Des perspectives suisses en 10 langues

Reconnaissance du Kosovo: «Erreur diplomatique?»

Des Serbes manifestent en 2008 sur la Place fédérale de Berne contre la reconnaissance de l'indépendance du Kosovo par la Suisse. Keystone

Dans son rapport dénonçant les trafics d’organe au Kosovo, Dick Marty adresse également de sérieuses critiques à la communauté internationale. Quelle responsabilité porte la Suisse, l’un des premiers pays à avoir reconnu l’indépendance du Kosovo?

L’Union européenne, les Etats-Unis et l’ONU étaient au courant des agissements de l’Armée de Libération du Kosovo (UCK) durant les années 1999 et 2000. Mais ils auraient fermé les yeux, désireux de préserver la stabilité du jeune Etat. Ces accusations figurent dans le rapport du sénateur tessinois Dick Marty, rendu public jeudi à Paris.

Un rapport qui pointe la co-responsabilité de la communauté internationale dans cette affaire. «Ce qui m’a profondément choqué, c’est que les faits décrits dans ce rapport étaient connus par de très nombreuses personnes. Il faut mettre un terme à cette hypocrisie», a ainsi affirmé Dick Marty.

Selon le rapporteur spécial du Conseil de l’Europe, le soutien diplomatique et politique des Etats-Unis et d’autres pays européens ont donné l’impression au chef du gouvernement kosovar, Hashim Thaci, d’être intouchable après la fin de la guerre au Kosovo.

De plus, la guerre a été réduite à une sorte de représentation manichéenne, avec d’un côté des bourreaux serbes et de l’autre des victimes kosovares, alors que la réalité était bien plus complexe, a expliqué Dick Marty.

«Absolution des criminels albanais» 

La Suisse, l’un des premiers Etats à avoir reconnu l’indépendance du Kosovo, figure en première ligne des pays accusés d’aveuglement face aux activités criminels mises en place par Hashim Thaci et l’UCK. Et depuis deux jours, des politiciens et éditorialistes s’élèvent pour dénoncer la position unilatérale adoptée par la Suisse à la suite de la guerre d’indépendance du Kosovo à la fin des années ‘90.

Le quotidien genevois Le Temps estime ainsi que «La Suisse, qui a été l’une des premières à reconnaître l’indépendance du Kosovo, a suivi – voire inspiré – ce mouvement de quasi absolution des criminels albanais». Et de s’interroger: «Comment un pays d’habitude si prudent et si attentif aux droits humains a-t-il pu se montrer si partial?»

Particulièrement pointée du doigt, la ministre suisse des Affaires étrangères Micheline Calmy-Rey, qui, rappelle le quotidien vaudois 24 heures, «était une militante convaincue de l’indépendance du Kosovo et la deuxième ministre à se rendre à Pristina pour inaugurer une ambassade».

Les liens étroits tissés entre la ministre des affaires étrangères et l’UCK est lourde de responsabilité, estime encore Le Temps: «Micheline Calmy-Rey pourra-t-elle encore serrer la main d’Hashim Thaci comme elle l’a fait en mars 2008 lors de l’inauguration de l’ambassade à Pristina?».

Hasard malheureux du calendrier, rappellent plusieurs journaux, Micheline Calmy-Rey doit se voir remettre la semaine prochaine à Berne un prix décerné par la diaspora pour son engagement en faveur de la paix et de l’indépendance du Kosovo.

«Une grave erreur»

Certains politiciens suisses se montrent également très durs envers la diplomatie suisse. «La reconnaissance du Kosovo par la Suisse était une grave erreur diplomatique», a affirmé le député démocrate du centre (UDC / droite conservatrice) Christoph Mörgeli à Blick.

Le député écologiste zougois Jo Lang estime pour sa part dans le Tages-Anzeiger que ces accusations prouvent la nécessité de retirer les troupes suisses du Kosovo. Actuellement, près de 200 soldats sont engagés au sein de la Swisscoy, qui participe depuis 1999 à la mission internationale de soutien de la paix au Kosovo (KFOR).

Sans répondre directement aux reproches adressés par Dick Marty à la communauté internationale, le département des Affaires étrangères (DFAE) souligne que les accusations de Dick Marty constituent «plutôt un argument» pour poursuivre l’engagement de la Suisse au Kosovo, qui a notamment pour objectif de renforcer le Kosovo comme Etat de droit. 

Le président du Parti socialiste, Christian Levrat, défend quant à lui directement sa ministre dans la presse: «Micheline Calmy-Rey s’est engagée pour un pays et non pour un gouvernement. Il serait faux de sanctionner l’Etat du Kosovo pour les agissements des membres de son gouvernement.»

«Un réseau criminel en mains»

Mais pourquoi la communauté internationale s’est-elle appuyée sur des personnes comme Hashim Thaci, malgré de précédentes accusations portées à son encontre? Pour Jens Reuter, spécialiste allemand des Balkans interrogé par la radio alémanique DRS, la communauté internationale pensait qu’Hacim Thaci était une valeur sûre, quels qu’aient été ses antécédents.

«Lorsque quelqu’un est positionné tout en haut de la hiérarchie politique et qu’il possède en même temps dans ses mains le réseau criminel du pays, on peut sans se tromper affirmer qu’il est capable de tenir ses promesses».

Jens Reuter ne va toutefois pas jusqu’à affirmer que la communauté internationale a ignoré consciemment après la fin de la guerre ces structures mafieuses, dans le seul but de stabiliser le pays. Selon lui, «la communauté internationale se sentait responsable pour la sécurité au Kosovo, et donc d’empêcher si possible la résurgence de tensions ethniques». C’est pourquoi elle aurait manqué de temps et de force pour lutter contre ces structures criminelles.

Et pour Jens Reuter, il est également de notoriété publique que les procureurs et les juges kosovars sont pour une partie corrompus et pour l’autre partie intimidés par le pouvoir en place: «Ils ne se risquent pas à agir contre les criminels. Thaci semble en ce moment irremplaçable».

Après la Seconde Guerre mondiale, la province du Kosovo a bénéficié d’un statut d’autonomie. Ce statut a été ancré en 1974 dans la Constitution de la Fédération yougoslave.

En 1989, le président serbe Slobodan Milosevic annule le statut d’autonomie et envoie l’armée au Kosovo pour faire cesser les protestations.

En 1998, des dizaines de milliers de Kosovars abandonnent leur maison suite à une offensive menée par Belgrade contre l’Armée de libération du Kosovo (UCK).

En 1999, l’OTAN lance une série de bombardements aériens contre la Serbie pour mettre fin au conflit entre les forces serbes et les indépendantistes albanophones. Après deux mois et demi de bombardements, 50’000 soldats de l’OTAN sont stationnés au Kosovo. La province est placée sous l’administration des Nations Unies.

En 2007, le leader séparatiste Hashim Thaci remporte les élections parlementaires et annonce que l’indépendance du Kosovo sera prochainement proclamée.

Le 17 février 2008

le parlement du Kosovo proclame l’indépendance. La Suisse la reconnaît dix jours plus tard.

En conformité avec les normes du JTI

Plus: SWI swissinfo.ch certifiée par la Journalism Trust Initiative

Vous pouvez trouver un aperçu des conversations en cours avec nos journalistes ici. Rejoignez-nous !

Si vous souhaitez entamer une conversation sur un sujet abordé dans cet article ou si vous voulez signaler des erreurs factuelles, envoyez-nous un courriel à french@swissinfo.ch.

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision