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Revenir à soi

Le roman est l’histoire d’une double dépossession. http://www.culturactif.ch/

Emmanuelle, la narratrice de «Je n´ai pas dansé dans l´île», dernier roman de Monique Laederach, aspire à la normalité, à la paix. Elle se demande comment font normalement les autres femmes pour se lever, se laver, s´habiller, marcher, acheter, vivre.

C’est qu’elle semble revenir de loin. Dès la première page on la devine blessée, malade ou convalescente. Des choses du quotidien, elle essaye de se souvenir, mais n’y parvient pas, «conséquences encore de la narcose» dit-elle. Sa mémoire est ailleurs, retournée dans l’île, lieu de l’idylle et début de la perte.

Le roman, en effet, est l’histoire d’une double dépossession. À travers l’amour qui la liera au poète finlandais Jarkko Kekkonen, Emmanuelle, poétesse elle-même, va perdre le contact avec sa langue maternelle, le français, et, plus radicalement, perdre le sentiment de sa féminité, jusqu’à vouloir y renoncer.

Rencontré en Macédoine, lors d’un congrès international d’écrivains, Jarkko y est fêté, comme plus tard, dans d’autres réunions, par ses confrères, ses traducteurs, son éditeur. Emmanuelle, ignorée par cette société d’écrivains à la misogynie réflexe (qu’est-ce qu’une femme qui écrit?), se livre entièrement à cette passion sans langue commune, sans véritable échange, et suivra Jarkko, se tiendra dans son ombre, avec d’autres, jusqu’à en perdre son identité.

C’est à la reconquête de soi qu’elle part dans ce récit, après des années de fuites, de maladies, de disparitions. «Je refais notre histoire», armée cette fois de la distance, ce «scalpel», qui lui faisait alors défaut.

L’écriture, l’enchaînement erratique des paragraphes, épouse les sautes de la mémoire, ses hésitations, détours et scrupules. Sans complaisance ni cruauté, souvent avec poésie, la narratrice nous fait suivre avec elle «ce fil le long duquel peut-être je peux revenir, non seulement dans le féminin, mais dans ce corps agressé».

Guillaume Colnot

Monique Laederach, «Je n’ai pas dansé dans l’île», éditions L’Âge d’Homme, 120p.

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