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Regards alémaniques croisés sur la campagne électorale

Regard original et artistique sur une campagne électorale très vive agent-provocateur.ch

A dix jours des élections fédérales, les bilans deviennent possibles. Quatre interlocuteurs de Suisse alémanique analysent les semaines écoulées.

Ces personnalités s’accordent sur la nouveauté de l’enjeu gouvernemental et sur l’omniprésence d’un certain parti…

L’Université de Zurich confirme ce que tous les observateurs savent empiriquement: les médias parlent essentiellement de l’Union démocratique du centre (Droite nationaliste – UDC) et de leurs deux «patrons», Christoph Blocher et Ueli Maurer. Sur quelque 40 personnalités politiques, les deux Zurichois attirent 40% de l’attention médiatique, a rapporté le quotidien alémanique NZZ vendredi dernier.

Pas étonnant donc que les interlocuteurs interrogés sur la campagne qui s’achève évoquent l’UDC, même sans être directement interpellés à son sujet. C’est le parti qui détermine les sujets et l’agenda et tous les efforts de ses opposants pour y résister ont semblé bien vains jusqu’ici.

Le point de vue de l’artiste

Johannes Gees, artiste saint-gallois établi à Zurich, s’est fait remarquer cet été par une installation imitant l’appel du muezzin du haut de clochers bien chrétiens. Il aussi réalisé un readymade, «Das Minarett», qui est une reproduction des gabarits originaux du projet de minaret de Langenthal.

Bref: Johannes Gees est coutumier de l’intervention sur le discours politique. Mais cette campagne électorale s’est pourtant, à ses yeux, révélée très décevante.

«Il y a seulement beaucoup de bruit, estime-t-il. Rien d’autre ne compte que les «news», le public ne se laisse plus entraîner sur une discusion de fond.»

Johannes Gees cite en exemple l’intervention du collectif «Agent provocateur», dont il fait partie, nommée «Wahlgeld» (argent électoral, ndlr): tant que les médias ont cru à une action «sérieuse», ils en ont parlé. Lorsqu’il s’est avéré que des artistes en étaient à l’origine, tout le monde s’est détourné, comme si l’art justifiait de ne pas aborder les problèmes!

Il n’y a plus de campagne!

«Il est difficile de parler de cette campagne électorale puisque, à cause de l’UDC, il n’y a plus d’avant et d’après, mais une campagne et une agitation permanente», déclare d’emblée l’historien bâlois Georg Kreis, président de la commission fédérale contre le racisme.

Néanmoins, l’historien voit des tendances particulières renforcées ces derniers mois: «Plus grave que les moutons est à mes yeux l’alternative posée par Ueli Maurer entre l’islam et l’Occident, entre l’enfer et le ciel, explique Georg Kreis. Cette tendance à discréditer fondamentalement l’opposant n’est pas nouvelle mais devient graduellement plus forte.»

Typiquement romand

Si Georg Kreis voit une petite différence entre Bâle, où un comité inter-partis a réagi aux affiches UDC, et le reste de la Suisse alémanique, c’est parce que «les Bâlois sont un peu les Romands de Suisse alémanique. Or ce type de réactions ou des mouvements comme SOS Racisme sont impensables en Suisse alémanique», note Georg Kreis.

Le politologue Andreas Ladner, qui a gardé un pied à Zurich tout en enseignant à l’IDHEAP de Lausanne, est bien placé pour percevoir les différences de sensibilité.

Habitude et lassitude

«Face aux affiches UDC, qui n’étaient de loin pas les pires du parti, on a constaté un décalage très fort entre la Suisse romande et la Suisse alémanique, explique-t-il. Les Alémaniques ont eu ces discussions il y a 10-15 ans. Une certaine habitude s’est installée.»

Quant à la virulence du ton, elle est effectivement «un peu inquiétante». «Mais la Suisse a peut-être perdu un peu de son innocence et c’est la première fois que l’on ressent ces changements si fort», avance Andreas Ladner.

«En outre, ajoute le professeur, cette virulence a des raisons d’être: les rapports de force au Parlement sont relativement serrés, l’UDC et le PRD (Parti radical-démocratique, droite) n’ont pas la majorité ensemble. Le résultat du scrutin aura une réelle importance.»

«Il ne fallait pas suivre!»

«La démagogie en campagne électorale n’est pas nouvelle, mais l’UDC a progressé dans la mise en scène de sa présence au Conseil fédéral (gouvernement), transformée en objectif des législatives», estime de son côté l’économiste et chroniqueur Beat Kappeler. Les partis de gauche ont été assez bêtes pour entrer dans le jeu».

Selon Beat Kappeler, l’UDC se devait d’agiter le landerneau pour réussir à se maintenir. «Blocher aurait pu, aurait dû, apparaître comme usé par quatre ans de gouvernement, ce qui est normal, mais il a au contraire, grâce à ses adversaires, l’image d’un jeune tribun qui enfonce les portes du Palais!», ironise l’essayiste.

Si «la Suisse romande s’est levée comme un seul homme», Beat Kappeler pense que cela est dû au fait que, «pour de nombreux Romands, Blocher incarne tout ce que la Suisse alémanique a de négatif, voire d’inacceptable».

Un ton virulent inédit? «J’ai le sentiment, conclut notre interlocuteur, que d’autres campagnes électorales ont déjà été extrêmement vives… Que l’on se souvienne des années Schwarzenbach. C’est calme, aujourd’hui, en comparaison!»

swissinfo, Ariane Gigon, Zurich

Les élections ont lieu le 21 octobre. Candidats, adversaires et débatteurs s’expliquent une dernière fois.

La campagne a été marquée par l’irruption, voire la monopolisation, de l’enjeu gouvernemental (la composition du gouvernement) au sein d’élections législatives.

Chaque siège au Parlement compte pour assurer la présence des partis au gouvernement.

De nombreux observateurs notent aussi que les élections sont de moins en moins cantonales et de plus en plus nationales, quand bien même les électeurs doivent se prononcer sur des candidats de leur canton.

L’UDC a monopolisé le débat et déterminé les thèmes de discussion.

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