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Un monde sans pétrole?

La production de pétrole reste suffisante, mais pour combien de temps encore? Keystone

Le pétrole est la principale source d’énergie de la société moderne. Il est aussi source de guerres et de pollution et notre dépendance face à l’or noir divise l’opinion. Mais un monde sans pétrole est-il imaginable? swissinfo.ch l’a demandé à deux experts.

L’historien Daniele Ganser est directeur de l’Institut pour la paix et la recherche sur l’énergie de Bâle. Il est également président de la section suisse d’Aspo, l’Association pour l’étude du pic pétrolier et gazier.

L’avocat Niklaus Boss est pour sa part directeur de l’Union pétrolière, l’association qui s’occupe du marché du pétrole en Suisse.

swissinfo.ch: Quand arriverons-nous au pic de production du pétrole, ce que l’on appelle le «Peak Oil»?

Daniele Ganser: Le pic du pétrole conventionnel, léger et bon marché a déjà été atteint en 2006 avec une production de 75 millions de barils par jour. Si nous prenons en considération aussi le pétrole non conventionnel, le pic global sera probablement atteint avant 2020.

Niklaus Boss: On ne le sait pas. Je considère cependant que nous sommes relativement proches du pic. On ne parviendra pas à augmenter la production sans investissements massifs.

swissinfo.ch: Que se passera-t-il après le pic pétrolier?

Daniele Ganser: L’environnement sera toujours plus sous pression. Depuis quelques années déjà, on investit beaucoup dans le pétrole non conventionnel. L’extraction dans les sables bitumineux du Canada, dans les profondeurs du Golfe du Mexique ou dans les schistes bitumineux des Etats-Unis ont un fort impact sur l’environnement.

Il y a ensuite la question des guerres pour les ressources. Celle d’Irak, en 2003, qui a provoqué plus de cent mille morts, est manifestement une guerre pour le pétrole. C’est la même chose pour la guerre en Libye, en 2011, qui a causé plus de trente mille morts. Au Soudan et au Sud Soudan aussi, on est en train de se battre pour les puits de pétrole. Aujourd’hui, on tue pour le pétrole, ce qui ne peut pas nous laisser indifférents.

Niklaus Boss: Il n’y aura pas de grandes conséquences à court et à moyen terme. Après avoir atteint le point maximal de production, on continuera au même niveau pendant un certain temps. Il n’y aura pas une chute brutale.

A long terme, le pétrole deviendra plus cher. Dans les pays industrialisés, cela accélérera encore le mouvement déjà à l’œuvre de sortie du pétrole. Dans les pays émergents et en développement, l’augmentation du prix freinera en revanche le recours au pétrole.

swissinfo.ch: Retournons une vingtaine d’années en arrière et comparons les prévisions de l’époque avec la réalité d’aujourd’hui. Que peut-on dire sur la production et le prix du pétrole?

Daniele Ganser: C’est en fait l’Agence internationale de l’énergie (AIE), à Paris, qui est compétente en ce qui concerne les prévisions en matière d’offre et de prix du pétrole pour 2030. Mais la confiance en l’agence est ébranlée, parce qu’elle n’a pas prédit le pic pétrolier. Elle ne l’a confirmé que rétroactivement, pour le pétrole conventionnel.

Cet organisme est longtemps parti du principe que l’offre en pétrole augmenterait simplement d’année en en année, en raison de l’augmentation de la demande. Mais la nature montre que le pétrole n’est pas sans fin. Les prévisions de l’AIE sont donc à prendre avec prudence. Je m’attends à un resserrement de l’offre et à des prix élevés.

Niklaus Boss: L’Union pétrolière n’a jamais fait aucune prévision et nous ne disposons donc pas de documents. Dans un rapport de 2004, l’AIE avait prévu que la demande en pétrole équivaudrait à 121 millions de barils par jour en 2030. Aujourd’hui, nous en utilisons environ 90 millions. Toujours pour 2030, l’AIE avait prévu un prix moyen de 35 dollars le baril. A ma connaissance, personne n’avait prévu que le baril puisse dépasser les 100 dollars.

swissinfo.ch: Fukushima a provoqué un changement dans la politique énergétique. Le pétrole, en revanche, semble susciter moins de réactions, bien qu’il soit associé non seulement à des catastrophes écologiques et à la pollution, mais aussi au réchauffement climatique, à la spéculation ou à des guerres. Comment cela se fait-il?

Daniele Ganser: Cela dépend des pays. Au Nigeria, il existe par exemple une forte opposition au pétrole. En Suisse, où le pétrole représente 55% du mix énergétique, on en discute par contre moins: le Nigeria, le Kazakhstan ou l’Azerbaïdjan, qui font partie de nos principaux fournisseurs, sont des réalités lointaines.

Il serait cependant erroné d’affirmer qu’en Suisse, on est indifférent aux guerres menées pour le pétrole. La plupart des gens sont opposés à ces conflits et s’opposent à la dégradation de l’environnement. Mais beaucoup se sentent impuissants, même s’il est possible de faire quelque chose. Par exemple en installant des panneaux solaires sur les toits, en isolant les habitations, en se déplaçant en train ou en véhicules électriques ou encore en utilisant des voitures qui consomment moins de quatre litres aux cent km.

Niklaus Boss: L’énergie nucléaire n’est que l’une des nombreuses sources d’électricité. Nous pouvons avoir de l’électricité même sans nucléaire, et cela sans grandes conséquences. Pour le pétrole, en revanche, c’est impossible. Une voiture à essence demande exclusivement de l’essence. On ne peut pas la faire fonctionner autrement. Et si l’on passe d’une voiture à essence à un véhicule électrique, on n’a pas le même confort.

swissinfo.ch: Pourquoi est-il aussi difficile de sortir du pétrole?

Daniele Ganser: Le pétrole continue malgré tout à être bon marché. C’est un agent énergétique exceptionnel, facile à stocker et au rendement élevé.

Niklaus Boss: Le pétrole joue un rôle important dans tous les aspects de notre vie et n’est par conséquent pas facile à remplacer. Il n’existe pas d’autres agents énergétiques qui contiennent autant d’énergie. Le pétrole est facile à transporter et à stocker. Il est sûr et fiable. Et puis, il est bon marché.

swissinfo.ch: Sur quels aspects liés au pétrole les gens devraient-ils être mieux informés?

Daniele Ganser: Surtout sur le pic pétrolier qui a déjà été atteint dans plusieurs pays. Les Suisses doivent savoir que l’on consomme chaque jour cinq litres de pétrole par tête dans le pays. C’est plus que le lait!

Il y a dix ans, on dépensait dix milliards de francs par an pour les produits pétroliers. Aujourd’hui, la même quantité coûte environ le double. Cet argent devrait être utilisé pour sortir du pétrole, par exemple avec les pompes à chaleur, les granulés de bois, l’isolation des bâtiments ou l’énergie solaire.

Niklaus Boss: Il faut être conscient de l’importance du pétrole. Le pétrole est et reste à la base de notre bien-être. Et ce sera encore le cas pour au moins cinquante ans. Il est important de l’utiliser de manière efficace. Les interdictions ne mènent à rien. Le problème de la société actuelle n’est pas le pétrole, mais l’énorme faim d’énergie, qui se répercute notamment sur les émissions de CO2.

swissinfo.ch: Où et comment trouver les ressources énergétiques pour soutenir une population qui augmente?

Daniele Ganser: Actuellement, personne ne peut le savoir. La croissance démographique est extrêmement rapide. Il y a 2000 ans, la population mondiale était d’environ 300 millions de personnes. Il nous a fallu 1600 ans pour la doubler. En 2011, nous avons atteint les sept milliards: la population a augmenté d’un milliard en seulement douze ans.

Nous devons apprendre à résoudre les conflits sans avoir recours à la violence. Il faut utiliser les énergies renouvelables comme le soleil, le vent, l’eau, la géothermie, la biomasse et le biogaz.

Niklaus Boss: Les agents énergétiques fossiles joueront pendant longtemps encore un rôle important dans l’approvisionnement énergétique. De nombreux processus passeront du pétrole au gaz. Le pourcentage des énergies renouvelables augmentera fortement, même si je suis convaincu qu’elles ne pourront jamais fournir la même quantité d’énergie que celle qui est actuellement fournie par les énergies fossiles. L’avenir se trouve dans les économies d’énergie.

Le pétrole est dit «conventionnel» lorsqu’il se présente sous forme liquide et qu’il peut ainsi remonter naturellement vers la surface lors de l’extraction.

Le pétrole «non conventionnel» inclut le brut extra-lourd (visqueux), le bitume, les sables bitumineux et les schistes bitumineux.

La production mondiale de pétrole représente 88 à 90 millions de barils par jour (1 baril = 159 litres).

Les principaux pays producteurs sont la Russie, l’Arabie saoudite, les Etats-Unis, l’Iran, le Mexique et la Chine. Le pétrole des pays de l’OPEP (Organisation des pays exportateurs de pétrole) représente environ 42% de la production mondiale.

Les réserves mondiales, c’est-à-dire la quantité d’hydrocarbures liquides que l’on estime pouvoir être extraite des gisements déjà découverts, étaient de 207,8 milliards de tonnes en 2011. Ces réserves ont augmenté de 3,6% par rapport à 2010, en particulier grâce aux progrès techniques.

Les gisements mondiaux de pétrole (ressources) se montent à 15’000 milliards de barils. Le pétrole conventionnel en représente environ la moitié.

Les principales réserves se situent en Arabie saoudite (35,5 milliards), au Venezuela (28,8) et au Canada (23,7). Les dix pays les plus riches en pétrole disposent de 83% des réserves mondiales.

(Sources: Agence internationale de l’énergie, Oil & Gas Journal, BP Statistical Review of World Energy).

Début du 20e siècle: 1 million de barils par jour

Après la Seconde Guerre mondiale: 6 millions

1962 (crise des missiles à Cuba): 22 millions

1986 (catastrophe nucléaire de Tchernobyl): 61 millions

2011: 88 millions (ce qui équivaut à environ 14 milliards de litres ou encore 40 super pétroliers)

2035: 96 millions

(Sources: Union pétrolière, World Energy Outlook)

(Traduction de l’italien: Olivier Pauchard)

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