mis en place aux abords immédiats du Tribunal. Plusieurs dizaines de policiers étaient présents, mais le procès a commencé dans le calme.

Quelque 200 militants ont manifesté silencieusement sur la place de la Riponne, munis de drapeaux turcs et d’écharpes rouges avant de se disperser.

swissinfo et les agences

Dogu Perincek, président du Parti des travailleurs turc, doit répondre d’atteinte à la norme pénale antiraciste. En été 2005, il avait prononcé des discours dans les cantons de Vaud, Zurich et Berne sur la question arménienne et déclaré que le génocide arménien de 1915 était un «massacre».

En Suisse, le Conseil national ainsi que les parlements genevois et vaudois ont reconnu le génocide arménien, ce qui a provoqué des tensions diplomatiques entre la Suisse et la Turquie.

La norme pénale antiraciste a été approuvée à 54,7% des voix lors d’une votation populaire en 1994.

Depuis le 1er janvier 1995, l’article 261bis CP interdit la discrimination et l’atteinte à la dignité d’une personne ou d’un groupe de personnes en raison de leur appartenance raciale, ethnique ou religieuse. L’article rend notamment punissable le négationnisme.

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