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Diesel polluant en Afrique: les négociants suisses pointés du doigt

Pompe à essence à Monrovia au Libéria. Keystone

Public Eye a publié jeudi un rapport dénonçant la vente par des entreprises suisses de carburant à haute teneur en soufre. Une pratique illégitime, selon l’ONG suisse. Produit en Europe, ce carburant aux normes en vigueur localement est vendu dans l'ouest de l’Afrique. C’est un rapport biaisé, répliquent certaines des entreprises visées.

Alors que ces carburants sont interdits en Europe car très polluants et cancérigènes, ils sont largement vendus sur toute la chaîne d’approvisionnement de l’Afrique de l’Ouest, a indiqué jeudi devant la presse Public Eye, anciennement connu sous le nom de Déclaration de Berne.

Les négociants suisses Vitol, Trafigura ou encore Addax & Oryx sont pointés du doigt par le rapport de 160 pages, intitulé “Dirty diesel”Lien externe. Une pétition lancée par l’ONG demande que Trafigura, dont le siège est à Lucerne, s’engage à ne vendre que des carburants conformes au standard européen partout dans le monde.

Des villes africaines plus polluées qu’en Chine

L’ONG basée à Lausanne a récolté des échantillons de carburant prélevés à la pompe dans huit pays africains. «Les résultats sont choquants, ce qui est importé est un scandale», a lancé devant la presse Andreas Missbach, coresponsable du secteur matières premières, commerce et finances de Public Eye.

Les carburants analysés présentent jusqu’à 378 fois plus de soufre que la teneur autorisée en Europe. En moyenne, deux tiers des échantillons dépassent de plus de 150 fois la limite européenne sur le soufre. Le maximum de concentration a été détecté au Mali, dans une station de pompage d’Addax & Oryx.

Les échantillons ont encore montré la présence d’autres substances très nocives, comme du benzène ainsi que des aromatiques polycycliques, à des niveaux interdits en Europe. Les pays africains exportant vers l’Europe «du pétrole brut d’excellente qualité, reçoivent ainsi en retour des carburants toxiques», dénonce Public Eye.

Selon les projections de l’International coucil on clean transportation (ICCT), en 2030, la pollution de l’air liée au trafic routier causera trois fois plus de décès prématurés en Afrique que dans toute l’Europe, les Etats-Unis et le Japon réunis. «La qualité de l’air est pire à Dakar et Lagos qu’à Pékin», martèle le rapport.

Pollution de l’air aux particules fines dans certaines villes asiatiques, africaines et européennes. Public Eye

Trafigura suit les règlements locaux

Trafigura a expliqué à l’agence ats qu’il est actif sur plusieurs marchés en Afrique et que, dans chacun d’eux, il respecte les règlements en vigueur. De plus, la firme a précisé qu’une entreprise seule n’est pas en mesure d’échapper aux règles du marché.

Les valeurs élevées en soufre constatées dans les carburants et qui varient d’un pays à l’autre doivent être légiférées par les gouvernements et non par les entreprises actives sur ces marchés, assure sa porte-parole.

Trafigura a encore indiqué qu’il soutient les efforts de la Société africaine de raffinage (SAR) afin de diminuer la teneur en soufre des carburants sur les marchés africains.

Vitol a également répliqué en accusant Public Eye d’obtenir certains de ses faits sur de mauvaises bases, en particulier le rôle prêté aux négociants de décider de la qualité des carburants qui sont exportés vers l’Afrique. L’entreprise a également déclaré que sa relation avec une entreprise partenaire avait été déformée. Vitol a affirmé avoir pris au sérieux ses responsabilités en matière de santé et de sécurité.

«En Afrique, ce sont les gouvernements qui contrôlent et gèrent l’importation de carburants. Eux seuls sont en mesure de déterminer les normes pour le carburant utilisé localement», a déclaré Vitol dans un communiqué. «Vitol ne contrôle pas la chaîne d’approvisionnement, dans laquelle le produit de divers fournisseurs, y compris les grandes compagnies pétrolières, est mélangé. Vitol est donc incapable de déterminer la qualité du carburant vendu à la pompe.»

Responsabilités globales

Pour Andreas Missbach, «les entreprises suisses sont responsables dans ce commerce effectué avec l’Afrique qui est légal, mais illégitime».

De fait, les gouvernements africains n’ont pas les mêmes standards en ce qui concerne la qualité du carburant que ceux d’Europe. «C’est une question de conscience, explique Benjamin Boakye, directeur exécutif adjoint de l’Africa center for energy policy (ACEP) Ghana. Or la conscience que ces carburants sont toxiques est en train venir.»

«Nous voulons rappeler à ces compagnies que le commerce ne concerne pas seulement l’argent, mais aussi des vies humaines et que l’Afrique est autant précieuse que l’Europe», souligne Benjamin Boakye.

La Suisse poussée à agir

Public Eye propose d’agir sur plusieurs niveaux pour mettre un terme «au commerce injuste de carburants toxiques». Les gouvernements africains devraient fixer un seuil maximal de soufre et réguler les autres substances. Quant aux gouvernements occidentaux, ils devraient interdire l’exportation de carburants trop dangereux pour la santé.

En ce qui concerne les négociants, l’ONG demande qu’ils arrêtent «de profiter de la faiblesse des normes dans certains pays» et qu’ils vendent partout un carburant à faible teneur en soufre.

Public Eye demande aussi au gouvernement suisse de faire «preuve de diligence en matière de droits humains et de protection de l’environnement.»

En 2013, le gouvernement suisse a rejeté la nécessité de nouvelles règles contraignantes pour ce secteur économique, en disant que les règles internationales régissant le commerce des produits de base s’étaient suffisamment renforcées pour que les négociants basés en Suisse s’autorégulent.

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