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La Grèce, «talon d’Achille de l’Europe»

A l'image de ce garde du Parlement d'Athènes, la Grèce va-t-elle désormais marcher vers la gauche? Keystone

L’annonce de législatives anticipées en Grèce n’est pas le cadeau de Nouvel An dont aurait rêvé Bruxelles. Une victoire de la gauche extrême risque de compliquer singulièrement les relations avec l’UE. C’est ce que craignent les commentateurs de la presse suisse au lendemain de l’élection présidentielle ratée à Athènes.

Faute d’avoir pu élire lundi un président de la République, la Grèce devra organiser des législatives anticipées. Stavros Dimas, qui avait besoin de 180 voix pour être élu, n’en a recueilli que 168 au Parlement. Prenant acte de la défaite de son candidat, et de la dissolution du Parlement qui en découle, le Premier ministre conservateur Antonis Samaras, a annoncé des législatives dès la première date possible, le 25 janvier. La coalition de gauche anti-austérité Syriza part nettement favorite.

«La réponse à la question ‘pourquoi cette nouvelle crise politique en Grèce?’ est en partie contenue dans la biographie du candidat non élu», estime «Le Temps».

«Commissaire européen entre 2004 et 2009, Stavros Dimas, débuta comme avocat à Wall Street avant de devenir un pilier de la Nouvelle Démocratie, le parti de l’actuel premier ministre. A ce titre, l’homme ne pouvait ignorer, dans la foulée de la crise des subprime, les manipulations du gouvernement grec de Constantin Karamanlis pour masquer l’explosion de sa dette publique et duper Bruxelles», rappelle le quotidien romand.

Aujourd’hui, poursuit «Le Temps», «les électeurs grecs se retrouvent pris au piège. Pro-européens dans leur large majorité, attachés à l’euro mais désireux de sanctionner les clans familiaux qui contrôlent le pays, beaucoup se sont portés sur les nouveaux visages de Syriza, appelée à remplacer les socialistes discrédités».

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La crise au quotidien

Ce contenu a été publié sur De nombreux magasins ont fermé, les gens sont inquiets pour l’avenir. L’immigration illégale constitue également un gros problème. Mais malgré cela, la vie continue. (Textes et photos: Gaby Ochsenbein)

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«Pas la révolution»

«Pour sortir la Grèce de la faillite et éviter un désastre pour la monnaie européenne, on a fait couler depuis 2010 près de 240 milliards d’euros sur Athènes», rappelle le «Bund». Mais le pays, avec une dette qui continue de croître, une économie exsangue et un taux de chômage proche de 27%, n’est toujours pas sorti de l’ornière.

«L’UE aurait dû le reconnaître», note le quotidien bernois. D’autant qu’en Grèce même, «beaucoup ont remarqué que les riches saignent peu, alors que le petit peuple, lui, saigne beaucoup». Dans ces conditions, Alexis Tsipras, leader de Syriza, promet la fin des privations, avec des coupons de nourriture pour les plus pauvres et des soins de santé gratuits pour les chômeurs.

«Ce serait un minimum humanitaire, mais pas encore la révolution», estime le «Bund». Non sans rappeler que «les chances de voir se réaliser ces vœux sont plutôt mauvaises», car «pour chaque concession, les créanciers exigeront de nouvelles réformes de la part d’Athènes, même si son gouvernement est de gauche».

Les créanciers très inquiets

Signe de l’inquiétude des créanciers de la Grèce, le Fonds monétaire international a suspendu son aide dans l’attente d’y voir plus clair. De son côté la Banque centrale européenne a annoncé lundi attendre l’avis des autorités grecques sur l’examen du plan d’aide du pays tout en refusant de commenter la tenue des législatives qui pourraient amener au pouvoir la coalition de gauche radicale Syriza.

Ces élections risquent de raviver de mauvais souvenirs, alors que la crise de la dette en Grèce avait failli faire exploser la zone euro en 2012. La Grèce vit depuis 2010 sous perfusion de ses créanciers internationaux (FMI, BCE et UE) qui se sont engagés à lui prêter 240 milliards d’euros en échange d’une austérité draconienne.

Le commissaire européen à l’Economie Pierre Moscovici a appelé les électeurs grecs à soutenir «les réformes favorables à la croissance». Déjà le mois dernier, le président de la Commission, Jean-Claude Juncker, avait déclaré qu’il «n’aimerait pas que des forces extrêmes arrivent au pouvoir» à Athènes. Le ministre allemand des Finances, Wolfgang Schaüble, a participé à ce concert en estimant qu’il n’y avait «aucune alternative» aux réformes menées en Grèce.

Les marchés ont mal accueilli également l’échec du scrutin présidentiel, avec une Bourse cédant jusqu’à 11% avant de clôturer à -3,91%, et des obligations en forte hausse. «Les probabilités d’une nouvelle crise profonde en Grèce avec une possible sortie de la zone euro sont de l’ordre des 30%. C’est un risque important», prédisaient sombrement les analystes de la banque privée allemande Berenberg.

Au-delà des déclarations, les intentions de Syriza ne sont pas claires, contribuant sans doute à l’inquiétude des créanciers. Le parti ne veut pas sortir de l’euro, mais souhaite avant tout une nouvelle réduction par les créanciers de la Grèce de la dette représentant 175% du PIB qui pèse sur le pays.

(source: AFP)

Le retour des staliniens?

La Grèce «risque de retomber dans la crise, avec des conséquence potentiellement plus graves que la première fois», avertit la «Neue Luzerner Zeitung». Et ceci notamment parce que «Syriza n’est pas du tout un parti, mais un rassemblement d’une douzaine de groupes, dont le spectre va des socialistes de gauche, Trotskystes, Marxistes, Maoïstes et anciens Communistes, jusqu’à des gens qui considèrent la violence comme une expression politique légitime. Et ces ailes extrémistes prônent ouvertement l’abandon de l’euro et la sortie de la Grèce de l’UE comme de l’OTAN».

Au milieu de tout cela, Alexis Tsipras «formé dans les jeunesses d’un Parti communiste grec resté stalinien, ne sait peut-être pas vraiment ce qu’il veut, avance le quotidien de Suisse centrale. Ou alors, il n’est pas sûr de ce qu’il pourra effectivement réaliser avec un parti aussi confus».

En tous les cas, la Grèce «n’a pas de temps à perdre. Car en mars, ses caisses seront de nouveau vides», Et quand le pays devra solliciter de nouveaux crédits, il n’est pas sûr que les membres de Syriza les plus hostiles à l’Europe acceptent de mettre de l’eau dans leur vin. «Sombres perspectives pour le pays de la crise éternelle», conclut la «Neue Luzerner Zeitung».

Choix démocratique

Sans aller jusque à une formule aussi radicale, les quotidiens valaisan «Le Nouvelliste» et neuchâtelois «L’Express/L’Impartial» voient dans la Grèce «Le talon d’Achille de l’Europe». «Entrée dans le panier de la monnaie unique sur la base de comptes publics maquillés pour paraître en belle Hellène», la Grèce a rapidement vu «l’or de Bruxelles se transmuter en plomb budgétaire».

Par la suite, les plans d’austérité n’ont fait qu’accélérer «le détricotage social du pays, poursuivent les deux journaux. Le remède s’avère pire que le mal puisqu’il menace les potentiels de croissance et attise les braises de la colère populaire. Car, n’en déplaise aux technocrates arc-boutés aux dogmes du marché, il demeure au pays de Socrate un soupçon de démocratie».

«Aujourd’hui, cette Grèce à qui l’on a imposé un incommensurable travail de Pénélope va peut-être montrer aux autres que l’Union relève d’un choix démocratique et non d’une obligation», avancent finalement «Le Nouvelliste» et «L’Express/L’Impartial».

Le poids des banques

Dans la même veine, l’«Aargauer Zeitung» et plusieurs autres quotidiens du Plateau suisse en appellent à ce que l’on laisse d’abord le peuple décider. La Grèce, berceau de la démocratie, soumise depuis la fin de la dictature militaire aux «dynasties politiques», a cette fois «l’occasion de s’exprimer vraiment démocratiquement».

Quant aux intentions réelles de Syriza, le quotidien argovien refuse de parler de «chantage». Il préfère compter sur un virage modéré de la formation d’Alexis Tsipras, voire sur un changement d’attitude de l’UE vis-à-vis de la toute-puissance de la finance internationale. «On devrait commencer à se demander à Bruxelles (et à Berlin) s’il n’y a pas lieu de faire vraiment le ménage dans le secteur bancaire. Ce n’est certes pas seulement le problème de l’UE, mais l’existence d’un marché des produits dérivés qui pèse presque dix fois le PIB mondial montre bien que les financiers vont continuer à spéculer comme si rien ne s’était passé», plaide l’«Aargauer Zeitung».

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