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Rapt d’un Suisse à Cuernavaca

Le Suisse enlevé à Cuernavaca avait monté un petit commerce de montres. Patrick John Buffe

L’enlèvement à Cuernavaca d’un chef d’entreprise suisse s’inscrit dans un contexte de violence et d’insécurité engendrées par une guerre entre deux cartels de la drogue. Malgré la situation que connaît cette ville mexicaine, ses habitants tentent de vivre aussi normalement que possible.

Voilà un mois déjà qu’un ressortissant suisse est aux mains de ses ravisseurs. L’ambassade de Suisse au Mexique a confirmé à swissinfo.ch «un cas d’enlèvement».

Son conseiller politique, Mirko Giulietti, a précisé que la représentation diplomatique est «en contact permanent avec la famille, ainsi qu’avec les autorités policières et judiciaires aussi bien fédérales que de l’Etat de Morelos», le but étant qu’elles continuent à suivre cette affaire de kidnapping comme il y en a tant!

Car s’il s’agit du premier cas d’enlèvement d’un Suisse au Mexique depuis longtemps, il n’en va pas de même pour les Mexicains. Ils sont confrontés depuis plusieurs années déjà à ce fléau qui a pris un essor inattendu. Il va de pair avec l’augmentation de la violence liée au trafic de drogue qui prévaut dans une grande partie du Mexique depuis 2007.

Cette situation est la conséquence de la politique menée par le président Felipe Calderon. Dès qu’il a assumé le pouvoir il y a quatre ans, il a déclaré la guerre aux narcotrafiquants. Cette offensive a provoqué de profondes divisions au sein des cartels de la drogue, qui ont commencé à se battre entre eux pour s’emparer des territoires contrôlés par les bandes rivales.

Une région rattrapée par la violence

 

Jusqu’à fin 2008, Cuernavaca avait échappé à cette vague de violence. Elle était restée une paisible ville de villégiature, fréquentée par des étudiants étrangers venus y apprendre l’espagnol et visitée le week-end par les habitants de Mexico.

Personne n’imaginait qu’un jour la «cité de l’éternel printemps», située à 80 kilomètres au sud de la capitale, deviendrait elle aussi la proie d’une lutte féroce entre narcotrafiquants. Tout le monde pensait que la violence resterait cantonnée dans le nord du pays, à la frontière avec les Etats-Unis.

Mais à partir de 2009, les autorités ont commencé à détecter dans la ville et ses environs la présence de narcotrafiquants. En décembre de la même année, Arturo Beltran Leyva, leader d’un important cartel de la drogue, était abattu par les forces spéciales de la Marine mexicaine dans un luxueux complexe résidentiel situé au nord de la ville. Sa mort allait mettre le feu aux poudres !

 

Scission du cartel

 

Sa disparition a immédiatement provoqué une scission de ce cartel en deux bandes qui ont initié une lutte sanglante pour contrôler la distribution, la vente et l’acheminement de la drogue du port d’Acapulco à Mexico.

C’est ainsi qu’en 2010, l’Etat de Morelos et sa capitale Cuernavaca ont enregistré plus de 300 homicides et exécutions sommaires liés au trafic de drogue et au crime organisé. Un chiffre qui pourrait également inclure un certain nombre de crimes perpétrés par des Mexicains qui recourent à la violence par imitation, sachant qu’ils ne seront pas inquiétés, vu l’impunité et la corruption qui règnent dans le pays.

Une vie plus ou moins normale

 

La présence de trafiquants de drogue à Cuernavaca a eu des conséquences sur la vie quotidienne de ses habitants. Lorsqu’ils se déplacent en voiture, ils sont souvent confrontés aux barrages de l’armée ou de la police.

Il est même arrivé qu’ils soient soumis aux pressions des narcotrafiquants. En mars dernier, en décrétant un couvre-feu qu’ils ont annoncé par courriel ou par des messages sur Facebook ou Twitter, les pistoleros ont réussi à contraindre la population à ne pas sortir le soir par crainte de se trouver prise entre deux feux.

Néanmoins, les habitants de Cuernavaca tout comme  les résidents suisses ne sont que rarement les témoins directs ou les victimes de cette violence dont ils prennent connaissance avant tout à travers des médias trop souvent sensationnalistes.

C’est donc dans ce contexte que s’est  produit l’enlèvement d’un industriel jurassien qui vit au Mexique depuis plus de vingt ans. Cet événement dramatique ne semble pourtant pas avoir créé un vent de panique chez les Suisses qui résident dans cette ville.

Pour l’un d’entre eux, qui est quotidiennement en relation avec ses compatriotes, il s’agit là «d’un cas isolé qui ne constitue pas un motif de réelle préoccupation, même si l’on en parle entre nous».

Pour la plupart d’entre eux, la vie continue plus ou moins normalement. Ce qui ne les empêche pas de prendre leurs précautions. Mais ce n’est pas une nouveauté ni pour ceux qui résident depuis plusieurs années à Cuernavaca, puisque dans les années 1990 déjà, cette cité-jardin avait été victime d’une vague d’enlèvements sans précédent. Et si leur nombre a diminué au début des années 2000, les kidnappings n’ont en réalité jamais vraiment cessé.

 

L’industrie des enlèvements

 

En revanche, ce phénomène a connu récemment une croissance exponentielle, non seulement dans l’Etat de Morelos mais dans l’ensemble du pays. Durant les quatre dernières années, il aurait augmenté de 200%, selon des sources gouvernementales.

Officiellement, les autorités ont dénombré 1140 kidnappings en 2010. Un chiffre bien en-deçà de la réalité, puisque dans 80% des cas, ils ne sont pas dénoncés. Ce qui fait dire à Eduardo Gallo, directeur de l’ONG Le Mexique uni contre la délinquance, qu’«il y aurait quelques 10’000 enlèvements par année au Mexique». Sans compter les enlèvements express. Une modalité qui vise à séquestrer durant quelques heures ou quelques jours une personne, quelle qu’elle soit, pour vider son appartement ou ses comptes en faisant le tour des bancomats!

Outre la violence engendrée par les trafiquants de drogue, les enlèvements, les attaques à main armée et les extorsions aux particuliers et aux commerçants ont fortement augmenté durant les quatre premières années du sexennat du président mexicain Felipe Calderon dont le mandat s’achève en 2012.

Face à cette recrudescence de la délinquance, notamment des kidnappings, les chefs d’entreprises doivent prendre des mesures de sécurité telles que le blindage de leurs voitures, l’engagement de gardes du corps pour eux et leurs familles et le recours à des services  de sécurité privée pour leurs entreprises.

La Concamin, la Confédération des Chambres industrielles du Mexique, assure qu’en une année, chaque Mexicain destine en moyenne 800 francs suisses à sa sécurité, soit au total un chiffre équivalent à 7% du PIB national.

Capitale de l’Etat de Morelos, Cuernavaca compte quelque 350’000 habitants; mais ils sont plus de 700’000 à y vivre si l’on inclut sa grande banlieue.

Quelque 5200 citoyens suisses vivent au Mexique, la moitié dans la capitale Mexico et ses environs; dans l’Etat de Morelos vivent quelques 200 ressortissants suisses, principalement dans les villes de Cuernavaca et Cuautla.

Durant les quatre dernières années, les affrontements quotidiens entre forces de sécurité et narcotrafiquants et entre les cartels eux-mêmes ont provoqué la mort de plus de 34’000 personnes, selon le Conseil de Sécurité Nationale mexicain; depuis le début du sexennat du président Calderon.

2010 a été l’année la plus violente avec 15’273 homicides liés au crime organisé, soit 58% de plus qu’en 2009.

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